Édition du 23 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Politique d’austérité

Contre l’austérité capitaliste — construire un front social actif et militant contre le gouvernement Couillard !

Depuis qu’il est au pouvoir, le gouvernement Couillard a démontré sa volonté de mener une politique d’austérité qui s’en prend aux services publics au nom de la lutte contre la dette. Par une série d’artifices comptables, il a réussi à gonfler l’endettement public pour justifier des objectifs de réduction du taux de croissance des dépenses publiques à moins de 1,4 % pour 2014-2015 et à 0,4 % pour 2015-2016. [1]Les politiques de coupures, massives du gouvernement Couillard, sa volonté d’en découdre avec les employéEs du secteur public et parapublic et son ouverture à relayer les politiques anti-environnementales du gouvernement Harper posent d’énormes défis à la résistance populaire.

1. Le gouvernement libéral favorise la baisse du pouvoir d’achat et l’endettement de la majorité populaire en imposant la tarification de nombreux services et en rejetant la perspective d’une fiscalité redistributive.

Le pouvoir d’achat des classes ouvrières et populaires a diminué pour la première fois depuis 1996. Cela conduit à l’augmentation de l’endettement qui tend à atteindre des niveaux historiques. Pourtant, le gouvernement Couillard n’augmente que de façon marginale le salaire minimum et il multiplie le nombre et le niveau des tarifs de différents services publics : augmentation des tarifs d’Hydro-Québec, augmentation des tarifs dans les garderies, maintien d’un système d’assurance médicament privé-public très coûteux, augmentation de diverses taxes à la consommation…

La politique de taxation et de tarification du gouvernement Couillard vise à faire payer les moins fortunés et elle facilite l’accaparement des richesses par le 1 %. Sa politique fiscale accepte que les sommets de la société refusent de payer leur juste part. Cette politique fiscale refuse de taxer le capital, les profits des entreprises et les revenus faramineux des banques. Elle multiplie les échappatoires fiscaux pour les plus riches et évite de s’attaquer à l’utilisation des paradis fiscaux.

Par ces politiques, le gouvernement Couillard s’affirme comme redevable d’abord et avant tout au capital financier. Comme l’ont montré les gouvernements Harper ou les gouvernements libéraux et péquistes précédents, l’obtention de l’équilibre budgétaire ne conduit pas au développement d’une marge de manoeuvre face au capital financier, mais à une nouvelle étape dans la déresponsabilisation fiscale des plus riches conduisant à la nécessité de nouveaux emprunts publics et conséquemment à un nouvel endettement face aux banques. Puis, au nom de la lutte contre la dette, les gouvernements néolibéraux lancent une nouvelle phase de coupures des dépenses sociales et de privatisation. C’est la longue marche du démantèlement de l’État social.

L’endettement public n’est pas le fruit d’une prétendue inflation des revendications citoyennes, mais découle de la résistance à l’impôt des plus riches. Les créanciers internationaux (banques) ont profité de la résistance à l’imposition des plus riches pour endetter les États, et pour s’assurer du remboursement de leurs créances, ils ont commencé à jouer un rôle de plus en plus importants dans la détermination des politiques économiques des États au mépris des mandats démocratiques. C’est ainsi que la souveraineté populaire sur les choix économiques n’a cessé de reculer…

Il est donc tout à fait insuffisant de se contenter d’exiger comme le font les directions syndicales un report pour l’atteinte du déficit zéro. Cette perspective ne permet pas de rompre avec le cercle vicieux dans lequel s’inscrivent les politiques néolibérales qui visent en fait à la soumission totale aux diktats du capital financier. [2]

2. Le gouvernement Couillard vise l’affaiblissement du secteur public et la détérioration des conditions de travail des employéEs des services publics

Dans les offres patronales à ses employéEs, le gouvernement Couillard veut imposer le gel salarial aux travailleurs et aux travailleuses du secteur public et parapublic pour les deux premières années, assorti d’un maigre 1 % d’augmentation pour les trois années suivantes, sans oublier le report de l’âge de la retraite. Les femmes qui forment 75 pour cent des salariéEs des services publics sont encore une fois les principales cibles du gouvernement libéral. Ces politiques vont induire une dynamique de privatisation et conduire à une nouvelle perte d’expertises des services publics créant les conditions favorables à la généralisation de la corruption qu’on l’a démontré les travaux de la commission Charbonneau.

Les offres en éducation vont participer de la détérioration des services donnés par l’école publique et des conditions de travail des enseignantEs. Le gouvernement cherche à augmenter de 10 % leur temps de travail. Il veut augmenter le nombre d’élèves par classe au 2e et 3e cycle du primaire et au 1er cycle du secondaire. Il veut faciliter l’intégration des élèves en difficultés d’adaptation et d’apprentissage en abaissant les normes et en ne fournissant aucun soutien au personnel enseignant pour accueillir ces élèves. Il veut précariser la profession enseignante, surtout en formation professionnelle et à l’éducation des adultes. Il cherche des économies dans une fusion improvisée des commissions scolaires. Il poursuit ses compressions dans les cégeps et les universités.

Dans le secteur de la santé, le gouvernement vise l’augmentation de la charge de travail des différents personnels et une diminution de leurs conditions de travail. Avec le projet de loi 10, il vise à centraliser le pouvoir de décision dans les mains du ministre. Cette réforme vise à réduire à rien le contrôle des personnels de la santé sur les services, à éloigner les citoyens et les citoyennes des centres de décisions et à permettre d’ouvrir au privé les mégaorganismes prévus par le projet de loi 10.

3. La résistance populaire devant des défis majeurs.

Depuis des années déjà, la résistance à l’offensive néolibérale s’est développée. Des coalitions ont été mises sur pied. Des manifestations ont succédé aux manifestations. Le 29 novembre dernier, des centaines de milliers de personnes se sont mobilisées à Québec et à Montréal pour dénoncer les politiques d’austérité du gouvernement Couillard. Aujourd’hui, la création d’un vaste d’un Front social de résistance aux politiques gouvernementales est à l’ordre du jour.

Des dirigeants des différentes centrales syndicales et de divers groupes écologistes et citoyens de la société civile se sont dits prêts à former un véritable front social. Ils ont annoncé une rencontre dans le but de "mettre sur pied un plan d’action conjoint visant à contrer les politiques d’austérité du gouvernement." [3]

Des débats importants sont devant les forces syndicales, populaires, écologistes, féministes, et étudiantes sur la base revendicative de ce front social. Un programme d’action contre l’austérité capitaliste doit fixer des objectifs clairs et précis pour les différents secteurs de la population : quelle redistribution de la richesse et les moyens d’y parvenir ? Comment défendre les services publics, leur accessibilité et de leur gratuité ? Comment s’opposer à la résistance à l’impôt de la part des plus riches ? Comment s’unir pour bloquer les projets de transport du pétrole tiré des sables bitumineux dangereux pour notre environnement ? Comment défendre les droits démocratiques des organisations syndicales et sociales face aux décrets et aux lois spéciales qui cherchent à criminaliser la contestation sociale ?

Croire que de simples pressions pourront conduire le gouvernement Couillard à une ouverture au dialogue social constructif, c’est croire que la concertation est encore à l’ordre du jour pour les partis politiques au pouvoir à Québec et à Ottawa. Nous croyons plutôt que la domination du capital financier sur les partis politiques au pouvoir donne toute la mesure du combat qui est devant nous pour bloquer les politiques d’austérité. C’est pourquoi un programme d’urgence, se doit d’être un programme de rupture avec cette domination du capital financier et doit se concevoir comme un combat pour bloquer une offensive qui s’est prolongée sur des décennies maintenant. Affirmer une telle orientation, conduit à des réponses précises aux questions soulevées et nécessite des actions à la hauteur des défis auxquels nous devrons faire face. L’essentiel, c’est de fixer un horizon suffisamment long pour permettre à construire cette unité et pour rallier la majorité de la population.

Au niveau des moyens qui seront nécessaires pour faire reculer le gouvernement Couillard, les débats ne sont pas moins cruciaux. Peut-on sérieusement écarter d’emblée des moyens d’action comme la grève ? Comment dépasser les visites aux députéEs et les manifestations répétitives qui sont importantes pour construire la mobilisation, mais qui risquent de conserver une portée symbolique si elles ne se constituent pas un moment dans une escalade capable de confronter réellement le gouvernement ? Que signifient des actions dérangeantes et directes et quelles formes peuvent-elles prendre ? Pourquoi se rallier le premier mai prochain à une grève sociale comme le propose le FRAPRU ? Comment l’occupation durable d’une place (ou de places) par le mouvement social peut-elle permettre, comme on l’a vu en Espagne par exemple, d’approfondir la mobilisation et de forger sa détermination ? Et ensuite… Comment aller vers une grève générale reconductible si le gouvernement refuse encore de bouger ?

Ces débats sont incontournables et on doit pouvoir se donner les espaces publics et démocratiques permettant de les mener et de dégager des orientations unitaires à leur propos. Pour notre part, nous croyons qu’il faut tirer les leçons du fait que le « modèle québécois de concertation » est mort. Le choix de la résistance populaire n’a de sens que si cette résistance est résolue, avec un programme clair, des objectifs et des moyens d’action à la hauteur de l’offensive actuelle.

4. Chasser le gouvernement Couillard

Si le mouvement syndical et les autres mouvements sociaux n’hésitent pas à poser la nécessité de chasser le gouvernement Harper (les solutions avancées à ce propos restent en somme très insatisfaisantes), la nécessité de chasser le gouvernement Couillard est aussi incontournable. Il ne faut pas oublier que c’est la force du mouvement étudiant en 2012 et son impact dans la société québécoise qui ont obligé le Premier ministre Charest à précipiter des élections. Si les mobilisations extraparlementaires doivent être au cœur du combat, une perspective gouvernementale devient nécessaire si la crise politique engendrée par la résistance populaire conduit à la démission du gouvernement. Il faut pouvoir opposer une solution politique pour ne pas être dans l’obligation de se rabattre sur un Parti québécois dirigé par Pierre-Karl Péladeau qui mènerait une politique de même nature s’il était au pouvoir. Les perspectives politiques doivent aussi être en discussion y compris la perspective d’un gouvernement solidaire soutenu par les mouvements sociaux.


[1Conférence sur les politiques d’austérité de Philippe Hurteau de l’IRIS devant le Conseil général de la FNEEQ

[2Voir à ce propos le livre de Wolfgang Streeck, Du temps acheté, chez Gallimard

[3Un front social prend forme contre Couillard, Le Devoir, 5 janvier 2015

Bernard Rioux

Militant socialiste depuis le début des années 70, il a été impliqué dans le processus d’unification de la gauche politique. Il a participé à la fondation du Parti de la démocratie socialiste et à celle de l’Union des Forces progressistes. Militant de Québec solidaire, il participe au collectif de Gauche socialiste où il a été longtemps responsable de son site, lagauche.com (maintenant la gauche.ca). Il est un membre fondateur de Presse-toi à gauche.

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