Édition du 16 avril 2024

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Les attentats de Paris, 7-9 janvier 2015

Les attaques au siège social de l’hebdomadaire satirique Charlie Hebdo et dans un supermarché casher se sont soldés par la mort de 17 personnes. La plus grande sympathie est évidemment due aux familles et à l’entourage des personnes décédées, victimes innocentes d’enjeux qui les dépassent nettement.

(Publié dans Philo-Cégep)

Cela dit, il est indispensable de bien comprendre un certain nombre de choses, si l’on veut avoir la moindre prise sur les événements à venir. D’abord, il s’agit d’attaques militaires. Plus précisément, deux commandos ont été à l’œuvre, l’un à Charlie Hebdo, l’autre dans un supermarché casher (avant l’action préalable contre une policière). Ces commandos semblent avoir agi pour le bénéfice de groupes armés actifs au Moyen-Orient, en particulier le groupe État islamique et la branche Al-Qaïda du Yémen. Or le premier de ces deux groupes, au moins, est aux prises avec des bombardements occidentaux qui visent à freiner sa progression en Syrie et en Irak, et si possible à le faire reculer. Autrement dit, les puissances occidentales ont déclaré la guerre au groupe État islamique. Faut-il se surprendre que celui-ci organise sa riposte, en inspirant des actions certes limitées mais dont l’impact politique et psychologique est immense ? Dans ce contexte, ce qui est considéré en Occident comme liberté d’expression légitime est reçu, par la partie d’en face, comme une autre agression, sur le plan idéologique cette fois.

Le deuxième élément à considérer, ce sont les personnes qui ont réalisé ces attaques. Ce sont des personnes issues de l’immigration, qui vivotaient à faire des petits boulots et à commettre des petits larcins. Autrement dit, ce sont des personnes qui font partie de l’armée de réserve du capitalisme, utilisée par tous les patronats du monde pour faire les travaux les plus pénibles, à bas salaires. Or pour maintenir les salaires bas, il faut non seulement un afflux de travailleurs suffisant, mais il faut aussi que ceux-ci soient en surnombre. S’il s’agit en plus de personnes mal intégrées, qui se considèrent écartées de la vie nationale et ne voient guère d’avenir pour eux-mêmes et pour leurs enfants, on a tous les éléments d’un cocktail explosif.

C’est dans les prisons, semble-t-il, que ces personnes ont fait leurs classes, en se frottant à une idéologie et à des personnalités qui leur ont ouvert une fenêtre d’espoir dans une vie sans espoir. Il arrive que cette idéologie est une variante d’une religion particulière. En d’autres temps, il se serait agi d’une idéologie politique, comme cela s’est vu en Russie du temps des tsars.

Là-dessus, les pays occidentaux ont certes une réflexion à faire. La grande manifestation de Paris du 11 janvier 2015, avec son slogan « Je suis Charlie », regroupait nombre de dignitaires et de Français « de souche », mais a-t-on vu beaucoup d’Arabes ou de Noirs ? Les trois millions de Turcs vivant en Allemagne sont-ils minimalement intégrés à la vie nationale ? Ici même au Québec, combien d’enfants issus de l’immigration considèrent avoir d’autres perspectives que celles de vivoter en attendant des jours meilleurs ? Le printemps 2012, marqué par la grande révolte étudiante, a montré que même la jeunesse « de souche » a cru bon de se mobiliser pour exorciser la perspective d’un endettement impossible à éponger avec ses faibles revenus anticipés. Bref, toutes les catégories sociales fragilisées, marginalisées, tenues à distance des bons emplois, quand elles ne sont pas carrément stigmatisées, sont susceptibles de fournir leur contingent de desperados à la recherche d’une cause.

Le troisième élément à considérer, c’est l’islamisme lui-même. Il s’agit d’une variante de l’Islam, qui sert de drapeau à divers mouvements politiques et groupes armés actifs dans un certain nombre de pays arabes et d’autres pays musulmans. Ailleurs, on a vu des partis politiques se dirent démocrates chrétiens et on voit des dirigeants politiques clamer leur adhésion à quelque variante fondamentaliste du christianisme (l’ancien président américain George W. Bush, le premier ministre canadien Stephen Harper, et même le maire Jean Tremblay de la ville de Saguenay au Québec). Il va de soi, en Occident, qu’il s’agit là de réalités locales, dont doivent s’occuper les populations locales.

Mais pourquoi donc l’équivalent, dans les pays musulmans, appelle-t-il une réaction militaire occidentale ? Si l’Occident veut absolument intervenir, ne peut-il pas le faire en soutenant une partie locale ? Au pis aller, une guerre économique peut être entreprise, comme la guerre actuelle du prix du pétrole, qui a toutes les chances de faire ravaler à la Russie de Poutine ses velléités de s’agrandir aux dépens de ses voisins. (On suppose ici que la surproduction actuelle de pétrole par les Saoudiens a l’aval occidental et qu’elle vise à affaiblir la Russie, et d’autres pays comme le Vénézuéla.)

C’est qu’en fait, les dirigeants occidentaux utilisent l’islamisme pour leurs fins, comme ils utilisaient autrefois le communisme. L’idée, c’est de faire « freaker » la population, afin qu’elle se rallie à ses dirigeants et leur donne carte blanche en tout. C’était parfaitement évident à Paris, lors de la manifestation du 11 janvier 2015 : une première rangée de dirigeants occidentaux avec certains de leurs vassaux au Moyen-Orient et en Afrique, puis beaucoup de Français fiers de la France et de sa liberté d’expression. On a vu l’équivalent à Ottawa en octobre 2014, lors de l’attentat raté d’un certain Bibeau au Parlement.

Bref, les attentats de Paris étaient des opérations militaires, réalisées par des locaux marginalisés, au profit de forces extérieures indignées d’interventions militaires occidentales sur leur sol. Et ces dernières visent à préserver les intérêts économiques et politiques des Occidentaux à l’étranger, mais aussi à créer, en Occident, un épouvantail susceptible de renforcer un leadership qui peine à se maintenir, et pas seulement dans les sondages. La question est de savoir combien de temps l’épouvantail islamiste, ennemi de notre liberté d’expression, pourra continuer à jouer son rôle. Ce sera peut-être bientôt l’anarchisme, qui n’est ici qu’une variante du contrôle démocratique, et qui pourrait devenir, en cas de besoin, l’inspiration de gens assoiffés de sang et aussi ennemis de notre liberté d’expression. Mais si nos dirigeants ont un tel besoin de pareils expédients à court terme pour pallier leur manque de légitimité et d’ascendant, on peut légitimement se demander combien de temps ils pourront « tenir le fort ».

Mots-clés : Edition du 2015-01-20

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