Édition du 26 mars 2024

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Le blogue de Pierre Beaudet

La lutte au terrorisme

Ouf je suis rassuré. Stephen Harper vient encore une fois de nous sauver. Plus de liberté d’action aux policiers. Plus de sentences sans pardon. Plus de détentions sans procès, tout cela va assurer notre sécurité. Car avec les terroristes, il ne faut pas hésiter.

Mais quelques fois, cela me fait me demander…

C’était il y a 25 ans. En Afrique du Sud, la bataille contre l’apartheid en Afrique du Sud battait son plein. Des milliers de morts, de blessés, de torturés, de détenus. Dans le monde y compris dans notre plus merveilleux pays au monde, il y avait une grande campagne contre l’apartheid et pour appuyer la résistance sud-africaine. Oui vous avez lu, pour appuyer la résistance, y compris ses actions armées contre un régime sans foi ni loi.

À peu près tout le monde était d’accord avec cela au Canada sauf un petit groupe. Au centre de ce réseau d’endurcis se situait le multimillionnaire Conrad Black qui disait à tout le monde que l’Afrique du Sud de l’apartheid était le dernier rempart de la civilisation blanche. Autour de lui se trouvaient des chefs d’entreprise, surtout ceux qui avaient des intérêts en Afrique du Sud, où la main d’œuvre à bon marché rendait les investissements bien rentables. Et au-delà de ce cercle de business, il y avait aussi l’extrême droite canadienne qui prenait forme autour du Reform Party de Preston Manning et d’un certain jeune député du nom de Stephen Harper.

Harper par ailleurs appartenait à un think-tank de droite, la Northern Foundation, qui non seulement faisait campagne pour l’apartheid, mais se définissait autour des thèmes éculés de la droite nord-américaine (contre les droits des femmes, la défense de l’environnement, la « liberté » de posséder des armes à faux), comme la droite de la droite au sein du Parti Républicain.

Lors d’un débat à la Chambre des communes, des députés du Reform Party s’opposèrent à une motion demandant la libération de Nelson Mandela, un « terroriste » selon Conrad Black et ses amis.

À Montréal malheureusement, ces arguments délirants étaient repris par les médias, pour cause d’« objectivité ». Je me souviens notamment d’un « échange » à Radio-Canada où j’avais été invité et où la discussion commençait justement avec un discours de Black. Le visage très sérieux, le journaliste dont je tairai le nom disait justement qu’il fallait entendre les « deux côtés ».

Quand Nelson a été libéré et que l’ANC a gagné les élections (en 1994), tout le monde avait « oublié » cela. En fait, pas tout à fait le monde. Lors du décès du chef historique de l’ANC, j’ai été interviewé, toujours à Radio-Canada. J’ai parlé de cette complicité de la droite canadienne avec l’apartheid, le jour même où Harper s’en allait en Afrique du Sud pour les funérailles. Quelques minutes après mon entrevue, des responsables du bureau du Premier Ministre ont appelé M. Harper. Un monsieur de Radio-Canada, toujours aussi sérieux, m’a montré la porte car selon lui, je n’avais pas la « preuve matérielle » que Harper avait condamné Mandela à l’époque.

De vieilles histoires, dira-t-on. Mais peut-être pas si vieilles que cela.

Si l’ANC se battait encore aujourd’hui contre l’apartheid, je pense qu’Harper traiterait les combattants de la liberté de « terroristes ». Il mettrait les organisations de la résistance sur la « liste noire » qui permet au gouvernement canadien de sanctionner des citoyens qui appuieraient leur cause. D’autres mouvements de libération, en Angola, au Mozambique, au Salvador et ailleurs seraient classifiés comme « terroristes ». La police pourrait pourchasser les mouvements de solidarité …

On peut dire que ce n’est pas la même chose. C’est vrai qu’on ne peut pas comparer l’État islamique ou Al-Qaida avec les mouvements de libération de l’époque. M’étant battu une bonne partie de ma vie pour la cause de la liberté, je ne me reconnais pas dans ces mouvements. Dans d’autre cas, la situation est plus ambiguë. Par exemple, Hamas, un mouvement de résistance islamique qui a été mis au ban par Harper et ses équivalents, a une grande légitimité parmi la population palestinienne, car il est perçu d’abord et avant tout comme un rempart contre la colonisation israélienne. Il en va de même dans le cas du Hezbollah au Liban. Bien que ces mouvements reposent sur une idéologie sectaire et agissent de manière répréhensible notamment sur la question des droits des femmes, ce sont aux yeux des gens des mouvements de résistance, et non des terroristes. Les terroristes sur le terrain, on les connaît, ce sont les soldats israéliens.

Alors vous voyez qu’on est un terrain glissant avec la croisade des (néo)conservateurs. Les « terroristes » sont ceux qui combattent des régimes illégitimes avec qui le Canada a décidé de s’aligner. Les gens qui appuient ces luttes de résistance pourraient se retrouver dans l’eau trouble avec le SCRS ou la police.

Est-ce acceptable ?

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