Édition du 16 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Québec

Pourquoi les élites nationalistes refusent de mener le combat pour l’indépendance jusqu’au bout !

Québec solidaire est convié d’en finir avec son exil et de rejoindre la grande famille souverainiste. En fait, on nous dit qu’il devrait reconnaître que la seule coalition souverainiste véritable, c’est le Parti québécois lui-même. Québec solidaire est également houspillé. Ce parti ne serait pas vraiment souverainiste. Il divise le vote du camp indépendantiste. Pour les plus véhéments, il est un instrument qu’il le veuille ou non du camp fédéraliste. Le plus étonnant, c’est que ces propos contradictoires sont parfois tenus par les mêmes personnes qui ne craignent pas l’incohérence.

L’Indépendance est une rupture

En fait, la famille souverainiste est un mythe qui trouve son principal fondement dans l’appel au ralliement de toutes les classes sociales de la société québécoise derrière les élites nationalistes. Pour masquer la nature de cet appel, on prétend se porter à la défense d’une indépendance sans contenu, une indépendance vidée de tout projet de société où les capitalistes de choc, les féministes, les syndicalistes et les écologistes pourraient se rassembler pourvu qu’ils (elles) puissent faire abstraction de tous les enjeux sociaux et nationaux qui les mobilisent.

Les gouvernements péquistes ont pourtant dissipé les illusions de plusieurs sur cette indépendance sans contenu. Les politiques mises de l’avant par les gouvernements péquistes, particulièrement depuis l’ouverture de la période néolibérale, ont démontré que la société que ces élites veulent construire ne correspond pas aux intérêts de la majorité populaire qui compose l’essentiel de la société québécoise.

L’indépendance passera par des changements structurels et le renforcement de l’organisation et de la mobilisation des classes populaires

Québec solidaire en liant le projet social et le projet national, pose la question de la nature de l’indépendance que nous voulons. Elle pose également que c’est par l’organisation et la mobilisation de cette majorité populaire de la nation qu’on pourra mettre fin à la domination de l’État fédéral.

L’indépendance du Québec sera véritable, si elle s’inscrit dans le refus de toutes les formes de domination économique, politique et culturelle qui nourrissent notre oppression nationale. L’indépendance passera par la confrontation de la domination du capital sur la société québécoise.

”L’expérience prouve que les mouvements de gauche peuvent arriver au gouvernement, mais ils ne détiennent pas pour autant le pouvoir. La démocratie, c’est-à-dire l’exercice du pouvoir par le peuple et pour le peuple, requiert bien davantage.(...) Quand une coalition électorale ou un parti de gauche arrive au gouvernement, il ne détient pas le pouvoir réel : le pouvoir économique (qui passe par la possession et le contrôle des groupes financiers et industriels, des grands médias privés, du grand commerce, etc.) demeure aux mains de la classe capitaliste, le 1 % le plus riche, et encore !, c’est moins de 1 % de la population. De plus, cette classe capitaliste contrôle l’État, l’appareil judiciaire, les ministères de l’Économie et des Finances, la banque centrale... (...) Pour réaliser de réels changements structurels, il est fondamental de mettre en place une relation interactive entre un gouvernement de gauche et le peuple. Ce dernier doit renforcer son niveau d’autoorganisation et construire d’en bas des structures de contrôle et de pouvoir populaire. Cette relation interactive, dialectique, peut devenir conflictuelle si le gouvernement hésite à prendre les mesures que réclame la « base ». Le soutien du peuple au changement promis et la pression qu’il peut exercer sont vitaux pour convaincre un gouvernement de gauche d’approfondir le processus des changements structurels qui implique une redistribution radicale de la richesse en faveur de celles et ceux qui la produisent. C’est également vital pour assurer la défense de ce gouvernement face aux créanciers, face aux tenants de l’ancien régime, face aux propriétaires des grands moyens de production, face à des gouvernements étrangers. [1]

Une incapacité congénitale des élites nationalistes de mener la lutte pour l’indépendance à la victoire

Les élites nationalistes ne sont pas prêtes à mener ce combat jusqu’au bout, car elles refusent d’assumer que le pouvoir ne se limite pas à une députation majoritaire dans un parlement. Ces ruptures avec l’oligarchie économique et politique, les directions péquistes s’y sont toujours refusées. Quand Pauline Marois avait osé soulever que l’indépendance québécoise pourrait entraîner une période d’instabilité, elle avait été ouvertement condamnée par son parti. Cette vérité devait rester sous le boisseau.

L’exercice du pouvoir provincial par le Parti québécois a permis que se forme une direction de politicien-ne-s d’abord préoccupés de la création des conditions de la consolidation du capital québécois. Pour une bonne part d’entre eux, ces rapprochements avec la bourgeoisie québécoise réelle, qui cherche d’abord à s’inscrire en bonne position dans la mondialisation de leurs affaires, le projet indépendantiste n’a pas de sens. Durant les référendums, les affairistes se sont rangés pour une vaste majorité du côté des fédéralistes. C’est pourquoi on a vu certains de ces éléments s’éloigner de la perspective de souveraineté et se mettre au service des pétrolières, des gazières et du gouvernement fédéral (Bouchard, Boisclair, P.-M Johnson. ) ou organiser la droite pour tenter de mettre la rhétorique souverainiste dans les poubelles de l’histoire (François Legault et la CAQ).

Plus grave, encore, le gouvernement Marois a montré jusqu’où pouvait aller la recherche de bonne entente avec l’oligarchie. La politique d’austérité et la culture du déficit zéro de ce gouvernement s’inscrivaient dans la continuité de la politique du ministre libéral Raymond Bachand. L’ouverture du gouvernement Marois au passage des oléoducs de l’ouest au Québec en a surpris plus d’un. L’investissement dans l’exploitation du pétrole d’Anticosti a été une initiative du gouvernement péquiste. Le soutien aux accords de libre-échange nord-américains et canado-européens signifie que ce parti donne la priorité à la supposée ouverture de débouchés pour les entreprises, à la possibilité de défendre les services publics à la population.

Son incapacité de mener le combat indépendantiste et le repli vers l’impasse identitaire

En jouant la carte identitaire, en revivifiant le nationalisme canadien-français, et en stigmatisant des secteurs les plus vulnérables de notre société au nom d’une laïcité falsifiée, et tout cela pour des motifs électoraux, le gouvernement Marois a nourri les divisions au sein du peuple qui a permis à un parti fédéraliste de se présenter comme un instrument de la défense des droits démocratiques des minorités ethniques. La terrible défaite qui a suivi ces basses manoeuvres a été le prix à payer pour avoir marginalisé l’indépendance de ses discours et de ses combats. L’incapacité du PQ de présenter une quelconque stratégie de lutte pour l’indépendance, de renforcer l’adhésion d’une majorité populaire à cette perspective de libération nationale, la volonté de remettre aux calendes grecques les batailles décisives a renforcé le parti de l’abstentionnisme et dégoûté le plus grand nombre... par sa pusillanimité.

La lutte pour la rupture avec le PQ, la voie incontournable du dépassement de l’impasse actuelle

Maintenant, en élisant un des grands patrons du Québec, un magnat des mass media, Pierre-Karl Péladeau et en le présentant comme le dirigeant attendu pouvant mener le Québec à l’indépendance, les membres du Parti québécois ont démontré l’élitisme foncier qui les inspirait. Comme si l’indépendance n‘était pas d’abord une grande lutte démocratique qui devait être menée par le peuple dans une démarche de souveraineté populaire authentique pouvant se concrétiser par l’élection d’une constituante.

D’ailleurs ce chef, dont les réflexes démocratiques sont fort peu aiguisés, ne s’est même pas donné la peine d’esquisser la stratégie qu’il défendrait à la direction du Parti Québécois. Il s’est contenté de reporter à plus tard, quand les élections seront suffisamment proches, pour que la volonté de reprendre le pouvoir soit si puissante que la question des nécessaires ruptures avec l’État canadien soit encore une fois remis au surlendemain. Sur l’ensemble des grands enjeux sociaux et environnementaux, il surprend, puis il recule, pour mieux attendre son heure. La question du pipeline Énergie est, c’est pas si simple, c’est complexe a-t-il déclaré. Puis, il recule, et se range à la dernière position adoptée par son parti. Il commence à comprendre comment doit se comporter un parti d’ opposition... sur le terrain environnemental, particulièrement dans la conjoncture actuelle.

Le PQ sera-t-il contre l’austérité. Contre les coupures. Bien sûr, tant qu’il sera dans l’opposition. Ce nouveau chef devra comprendre ce qu’est une opposition... keynésienne. Il apprendra que la prise du pouvoir permettra sa mutation d’un parti d’opposition keynésienne en un gouvernement néolibéral... L’opposition politique nécessite une posture “progressiste”. Que ce patron de combat ait de la difficulté à se mouvoir dans ses nouveaux habits n’est guère surprenant.

Une nouvelle montée de l’indépendantisme au Québec impliquera une redéfinition radicale du combat indépendantiste.

Cette nouvelle montée ne pourra pas s’appuyer sur les actes de rupture gouvernementaux suite à un éventuel retour du PQ au pouvoir. Elle ne pourra s’inscrire que dans des combats qui cherchent à briser les cercles de nos asservissements qui font peser sur le peuple québécois la domination du capital :

 Une politique d’austérité pour favoriser la concentration des richesses vers les sommets et une privatisation des services publics pour ouvrir d’autres airs d’investissements et d’accumulation ;
 Les stratégies pétrolières (et le tournant pétrolier) défendues par le capital canadien et américain et ses associés juniors québécois ;
 Les accords de libre-échange imposé par le gouvernement fédéral (à laquelle s’est allié le Parti québécois, dont un ancien chef de ce parti Pierre-Marc Jonhson) ;
 Le pillage de nos ressources minières et forestières soutenu par un Plan nord que le gouvernement Marois avait rebaptisé, mais qu’il n’avait pas rejeté.

Une nouvelle montée de l’indépendantisme au Québec ne passera pas à côté de la nécessité de confronter les partis fédéralistes, et particulièrement le gouvernement au pouvoir, le gouvernement Harper. Le retour de Gilles Duceppe nous place devant la même irresponsabilité face à la nécessité de construire une unité avec les forces populaires de l’État canadien pour contrer les politiques néolibérales et l’assujettissement du Québec.

Quand Gilles Duceppe pose la possibilité d’apporter un soutien parlementaire (il ne parle pas de coalition, ce ne serait pas payant électoralement) au gouvernement conservateur s’il est élu comme gouvernement minoritaire, selon les concessions qu’il pourrait arracher pour le Québec, il démontre, qu’il se moque éperdument de la majorité populaire, qu’il est tout à fait incapable d’envisager des alliances avec les mouvements sociaux du Canada anglais qui cherchent à bloquer les reculs démocratiques, les politiques antienvironnementales du gouvernement et des partis politiques qui prévoient marcher sur ses traces.

Québec solidaire n’est surtout pas un parti de dialogue avec l’oligarchie et ses représentants politiques en place que ce soit à Québec ou à Ottawa. Au contraire, c’est un parti qui voit dans la construction d’un nouveau bloc social dirigé par les organisations des classes subalternes le chemin de la victoire du combat indépendantiste.


[1Syriza et Podemos : la voie vers le pouvoir du peuple ? – « Arriver au gouvernement ne signifie pas détenir le pouvoir », Éric Toussaint, 11 février 2015, site du CADTM

Bernard Rioux

Militant socialiste depuis le début des années 70, il a été impliqué dans le processus d’unification de la gauche politique. Il a participé à la fondation du Parti de la démocratie socialiste et à celle de l’Union des Forces progressistes. Militant de Québec solidaire, il participe au collectif de Gauche socialiste où il a été longtemps responsable de son site, lagauche.com (maintenant la gauche.ca). Il est un membre fondateur de Presse-toi à gauche.

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