Édition du 16 avril 2024

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Politique d’austérité

Le débat sur la grève sociale

Depuis déjà plusieurs semaines, les organisations syndicales et populaires discutent d’un projet de grève sociale qui serait un moment fort dans la lutte contre l’austérité. Il est en effet évident que le gouvernement de choc qu’on a à Québec n’entend rien céder dans sa réingénierie néolibérale, ce qui implique des assauts massifs contre les conditions de vie et de travail de tout le monde.

C’est pour cela que la Fédération de la santé et des services sociaux de la CSN a résolu la semaine passée de proposer une discussion sur la question d’une grande grève à l’automne. Cette semaine, d’autres fédérations, notamment la FNEEQ, doivent aborder comment préparer les mobilisations de l’automne.

Le débat est important et plus complexe que ce qu’en disent certains « n’y-à-ksa-istes ». La question n’est pas simplement le principe de la grève, mais ses modalités, son timing, sa dynamique.

Une grève est sociale parce qu’elle implique toute la société : ce n’est pas une grève « ordinaire » pour défendre les droits des travailleurs et des travailleuses dans un secteur en particulier. Ainsi, une grève « générale » dans le secteur public par exemple, ne serait pas en soi une grève « sociale » (même si le Front commun du secteur public qui rallie presque tous les syndicats en question serait absolument énorme et significative).

Il y a eu dans le passé une grande grève sociale au Québec, en avril 1972. Les syndiqué-es de tous les secteurs, mais également de vastes secteurs de la population, sont sortis dans la rue un peu partout au Québec. Certains ont occupé des villes. Les perturbations ont été majeures pendant plusieurs jours. En décembre 2003 lorsque le gouvernement Charest a voulu imposer des mesures draconiennes contre le secteur public, fermer les CPE et confronter les étudiants, il y avait eu une telle convergence, quoiqu’à une plus petite échelle.

Une grève sociale n’est donc pas une mince affaire. En général, cela arrive « par en bas », quand le ras-le-bol est général. On sent alors qu’une grande partie de la population est prête à se battre, quitte à prendre des risques (pertes de salaires, renvois, intimidation, etc.). Des mobilisations partielles se généralisent, passent d’un secteur à l’autre, d’une région à l’autre. Il y a convergence entre les militant-es et les membres. Cela provient parfois d’une politique trop agressive ou répressive de l’État, face à laquelle tout le monde se sent interpellé.

Pour que cela fonctionne, ce mouvement « par en bas » doit être soutenu par les structures et les lieux où se prennent des décisions dans les syndicats et les mouvements populaires. Ce soutien peut être actif, explicite, accentué, ou minimalement, il peut être passif, complice si on peut dire, sans que les directions ne prennent un rôle de leadership. De manière générale, ces directions sont prudentes. Elles ne veulent pas se lancer dans des « aventures » sans lendemain.

Autrement dit il faut la rencontre de plusieurs processus pour qu’une grève sociale soit un succès.

Voyons voir ce qui se passe maintenant au Québec. Les mobilisations de l’automne, de l’hiver et du printemps ont démontré la colère et la résistance de plusieurs dizaines de milliers de personnes. Des coalitions, des réseaux se sont consolidés. Les regroupements en région réunissant syndiqué-es, groupes communautaires et étudiants et parfois même municipalités et institutions locales ont fait la différence qui expliquent les milliers de participant-es dans toutes les régions du Québec, comme jamais auparavant.

Pour autant, on constate également plusieurs obstacles pour que la grève sociale prenne forme. Au sein du mouvement syndical, il y a plusieurs clivages dont le plus important est celui qui existe entre le secteur public et le secteur privé qui, jusqu’à présent, ne s’est pas beaucoup manifesté (à part quelques exceptions). Pour le moment, on ne sent pas un grand enthousiasme dans les syndicats du privé à la CSN et à la FTQ pour embarquer dans cette grève sociale. Il y a un sentiment important que l’enjeu actuel concerne d’abord et avant tout le secteur public, et que, par conséquent, ce n’est pas tout le monde qui est touché.

D’autres fractures traversent le mouvement syndical, entre les diverses centrales notamment. C’est la CSN qui porte le flambeau, ce qui ne veut pas dire que la FTQ, la CSQ et d’autres syndicats indépendants ne veulent pas en entendre parler, mais ces organisations restent attentistes. C’est tout cela dont il sera question dans l’articulation des plans d’action des syndicats dans les prochains mois.

Une autre bataille à gagner est pour établir la convergence entre le mouvement syndical et les autres mouvements populaires. Durant la grève étudiante du printemps 2015, la jonction ne s’est pas vraiment faite avec le mouvement étudiant, qui est pourtant un gros contingent combatif dont il faut tenir compte. D’autres mouvements notamment du côté des écologistes et de la FFQ doivent aussi dans le coup, ce qui n’est pas encore tout à fait le cas.

Enfin, une grève sociale, on l’a dit auparavant, ne peut pas être le seulement fait des organisations, même si elles jouent un rôle très important. Il faut aussi que cela vienne de la « multitude » des citoyens et des citoyennes dont plusieurs ne sont pas membres d’organisations, entre autre de syndicats. On a vu cette mobilisation autour des Carrés rouges au printemps 2012. Ce n’était pas une grève sociale, mais une mobilisation de centaines de milliers de personnes, qui a eu un poids immense. Lors de ce « moment magique », on a vu la bataille des idées basculer vers le mouvement populaire. On a vu l’intellectualité de droite, les médias-mercenaires, les porte-étendards du 1% et leurs larbins parlementaires se contracter, hésiter, trébucher. Sans avancer dans cette bataille des idées, le mouvement populaire ne peut briser l’encerclement.

Aujourd’hui, on n’est pas rendus là, mais tout ça peut changer.

Les débats à venir dans les prochaines semaines au sein de divers syndicats et fédérations seront un indicateur de la capacité des mouvements de se préparer pour l’automne. Il faudra évidemment faire suivre ces congrès et rencontres d’actions sur le terrain, sans compter 1000 moments d’« éducation populaire », à petite et grande échelle, absolument fondamentaux, absolument nécessaires. La relance de l’ASSÉ, après avoir pansé certaines plaies héritées de la grève de 2015, sera également un autre facteur. On sait que des - étudiant-es veulent se joindre aux mobilisations en région contre les méga projets pétroliers qui menacent tout le monde. Il y aura également des discussions entre les mouvements et les coalitions, notamment le Collectif contre l’austérité et la Coalition Mains Rouges.

Entre tout cela, il y aura des occasions de rencontres, de réseautage, d’amitiés et de débats, comme le Festival des solidarités organisé par Alternatives (13 juin) et l’Université populaire des NCS (21-23 août).

Allez camarades, il y a du boulot…

Robert Deschambault

Militant CSN

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