Édition du 16 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Québec solidaire

Lettre ouverte aux membres de Québec solidaire sur la souveraineté

Bilan de la dernière année

Je me présente à nouveau au poste de responsable aux communications et je souhaite saisir cette opportunité pour rendre compte du sens de mon travail au Comité de coordination national (CCN) et des perspectives que j’y ai défendues.

Je crois que l’élection de membres de la direction d’un parti politique et à plus forte raison d’un parti politique progressiste doit se faire à la fois sur la base des qualités reliées aux fonctions pour lesquels ils ou elles se présentent mais aussi des perspectives politiques qu’ils ou elles entrevoient pour la prochaine période. Le rôle des membres de coordination nationale comme de tout autre poste électif consiste à mettre en œuvre les tâches auxquelles ses fonctions sont dédiées, mais également à participer aux débats inhérents aux défis auxquels nous faisons face et aux décisions qui en découlent.

Québec solidaire est un parti qui tire sa force de la mobilisation militante et des débats qui, avec en moyenne un congrès et un conseil national par année, a assuré une large participation de ses membres. C’est la vitalité essentielle avec laquelle nous nous renforcerons. Les différents points de vue doivent être présentés, débattus et ce sont les membres qui disposent.

Je veux tout d’abord tracer le bilan des principaux débats politiques auxquels j’ai participé, précisément durant la dernière année parce que la campagne électorale 2014 a marqué à mon avis un changement important dans la situation politique au Québec.

L’élection 2014 un point tournant pour la perspective souverainiste

À sa première réunion suite à l’élection du 5 avril 2014, le CCN a tiré un bilan en tenant compte de l’analyse du comité électoral. Nous avions saisi l’importance du changement politique qui venait de s’opérer et avions décidé de convoquer tout de suite une réunion des responsables des comités électoraux le 7 juin, afin de partager un premier bilan à chaud. Nous avons ensuite mis sur pied plusieurs chantiers en vue de la préparation du CN de décembre dont celui concernant la souveraineté dont je faisais partie. Le CN de décembre devait dans cette optique être un moment fort où nous pourrions prendre la pôle de la souveraineté dorénavant perdue par le PQ.
À la réunion de la direction nationale de septembre communément appelée Lac à l’épaule, nous avons fait rapport des différents chantiers sur lesquels nous avions travaillé durant l’été. Les conclusions apportées par le chantier souveraineté n’ont pas reçu l’écho attendu. Le Conseil National de décembre n’a donc pas été pensé en termes de momentum pour prendre prise sur cette ouverture qui venait de se créer sur la question de la souveraineté. Le PQ venait de perdre par sa propre turpitude toute prétention à réaliser la souveraineté et nous n’avons rien dit.

Nous n’avons rien dit non plus durant la course à la chefferie, comme s’il s’agissait d’une campagne interne qui ne nous concernait pas. Quelle erreur ? Ce fut pendant cinq mois une grande opération de séduction publique où après l’avoir mis à mort, les candidatEs à la chefferie ramenaient la stratégie souverainiste comme si rien ne s’était passé.

Malgré que le PQ ait fracturé le Québec en ostracisant la communauté musulmane et particulièrement les femmes, nous avons continué de considérer le PQ comme un joueur sur la patinoire souverainiste comme si rien ne s’était passé en 2014. Nous avions déjà débattu de cette question avant 2014 et à deux reprises rejeté en congrès toute alliance avec le PQ. Même si nous parlions d’alliances électorales, il y a tout de même un sens politique clair derrière ces décisions. Pourtant cette politique, qui semble toujours en filigrane, demeure notre pire adversaire.

Un premier bilan présenté au CCN

Au CCN de février auquel je n’ai pu assister, j’ai envoyé la lettre suivante : 
« Au Lac à l’épaule l’été dernier j’étais chargé de présenter les conclusions du chantier souveraineté. Ce rapport supposait que la dernière élection marquait un point tournant sinon un changement de période en ce qui concerne le PQ et la question de la souveraineté :

« Par ailleurs la crise du PQ est exacerbée par le choix de mener une campagne xénophobe et raciste sur la question de la charte des valeurs. C’était un choix conscient visant à gagner les élections en séduisant l’électorat blanc francophone de souche au détriment de toute possibilité de gagner un futur référendum sur la souveraineté. Ce qui a été bien exprimé par l’intervention de Maria Mourani. Pour gagner la lutte pour la souveraineté et un éventuel référendum, il est primordial d’unir les forces sociales provenant des différents milieux sociaux-culturels. La division profonde qu’il a créée lui rend dorénavant cette avenue impossible. »

Le document conjoncture quant à lui proposait l’analyse suivante :

« En l’absence de stratégie claire d’accession à l’indépendance et de vacuum de leadership dans le mouvement souverainiste, nous assistons aujourd’hui au renforcement clair des forces marquées par le volontarisme pour qui les incantations indépendantistes tiennent lieu d’analyse et de bilan de 40 ans de stratégie péquiste.(…) Dans ce contexte, il devient nécessaire pour QS de produire une analyse plus poussée des causes des reculs des forces indépendantistes, une analyse qui dépasse les cadres formels d’une rhétorique souverainiste plus ou moins marquée par la volonté de réaliser rapidement l’indépendance. »

Le bilan produit par le comité électoral soumis au CCN de mai 2014 indiquait ce qui suit.

La donne a changé

Le congrès de mai 2013 a majoritairement voté pour que « dans le cadre de la prochaine campagne électorale, Québec solidaire ne fasse alliance avec aucun autre parti politique », tout en demeurant « ouvert à toute action commune et à la collaboration avec tout groupe qui rejoindrait notre plate-forme ». Cette décision apparaît aujourd’hui comme pleinement justifiée dans le cas du Parti québécois. L’électoral progressiste n’aurait ni compris ni admis que QS s’allie de quelque façon que ce soit avec ce parti, compte tenu des gestes qu’il a posés et des positions qu’il a prises comme gouvernement en matière d’aide sociale, d’exploration, d’exploitation et de transport par pipeline du pétrole en territoire québécois ou encore de « Charte des valeurs »(…)

« La souveraineté a assurément perdu des points chez les communautés culturelles, en raison de la « Charte des valeurs » et du débat qui l’a entourée. Il ne sera assurément pas facile de remonter la côte chez cette partie de la population et cela est malheureusement vrai non seulement pour le PQ, mais aussi pour les autres forces indépendantistes dont QS. »

La lecture de l’article du Devoir du 23 février Vent nouveau sur le mouvement indépendantiste, [1] nous indique que cette analyse n’est pas reflétée dans notre message public. Je crois d’ailleurs que nous avons fait fausse route en prenant la position de ne pas intervenir dans la course à la chefferie. Malgré le fait qu’elle s’adresse aux membres du PQ, cette course a surtout comme objectif de rallier la population au PQ. Malgré leur peu ou pas de chances de gagner, les Alexandre Cloutier (épaulé par Véronique Hivon) et Martine Ouellet, participent à cette mascarade en visant plus particulièrement la clientèle QS. Le site Facebook de Martine Ouellet indiquait délibérément et faussement que des dirigeants de QS participaient à son investiture. Le président du syndicat des Métallos Daniel Roy a lancé l’appel à tous les progressistes et souverainistes à prendre leur carte du PQ pour soutenir Martine Ouellet.

Je crois que nous ne livrons pas le bon message présentement. La course à la chefferie sert d’écran de fumée pour masquer la division profonde que le PQ a créée dans la population québécoise lors de la dernière campagne électorale. Cette campagne sur la charte des valeurs a tué toutes ses possibilités d’un référendum gagnant et les dirigeantEs du PQ le savent très bien. En fait l’appel de Véronique Hivon sert à refaire une virginité politique au PQ sur la question de la souveraineté en l’associant avec d’autres intervenants dont nous. Alors évitons de devenir leur caution de gauche, leur instrument pour redorer leur blason.

Nous ne pouvons pas agir comme s’il ne s’était rien passé lors des dernières élections. Il y a eu au Québec une véritable fracture et les valeurs identitaires liées au projet souverainiste du PQ sont au cœur de cette fracture.

Nous sommes les seuls objectivement qui pouvons avancer une perspective pour la souveraineté, parce que pour la réaliser il faut unir les gens et non les diviser. Les unir dans un projet qui améliorera leurs conditions de vie. Ce n’est pas du sectarisme de dire ça, c’est la réalité.

Toute autre attitude aidera le PQ à se refaire une crédibilité comme acteur souverainiste et nous serons les grands perdants. Par ailleurs, quel message envoie-t-on aux communautés issues de l’immigration ? On leur dit que le PQ est un joueur avec lequel on peut s’associer dans la vision d’un Québec souverain ? On les envoie directement dans les bras de Couillard.

Malgré de bonnes intentions dans notre bilan à la suite des élections, nous n’avons pas véritablement pris en compte ce changement de situation politique et nous n’avons pas véritablement modifié notre stratégie. Cela a eu également des impacts au Conseil national. Nous avons en tant que direction, proposé de prendre une place importante dans le débat concernant la souveraineté mais nous sommes demeurés au niveau des généralités en ce qui concerne le message. Le peu de place et le peu d’encadrement que nous avons accordé à cette question a eu pour conséquence de banaliser ce débat. Nous avons raté une occasion de marquer un point en indiquant que dorénavant la question de la souveraineté se poserait différemment pour nous et que le PQ était dans un cul de sac. Nous n’avons pas préparé nos membres ni nous-même à cette perspective.

Finalement on doit considérer la course à la chefferie avant tout comme une occasion pour le PQ de claironner l’appel au renouveau à travers le couronnement d’un sauveur, mais certainement pas un lieu de débat qui permettrait de surmonter les causes du pire résultat électoral de ce parti depuis sa fondation. PKP l’a bien compris en évitant les débats. Faut-il ajouter qu’avec l’exploitation du pétrole de schiste dans l’Ile d’Anticosti et le golfe du St-Laurent, ainsi qu’avec l’autorisation sans examen du BAPE du transport du pétrole des sables bitumineux de l’Alberta, le PQ a été le parti du renouveau du plan nord de Jean Charest et des concessions aux compagnies minières et forestières. Il s’était aussi prononcé en faveur du traité de libre-échange Canada-Europe, qui défavorisait l’économie québécoise, en particulier celle de la production de fromage. Ce parti a fait la preuve qu’il est ancré dans une politique néolibérale. Ceux et celles qui s’y prétendent progressistes devraient cesser de prioriser leur carrière et joindre les actes à leur parole. Dans ce contexte la main tendue constitue un piège que nous devons leur retourner.

En terminant je vous laisse avec un extrait du dernier livre de Mathieu Bock-Côté :
« La défaite du Parti québécois n’est pas une défaite comme les autres. Elle compromet son existence. Et quoiqu’on en dise, c’est l’indépendance comme projet politique qui risque aussi de mourir. Il se peut, tout simplement, que la « marque PQ » soit définitivement brulée… » [2]

Le PQ dans la continuité néolibérale

Ce parti a démontré depuis longtemps que sa perspective économique est en continuité avec les projets libéraux. Louise Harel l’a d’ailleurs bien exprimé dans un article publié dans La Presse où elle expliquait comment le PQ avait réussi à faire accepter les milliers de coupures dans les services publics par consensus social sous Lucien Bouchard alors qu’avec les Libéraux c’est l’affrontement.  [3]

L’accession à la souveraineté est une lutte contre la domination économique de l’establishment canadien qui ne se laissera pas départir sans réagir. C’est définitivement une lutte qui demande une mobilisation et un rapport de force où la population s’impliquera dans la mesure où elle voit dans ce projet l’amélioration de son sort et de ses conditions de vie. Le PQ au contraire a brisé les aspirations sociales, il ne réalisera pas l’indépendance et Péladeau le sait. Son plan consiste plus à entretenir cette illusion avec des concepts de rupture avec le fédéralisme. Mais d’ici-là QS risque de perdre des plumes s’il ne prend pas la place qu’il doit occuper.

Québec solidaire doit prendre l’offensive

Il est plus que temps de cesser de considérer le PQ comme un acteur de la souveraineté, il est temps de rompre avec cet entourage qui ne souhaite que son élection et la disparition de QS. Lors de la soirée d’élection Gilles Duceppe et Mario Beaulieu ont donné leur appui à Péladeau et au PQ. Le Oui Québec malgré ses changements, entretient toujours la mystification de la grande famille souverainiste. Famille dont nous ne faisons pas partie, nous refusons le nationalisme identitaire qui s’oppose aux communautés issues de l’immigration, nous refusons que la population soit victime des politiques d’austérité avec un PQ qui n’a de souverainiste que le nom.

Aujourd’hui le rôle de rassembleur souverainiste que va jouer Péladeau n’a d’importance que dans la mesure où il court-circuite l’influence de QS en ralliant son électorat souverainiste à sa cause. Son appel explicite à l’électorat de QS rapporté par Radio-Canada le 19 mai le confirme et fait suite aux commentaires de l’ex-député du PQ Pierre Paquette lors de la soirée du couronnement de Péladeau : « Ce message ne s’adresse pas à la direction de QS, ce n’est pas un appel au rassemblement mais un appel à la base électorale de QS à joindre le PQ dans son projet souverainiste avec Péladeau ».

Durant les trois prochaines années nous aurons à prendre cette place et affirmer haut et fort que nous sommes les seuls, avec l’exception possible d’ON, avec qui la souveraineté est réalisable. Nous devrons affirmer que le PQ est arrivé à la fin de sa vie utile comme prétendant à la souveraineté et depuis longtemps comme prétendant à la justice sociale. C’est uniquement dans cette mesure que nous arriverons à gagner les forces militantes à se joindre à nous et à rejoindre un électorat pour qui les enjeux apparaîtront plus clairement.


[2L’indépendance les conditions du renouveau, p.18 »

[3La Presse, 4 mai 2015

André Frappier

Militant impliqué dans la solidarité avec le peuple Chilien contre le coup d’état de 1973, son parcours syndical au STTP et à la FTQ durant 35 ans a été marqué par la nécessaire solidarité internationale. Il est impliqué dans la gauche québécoise et canadienne et milite au sein de Québec solidaire depuis sa création. Co-auteur du Printemps des carrés rouges pubié en 2013, il fait partie du comité de rédaction de Presse-toi à gauche et signe une chronique dans la revue Canadian Dimension.

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