Édition du 23 avril 2024

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Europe

Belgique : crise de l’État-nation, néolibéralisme et salariat

Si plus de cent mille personnes ont manifesté à l’appel des organisations syndicales dans la capitale belge, le jeudi 6 novembre, à peine un mois après la formation du gouvernement fédéral, c’est que les travailleurs sont confrontés à un gouvernement néolibéral qui entend détruire de la base au sommet l’État-providence imposé à partir de 1945 par le mouvement ouvrier.

(tiré de la lettre électronique d’Europe solidaire sans frontières - | 14 novembre 2014

Cette fois-ci, la coalition gouvernementale comporte un seul parti francophone, le parti libéral MR du premier ministre Charles Michel, et trois partis flamands : la NVA nationaliste de l’homme fort Bart de Wever, le parti chrétien-démocrate CD&V et le parti libéral Open-VLD. De Wever a mis son véto contre toute participation gouvernementale des socialistes. Ceux-ci, rejoint par les chrétiens-démocrates francophones ont, quant à eux, refusé toute coalition avec une NVA « séparatiste ».

La NVA séparatiste ?

La presse, en majorité francophone, décrit le dirigeant de la NVA comme un séparatiste qui a l’intention de détruire le royaume des Saxe-Cobourg. Mais elle peut se tromper. De Wever souscrit à la « théorie » avancée par l’Alliance Libre Européenne fondée en 1981 et reconnue par le Parlement européen en 2004, une alliance qui réunit selon Paul Dirkx « dix formations régionalistes, quatorze autonomistes et onze séparatistes représentant dix-sept États membres ». L’ALE se prononce pour des « nations sans État » au sein de l’UE. Il s’agit ici non pas d’un nationalisme ethnique, mais d’une communauté de destin. L’idée « confédéraliste » de la NVA semble répondre à cette conception des autonomistes. Le principe de subsidiarité y joue un rôle (« ce que nous faisons nous-mêmes, nous le faisons mieux »), tout comme l’idée selon laquelle on volerait « nos richesses pour soutenir des fainéants ». Il s’agit en fait d’une revendication d’autonomie maximale au sein de l’U.E., donnant plus de pouvoir aux groupes capitalistes régionaux. On retrouve ces idées en Catalogne et en Italie du Nord. Elles ne peuvent que corroder la solidarité des travailleurs et leur conscience de classe, cela au profit du capital. Il n’est d’ailleurs pas certain que le patronat flamand veuille s’isoler de l’armée de réserve industrielle wallonne.

De Wever à déclaré qu’il n’obéissait qu’à un seul chef, l’organisation patronale flamande VOKA qui représente le capitalisme montant en Flandre depuis la disparition du capitalisme belge (qui reposait sur l’industrie traditionnelle en Wallonie, dirigée par la holding de la Société Générale de Belgique – depuis lors accaparée par Suez). L’État-nation belge a perdu ainsi son « infrastructure » économique. Il avait déjà partiellement perdu la sympathie de la population en Flandre, suite au rejet systématique par la « francophonie » des aspirations démocratiques (linguistiques et culturelles) défendues par le mouvement émancipateur flamand. Contrairement à un mythe flamand, la Belgique ne fut pas à l’origine une construction artificielle, mais, en tant qu’État-nation, elle reçut le coup de grâce quand l’establishment refusa le bilinguisme en Wallonie, tout en exigeant son maintien en Flandre en faveur d’une petite minorité francophone : deux poids et deux mesures. Nous n’évoquerons pas ici la grande responsabilité du Parti ouvrier belge d’avant-guerre qui a permis au bas-clergé et plus tard partiellement à l’extrême droite de mettre la main sur le mouvement flamand.

La NVA fasciste ?

Certains, de nouveau majoritairement du côté francophone, accusent la NVA d’être un parti d’extrême droite, voire même à tendance fasciste. Ils se trompent lourdement. Cette appréciation s’applique plutôt au Vlaams Belang, le parti « anti-immigré ». La NVA est un parti purement néolibéral, adepte du parlementarisme bourgeois et qui, comme d’autres formations néolibérales a une vue conservatrice sur la culture. Il surfe bien entendu, vu son nationalisme flamand, sur la vielle rancune de larges couches de la population flamande envers l’establishment francophone et les « fransquillons ». « La tradition de toutes les générations mortes pèse d’un poids très lourd sur le cerveau des vivants » disait Marx. Le fait qu’on trouve dans la NVA des individus qui partagent des idées d’extrême droite n’a rien d’exceptionnel, il suffit, pour s’en convaincre, de regarder de près l’UMP française.

Un PS démagogique

Exigeant la démission de Jan Jambon, le ministre NVA des affaires intérieures qui a déclaré qu’il a de la « compréhension » pour les nationalistes flamands collaborateurs sous l’occupation allemande, Elio Di Rupo a fait de la politique politicienne de haut vol. Surfant sur l’idée mythique, partagée par un bon nombre de francophones, de l’importance de la collaboration nazie en Flandre (et oubliant la collaboration en Wallonie), l’ancien premier ministre PS a attaqué le gouvernement dont son parti est exclu. Mais il l’a fait non pas spécialement pour attaquer la politique de choc néolibérale du gouvernement, mais principalement pour cacher les mesures néolibérales que son propre gouvernement avait introduites. La démarche a aussi un effet néfaste en Flandre, où l’on considère son intervention comme la nième remarque méprisante et insidieuse contre les flamands. Une telle réaction ne favorise aucunement les relations de solidarité plus que nécessaires entre les deux peuples. Notons que le PS participe sans états d’âmes aux coalitions néolibérales dans les gouvernements de la Wallonie, de la Communauté française, de Bruxelles-Capitale et de la communauté allemande.

La réaction ouvrière

Nul ne sait comment se développera la crise institutionnelle. Mais le mouvement ouvrier y jouera un rôle fondamental, pour le meilleur ou pour le pire. Des deux côtés de la frontière linguistique les confédérations syndicales socialistes (FGTB-ABVV), chrétiennes (CSC-ACV) et libérales (CGSL-ACLV) et le Mouvement ouvrier chrétien (MOC-ACW) qui chapeaute l’ensemble des organisations ouvrières chrétiennes, se sont mises en mouvement. Fortes du succès de la manifestation du 6 novembre, elles prévoient des grèves provinciales tournantes le 24 novembre et le 1e décembre, suivies d’une grève générale en front commun pour le 15 décembre, tout cela accompagné par des initiatives émanant de diverses associations citoyennes.

Notons qu’il se passe depuis peu des choses intéressantes dans le mouvement syndical, qui le démarquent de son histoire traditionnelle. Ainsi dans la fédération FGTB de la région de Charleroi des voix se sont élevées en faveur de la formation d’un parti ouvrier fidèle aux revendications syndicales, et ce en réaction au lien traditionnel qui unit la FGTB au PS, devenu aujourd’hui un parti social-libéral qui gère la Wallonie à la solde du patronat. En Flandre certains membres du syndicat chrétien majoritaire, se demandent, bien qu’encore timidement, s’il est encore possible de se lier à leurs « amis » du MOC présents au sein du gouvernement. Ici aussi une tradition est mise en doute. Mais ne chantons pas trop vite victoire. Après la manifestation des 120.000 les chefs syndicaux on rencontré le premier ministre Michel, mais sans aucun résultat concret.
Réussir le plan d’action du front commun

La LCR a adressé une lettre ouverte au mouvement syndical pour éviter que le mouvement de protestation ne soit pas dévoyé de son véritable but.
« Il n’y a pas d’autre choix que de nous battre, et il s’agit de gagner cette bataille. Pour cela, il ne suffira pas d’organiser une manifestation Nord-Midi sans lendemain. Le front commun syndical semble l’avoir – enfin ! – compris : son plan d’action est un vrai plan d’action (on n’a rien vu de semblable depuis les « grèves des vendredis » contre le gouvernement de droite dirigé par Léo Tindemans, en 1977).

Ce plan d’action doit réussir. Pour cela, il faut :

1°) informer non seulement les militants mais aussi la population, en profondeur, par une « Opération Vérité » ;

2°) pratiquer la démocratie syndicale la plus large, pour contrôler les directions et libérer l’énergie militante à la base, dans les entreprises, les quartiers, les écoles ; encourager et appuyer partout l’auto-organisation ;

3°) nous battre tous ensemble : Flamands, Wallons et Bruxellois, femmes et hommes, ouvriers et employés, jeunes et moins jeunes, avec et sans travail/papiers, du public et du privé ;

4°) souffler sur toutes les braises, mobiliser toutes les catégories menacées : syndicats, organisations de jeunesse, mouvement associatif, mouvement des femmes, intellectuels et artistes, demandeurs d’asile, organisations de protection de l’environnement ;

5°) un objectif clair : le refus de toute austérité (au fédéral et dans les régions), sans aucune concession aux revendications patronales ;

6°) être prêts à continuer crescendo, jusqu’à la grève générale s’il le faut.
L’objectif : un soulèvement si massif, si puissant, si démocratique, si pluraliste que ce gouvernement n’aura pas d’autre issue que de plier bagages. »

Patroons Hendrik

LCR Belgique

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