Édition du 26 mars 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Europe

Succès fulgurant de l'extrême-droite scandinave : quelles leçons pour le Québec ?

L’extrême droite européenne n’est plus ce qu’elle était. Elle a subi des mutations avec comme objectif de trancher avec son passé anti-sémite et associé au nazisme pour recentrer son discours sur des thèmes anti-systémiques et islamophobes. Il s’agit donc d’une réalité politique très variable. Elle arrive à s’adapter, tel un caméléon, aux circonstances sociales et politiques du moment ainsi qu’en fonction de son public, des milieux auquel elle s’adresse. Néanmoins il existe une logique commune et constante. Le cœur du discours, de l’idéologique de l’extrême droite, c’est toujours la phrase : « Les êtres humains sont inégaux par nature, certains nous sommes naturellement plus proches que d’autres. » A partir de là, différentes constructions politiques et idéologiques sont possibles. »

Des succès certains

Ce qui a d’abord frappé l’imaginaire, ce sont les succès électoraux récents de plusieurs partis d’extrême-droite en Europe, particulièrement en Scandinavie, région plutôt connu pour sa qualité de vie et sa démocratie. Le 19 avril dernier, le parti des Vrais finlandais obtenait 17,6% des voix et 38 élues aux élections législatives devenant ainsi le 2e parti du pays. Il a quadruplé son pourcentage de voix obtenues. En septembre 2014, en Suède, le parti des Démocrates suédois a fait tombé le gouvernement social-démocrate et a obtenu 49 sièges sur 249 (12,9% des voix) confirmant sa percée survenue 2 ans auparavant (20 éluEs). Une alliance de tous les partis traditionnels allant des socio-démocrates jusqu’à la droite conservatrice classique a été formée afin de bloquer le chemin à la formation d’extrême droite, une opération qui ne semble pas donner les résultats escomptés. (2) La social-démocratie a été reléguée à la 4e position lors de ce scrutin derrière les conservateurs, les centristes et l’extrême droite.

En Norvège, les populistes sont déjà au gouvernement grâce à une coalition avec les conservateurs. Ils occupent même des postes clefs, comme au ministère de la Justice. Le Parti du progrès a remporté 22,9 % des suffrages aux législa­tives de 2009, ce qui en fait la première ­force d’opposition en Norvège.

Enfin, au Danemark, l’extrême droite est arrivée en tête aux dernières européennes. Le Parti du peuple danois, avec 13,8 % des voix, est le troisième parti représenté au Parlement. (3) Lors des Européennes de 2014, le parti d’extrême-droite Dansk Folkeparti (Parti populaire danois) a remporté la victoire avec 26,6% des suffrages, devant les sociaux-démocrates du Socialdemokratiet (19,1%), le parti au pouvoir dans le pays depuis 2010 et les libéraux (16,7%).

L’extrême droite renait sur les cendre d’une social-démocratie convertie au néolibéralisme. La coalition sociaux-démocrates-verts suédoise a fait patate après quelques mois au pouvoir seulement. En Suède comme partout en Europe, la gauche de gouvernement glisse vers le centre et converge avec la droite libérale. « Les sociaux-démocrates et les partis bourgeois sont tellement proches qu’il ne serait pas étrange qu’ils forment un gouvernement de coalition », résume Pehr Gyllenhammar, ancien président de Volvo. (4)

Qui appuient l’extrême droite ?

Selon Jean-Yves Camus, Les électorats se révèlent très différents d’un pays à l’autre, mais partout ces partis captent une part importante du vote populaire, des électeurs parfois appelés “perdants de la mondialisation”, qui se trouvent désormais aussi au sein des classes moyennes et chez les jeunes de 18-25 ans dépourvus d’éducation universitaire. La variable du diplôme joue pour beaucoup. Ce qui ne signifie pas que ces électeurs sont plus « primaires » que les autres mais simplement qu’ils sont plus vulnérables et davantage touchés par les délocalisations, le chômage, les déficits de formation professionnelle, etc. (5)

Discours économique et sociale

Comme le souligne Bertold du Ryon (6) le cœur du discours de l’extrême droite tourne autour du refus de l’ « autre » :« Nous ne voulons pas payer pour eux ! » Les variables de la définition du « eux » dessinent les contours du discours l’extrême droite : le eux des immigrantEs (musulmans), des chercheurs d’emplois, des déclasséEs, des « fainéants » (Espagne, Portugal, Italie) et des gens qui vivent au-dessus de leurs moyens (Grèce).

Les propositions politiques qui en découlent visent à s’attaquer à ces « problèmes » : coupures drastiques dans les budgets de l’Etat, réduction ou arrêt de l’immigration et même expulsion des « mauvaiEs » immigréEs et des sans papiers, érection des « murs » contre les migrants, etc.

L’extrême-droite sait aussi s’approprier des thèmes qu’il travestit et redéfinit à son avantage. Ainsi, la défense des droits des femmes est au centre des discours sur les « harems musulmans » et le port de la burka par les femmes emprisonnées par la religion musulmane et est instrumentalisé comme combustible au discours islamophobe. On défend la souveraineté des pays contre les diktats de l’Union européenne. On tient même à l’occasion un discours « anti-systémique » qui laisse croire à une mouvance anti-capitaliste. On s’approprie les thèmes de la liberté (pour qui ?), de la communauté ou du sort des classes subalternes. Bien sûr, ce ne sont que des hameçons destinées à appâter un électorat déboussolé par les reniements de la gauche et l’offensive de la droite et qui craint les reculs sociaux provoqués par les politiques d’austérité. Mais ça marche. Des pans entiers des catégories populaires qui votent en masse pour les partis de gauche sont aujourd’hui séduits par les discours de l’extrême-droite.

Des leçons pour le Québec

Nous le voyons, l’extrême-droite sait tel le caméléon se parer de couleurs « acceptables », travestir les mots pour les récupérer et leur donner une nouvelle signification, instrumentaliser une nostalgie qui s’appuie sur un passé idéalisé. Elle ne parade plus en chemises brunes ou noires mais bien en costume-cravate. La nouvelle extrême-droite européenne s’est construite sur ces bases au cours des récentes années. Comment ne pas faire un parallèle avec la situation qu’à connue le Québec lors du débat sur les « accomodements raisonnables » et la Charte des valeurs du PQ. Tel le pompier pyromane, le ministre Drainville s’est efforcé de créer les condition pour l’émergence d’une nouvelle droite, une droite identitariste islamophobe.À la vieille extrême-droite québécoise des pro-vie, des ultra-nationalistes et d’une certaine hiérarchie catholique et des folkloriques Bérêts blancs s’ajoute aujourd’hui une nouvelle génération. La tentative de Pegida de tenir une manifestation à Montréal en mars dernier doit être interprétée comme un signal que cette mouvance est en phase de décomplexification. Plusieurs groupuscules apparaissent (Les Penseurs patriotes, le Front nationaliste chrétien, etc. (7)) . D’autres mouvances identitaristes ont été identifié dans l’entourage du PQ et de PKP même si plusieurs membres et éluEs péquiste ont voulu s’en dissocier. Des sympathisantes du PQ ne cachent pas leur sympathie pour le Front national français. Ou en reprennent le discours. Des militantEs d’extrême-droite de France d’Italie et du Québec se sont réunis le 28 mars dernier à Montréal à l’invitation de la Fédération des québécois de souche. (8) Les radio d’extrême-droite qui se sont implanté à Québec essaiment dans plusieurs régions entretiennent le discours de cette mouvance tout comme les chroniqueurs de Québecor et le Réseau liberté Québec.

Le temps n’est pas à la banalisation. On a pu voir en Europe comment l’extrême-droite peut se développer rapidement dans le contexte de crise économique et d’austérité qui domine encore notre paysage politique, de discours alarmistes sur « l’islamisation du monde », d’espoirs déçus par la gauche réformistes qui a abandonné toute politique de rupture avec le système capitaliste et trahit systématiquement leur programme pour appliquer la même politique que la droite libérale. La campagne identitariste du PQ jette le cadre d’une conjoncture qui pourrait favoriser l’apparition d’une extrême-droite organisée au Québec. Faisons en sorte qu’il n’en soit pas ainsi. Construisons une authentique alternatives politiques progressiste qui saura répondre au défis d’un capitalisme qui n’offre comme perspectives que la destruction de l’environnement, l’appauvrissement de la grande majorité de la population, une démocratie de plus en plus restreinte, la haine de « l’autre » et la barbarie guerrière. Et, comme lors de la tentative de manifestation de Pegida, mobilisons-nous lorsque l’extrême-droite tente de sortir publiquement. Ne lui laissons aucune chance de se développer.

Notes

1- http://tantquillefaudra.org/actu/article/extreme-droite-europe

2- http://www.letemps.ch/Page/Uuid/bcb3ac3a-8f8d-11e4-9ac8-723e124a5af7/En_Suède_un_accord_historique_contre_lextrême_droite

3- http://www.lefigaro.fr/international/2011/07/26/01003-20110726ARTFIG00548-l-extreme-droite-une-force-majeure-en-scandinavie.php

4- http://geopolis.francetvinfo.fr/extreme-droite-en-suede-aussi-48383

5- http://www.lesinrocks.com/2012/05/29/actualite/le-fantasme-dune-arme-de-nonazis-11262225/

6- Voir note 1

7- http://www.causecommune.net/publications/ruptures/ruptures-no-4/retour-vers-le-passe-portrait-de-l-extreme-droite-au-quebec.html

8- http://www.lapresse.ca/actualites/201503/01/01-4848577-lextreme-droite-se-reunit-a-montreal.php

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