Édition du 16 avril 2024

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Afrique

Kenya : djihadisme et impasse sécuritaire

Au moins 148 étudiantEs ont été assassinés par un commando d’islamistes radicaux, dans l’université de Garissa, région frontalière avec la Somalie. Cet odieux attentat ne peut qu’aggraver la situation des droits de l’homme dans ce pays.

Les corps de ces jeunes, alignés les uns à côté des autres, témoignent de l’horreur de cette attaque. Les djihadistes ont froidement exécuté ces étudiantEs chrétienEs dans la partie de l’université où ils s’étaient réunis pour une prière.

L’opération a été revendiquée par les Shebab qui sévissent en Somalie et fait suite à d’autres attaques, notamment à Nairobi la capitale, à Mombasa et Lamu, principales villes touristiques, et dans la partie est du pays, frontalière avec la Somalie. De nombreux attentats sont régulièrement commis dans les marchés, les stations de bus ou les églises. À Mandera, les djihadistes ont attaqué un bus tuant uniquement les passagers non musulmans. On se souvient du terrible attentat dans le centre commercial Westgate où des populations prises en otage ont été exécutées.

Débordement du conflit somalien

Les Shebab sont issus du gouvernement des tribunaux islamiques, gouvernement qui avait réussi à mettre fin à une guerre de plusieurs décennies entre les seigneurs de guerre locaux en installant une sorte de république islamique. Si l’intervention de l’Éthiopie a mis fin à ce régime, elle a par contre ouvert une ère nouvelle de guerre civile entre la partie somalienne soutenue par les occidentaux et les Shebab qui représentent l’aile la plus radicale des islamistes.
Ceux-ci ont intensifié leur action contre le Kenya en représailles à son intervention militaire en Somalie, sous le nom de code de Linda Nchi (protéger le pays en swahili) en octobre 2011. Leur but est de faire pression sur le gouvernement kényan afin qu’il retire ses troupes. Cet objectif est d’importance pour eux car ils perdent progressivement du terrain. Aussi un retrait desserrerait l’étau militaire dans lequel ils sont enfermés et représenterait une victoire psychologique.

Inquiétudes pour les populations

Cette série d’attentats dans le pays risque fort de nourrir une division religieuse entre chrétiens, largement majoritaires au Kenya, et la minorité musulmane. Cela d’autant que des attaques ciblées contre des dignitaires musulmans, radicaux ou non, se produisent depuis quelques années.

Les autorités s’en tiennent à l’explication d’un règlement de comptes entre factions rivales, mais il n’est pas sûr que les services de sécurité soient totalement étrangers à ces assassinats. Maintenir la cohésion de la population est un défi pour un pays qui a connu des conflits communautaires, exacerbés par des politiciens, notamment lors des élections présidentielles de 2007 qui avaient provoqué des milliers de victimes et la saisie de la Cour pénale internationale pour crime contre l’humanité.

Politiques discriminatoires

L’autre inquiétude est l’attitude des forces de police à l’encontre de la communauté Somali. En effet, depuis les attentats de Westgate, cette communauté ne cesse de subir une politique discriminatoire. Le gouvernement a adopté une loi antiterroriste qui, si ses articles les plus liberticides ont été retoqués par la Haute Cour, n’en demeure pas moins une épée de Damoclès pour les réfugiés somaliens. Ainsi, le délai de détention de 90 jours est augmenté à une année ; les réfugiés sont obligés de vivre dans les camps. Pour masquer une incapacité des services de sécurité à prévenir les attentats, liée principalement à un fort degré de corruption, les autorités kenyanes n’hésitent pas à désigner les immigrés somaliens, et plus généralement les musulmans, comme population dangereuse. Ainsi l’opération Usalama Watch, menée par les unités antiterroristes, a été l’occasion de nombreuses violations des droits humains. En effet, des cas de mauvais traitements, d’extorsions de fonds, d’expulsions vers la Somalie, de déplacements forcés dans les camps de réfugiés ont été constatés.

Les mesures militaires ou sécuritaires ne peuvent être à elles seules une réponse. Au mieux elles sont insuffisantes et au pire, et c’est souvent le cas, elles se retournent contre les populations en radicalisant encore plus les groupes djihadistes. Une réponse politique et économique, incluant les populations et répondant à leurs besoins sociaux, est la voie dans la lutte contre ces groupes islamistes radicaux.

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