Édition du 26 mars 2024

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Ne crions pas trop vite victoire, le cas Keystone XL

Alexander Reid Ross, Counterpunch.org, 19 novembre 2014

A.Reid Ross participe au réseau en ligne Earth First ! Il a publié avec d’autres auteurs, Grabbing Back : Essays Against the Global Land Grab, chez AK Press en 2014. Il a contribué à la rédaction de Life During Wartime, chez AK Press en 2013. Cet article a aussi été publié par earthfirstjournal.org/newswire

Traduction, Alexandra Cyr

Donc le vote pour l’acceptation de Keystone XL n’est pas passé au Congrès. Pour certains groupes environnementalistes cet échec est un énorme succès. Ils ont lutté depuis si longtemps contre cet oléoduc et la sale politique qui s’y rattache ! Les actions qui se sont tenues le jour du vote, soit, déranger le moment du vote au Sénat et retenir dans leurs bureaux les Sénateurs démocrates Bennet du Colorado et Carper du Delaware démontrent le niveau d’engagement et de résistance du mouvement pour empêcher la construction de ce pipeline.

Donc, nous pouvons rentrer chez-nous ? Nous avons gagné !

Le problème c’est que ce projet de loi reviendra au feuilleton en janvier prochain. Le Congrès qui officie en ce moment est totalement différent de celui qui détiendra le pouvoir début 2015. Par contre, ce n’est pas parce que le Congrès actuel, dominé par les Démocrates à voté de justesse contre ce projet que le prochain, sous la gouverne des Républicains n’aura pas de problèmes à obtenir la majorité en sa faveur.

La résolution adoptée par le Sénat à majorité démocrate donne au Président Obama le pouvoir d’opposer son véto à la loi qui lui serait présentée à ce sujet. La question demeure toutefois de savoir s’il voudra l’utiliser. Pour faire court, on peut dire que l’échec de cette semaine et les célébrations qui s’en sont suivies dans les organisations environnementalistes peuvent ressembler à une mise en scène. Ce n’est sûrement pas le moment de se démobiliser.

Il n’y a pas de victoires faciles

Rising Tide North America (RTNA) [1] a publié une déclaration sur sa page Facebook. Le groupe met en garde et va jusqu’à parler d’une « fausse victoire ». Même si ce vote contre est fondamental, les militants-es doivent demeurer vigilants-es, sur le qui vive. Le groupe souligne : « Nous avons fait le lien entre les problèmes climatiques et cet oléoduc, et nous avons gagné. Nous avons démontré que Keystone XL avait un impact négatif sur l’environnement et nous avons gagné. Nous avons défait les arguments à propos des emplois liés à son installation et nous avons gagné. La base qui se bat en faveur du climat et les mouvements environnementaux est de toute évidence mobilisée. Il est à espérer qu’en janvier prochain, nous assisterons à plus de manifestations dans les rues, le long du trajet de l’oléoduc et devant les bureaux des compagnies liées au projet. Il ne faut pas compter que le système politique qui est contre nous, endossera notre cause une fois encore ».

Comme le dit RTNA, la lutte contre l’oléoduc doit être arrimée à des efforts sincères et dévoués de solidarité avec les Sioux de Rosebud qui ont qualifié la proposition en faveur de Keystone XL au Congrès de déclaration de guerre. On doit aussi s’associer aux autres groupes qui résistent à toute l’industrie des sables bitumineux et pas seulement contre l’oléoduc.

Car il ne s’agit pas d’une simple lutte contre un oléoduc mais bien d’une bataille pour le futur de la planète. Cela signifie de lutter contre l’extraction du pétrole des sables bitumineux, l’industrie la plus toxique du monde. Il faut la faire cesser et éliminer tous les oléoducs qui l’accompagnent. Qu’arrivera-t-il si en janvier, par miracle, le projet de loi est de nouveau rejeté et que le Canada exporte son pétrole via la côte atlantique ? Est-ce que les groupes environnementalistes vont déclarer victoire ou continuer à manifester avec nous dans les rues ?
Comme l’écrit Amilcar Cabral [2], « Il n’y a pas de victoire facile ».

Les oléoducs ne sont pas la fin de tout

Le jour du vote, le New-York Times a publié une image saisissante du futur de l’Amérique du nord truffée de pipelines mais en ajoutant les fuites qui ont eu lieu au cours des dernières vingt années. Le gris de la carte des États-Unis est marqué de taches noires tout le long du Midwest et du golfe du Mexique. Bien sûr, ces taches paraissent menaçantes ; est-ce qu’elles nous donnent une image exacte de la situation actuelle ? Et si nous jetons un regard furtif sur la situation au Canada on est saisis par les horreurs insondables que cette industrie pétrolière génère.

Non seulement l’exploitation des sables bitumineux d’Alberta contribuent à détériorer le climat mais en plus elle détruit même les bases du sol. Peu importe la quantité de crédits de carbone qui sera attribuée et mise sur le marché, que de meilleures techniques d’extraction et traitement soient développées, quand la terre, les systèmes d’utilisation de l’eau sont détruits, que la biodiversité est anéantie, le fil de la vie est brisé.

S’attaquer à l’oléoduc est fonctionnel, symbolique et vaut la peine. Mais ce qui vient de se passer à Washington ne donne pas le signal du début d’une nouvelle époque ; ce n’est qu’un moment dans le processus législatif. Le Washington Post, dans un article d’y il a quatre jours, se demandait si seulement ce vote au niveau fédéral valait vraiment quelque chose puisque les États conservent un certain degré d’autonomie et que l’industrie sait trouver son chemin à travers le monde politique. Voici un incident : lundi dernier, un vice-président d’une grande pétrolière se bagarre avec un journaliste d’EnviroNews et tente de lui retirer sa caméra. Il l’invective en lui criant : « Je fais ce que je veux et allez voir faire f… ! » Ceci n’est pas la mentalité d’une seule personne mais de toute une industrie triomphante, habituée de faire ce qu’elle veut.

Alors que la protestation populaire a réussi à mettre le projet d’oléoduc à l’arrêt, le mouvement pour le climat est loin de s’orienter vers la célébration. Vraisemblablement, une longue lutte se dessine à l’horizon. Nous devons nous préparer à ce que cela va exiger : non seulement se battre contre Keystone XL mais aussi contre les nombreuses infrastructures de l’industrie de l’énergie fossile qui transportent ses produits vers le Pacifique en passant par la bio-région de Cascadia plus les gazières de Cove Point.

Se mobiliser contre les changements climatiques

En ce moment, la Marche populaire pour le climat avec ses 300,000 participants-es semble un bon départ pour la mobilisation dont nous avons besoin. Le jour de la terre en 1970 il y avait vingt millions de personnes dans les rues. Est-ce que ce ne serait pas le nombre magique nécessaire si nous voulons prendre notre avenir en mains et nous éloigner par nous-mêmes de la situation la plus catastrophique que la terre ait jamais subi ?

Ce mouvement apparait dans le monde entier. Au Burkina Faso, à Hong Kong, dans le Guerrero, et ce ne sont que quelques endroits où la population se soulève parce que le capitalisme ne sera jamais capable de faire ce qui est nécessaire pour faire reculer l’exploitation et les génocides. Une réelle victoire voudrait dire la transformation des bases de la société qui reposent sur les énergies fossiles et les grandes entreprises, pour celles qui seraient établies sur le pouvoir des communautés reliées par des réseaux locaux, qui reconnaitrait les droits des peuples indigènes inscrits dans les traités et qui mettrait fin au racisme environnemental.

Cela veut dire d’abandonner l’approche capitaliste des grands groupes environnementaux (Sierra Club, World Wildlife Fund, et même le très dynamique duo Avaaz et 350) qui succombent aux chimères du grand capital. Cela veut dire de bâtir le pouvoir au niveau des communautés et de partager les ressources avec celles qui en ont le plus grand besoin. Les militants-es les plus cyniques qui veulent agir en un claquement de doigt, ne suscitent qu’une participation tout aussi cynique. Mais cela leur permet d’accumuler des fonds pour des objectifs ambigus qui visent généralement des opérations de visibilité de leur propre marque, de publicité et de mise en marché. Ce sont des ennemis de l’intérieur, les pires qu’il se puisse trouver : un complexe de publicité superficielle singé sur les modèles de gouvernance corporative. La réelle victoire ne viendra pas de Washington. Elle viendra du soulèvement du peuple pour désarmer Washington, pour lui retirer son pouvoir.


[1Groupe citoyen nord américain centré sur la lutte contre le réchauffement climatique et les énergies fossiles. N.d.t.

[2Combattant contre le colonisateur portugais, pour l’indépendance de la Guinée-Bissau, son pays, et des autres colonies portugaises de la région. Il est mort assassiné à Conakry (Guinée-Conakry) le 20 janvier 1973.

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