Édition du 16 avril 2024

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Afrique

Comment ce magnifique peuple du Burkina a mis en échec le coup d’État

Encore une fois le peuple du Burkina s’est révélé aux yeux du monde en mettant en échec un coup d’État du Régiment de sécurité présidentiel, qui a tenté de porter au pouvoir l’ancien numéro 2 de Blaise Compaoré, Gilbert Diendéré. Ce dernier vient d’y mettre fin, par une déclaration que l’on pourrait qualifier de pitoyable si ce coup d’État ne s’était pas soldé par 17 morts et de nombreux blessés, et s’il ne révélait pas de dangereuses pratiques des dirigeants français et de certains dirigeants de la CEDEAO.

Après s’être autoproclamé, le 17 septembre, président du Burkina, à la suite d’un coup d’État, Gilbert Diendéré n’a eu d’autre choix que de déposer les armes le 23 septembre. Il déclare ce jour-là à la presse : « Pour moi, le putsch est terminé, on n’en parle plus. Il faut aller vers la recherche de la paix, vers la recherche de la fraternité et je pense que nous allons y arriver … (…) Le plus gros tort a été de faire ce putsch parce qu’aujourd’hui, lorsqu’on parle de démocratie, on ne peut pas se permettre encore de faire des actions de ce genre... Nous avons vu ce qui s’est passé, nous avons su que le peuple n’était pas favorable à cela, c’est pour cela que nous avons tout simplement abandonné (..) Je pense que nous avons tiré les leçons ». Et de déplorer le temps perdu, les morts et d’affirmer qu’il assumera ce qui s’est passé ! Sic ! Une déclaration que l’on pourrait qualifiée de « pitoyable », comme le font les internautes burkinabè, si ce coup d’État ne s’était pas soldé par 17 morts et de nombreux blessés, et s’il ne révélait pas de dangereuses pratiques des dirigeants français et de certains dirigeants de la CEDEAO.

Aux dernières nouvelles, le désarmement et le cantonnement s’étaient poursuivis dans le calme. Le conseil des ministres s’est réuni au grand complet, si ce n’est le ministre délégué à la sécurité, nommé après une précédente crise grave. Ce conseil a confirmé la dissolution du RSP. Et la justice a bloqué les comptes de plusieurs militaires et personnalités politiques de l’ex-majorité impliqués dans le putsch. Par contre, Gilbert Diendéré n’avait toujours pas été arrêté. Le Chef d’État major de l’armée avait déclaré, de son côté « S’agissant de son emploi futur, c’est une question qui relève du pouvoir politique et judiciaire », appelant les gens aux calmes et souhaitant à tous une bonne fête de la Tabaski.

Le peuple, particulièrement la jeunesse, se mobilise malgré la répression

Comment en est-on arrivé là ? Les radios avaient annoncé le soir du coup d’État que l’armée s’était ralliée au coup d’État. Difficile de savoir s’il s’agissait d’une nouvelle manipulation de Gilbert Diendéré, comme il a su dans le passé utiliser certains journalistes, ou si l’armée dans un premier temps avait effectivement rejoint le coup d’État.

Dès l’annonce du coup d’État, la réprobation se manifeste dans la rue dans l’ensemble du pays. Les informations qui parviennent de Province montrent petit à petit que l’armée ne bouge pas, alors que de nombreuses manifestations se tiennent dans toutes les principales villes. À Yako, la maison de Diendéré est même incendiée sans intervention d’aucune force de l’ordre.

À Ouagadougou, de nombreux barrages sont mis en place dans les quartiers à l’initiative de la jeunesse. Le RSP les réprime sauvagement. Ce sont, en effet, les militaires de ce régiment qui ont tué une vingtaine de personnes et blessé une centaine d’autres, pour empêcher les manifestations.

Les fondateurs du Balai Citoyen, Sams’K Le Jah et Smockey, bien que recherchés, ont pu s’enfuir à temps, avant que leurs maisons ne soient attaquées par des soldats. Il en est de même d’Hervé Ouattara leader du CAR (Citoyen africain pour la renaissance), chef du groupe parlementaire des organisations de la société civile du CNT (Conseil national de la Transition) ; lui aussi a joué un rôle de premier plan lors de l’insurrection. Très vite Smockey appelle à la résistance alors que Sams’K le Jah était annoncé arrêté, avant qu’il ne réapparaisse rapidement. Leur stratégie, s’appuyer sur les clubs qu’ils ont créés dans les quartiers pour multiplier les rassemblements et les barrages afin de déborder le RSP qui ne compte que 1300 soldats. Leur premier communiqué est diffusé le 18 septembre. Ils ne sont pas seuls.

De nombreuses associations de la société civile, plus ou moins importantes, se sont créées depuis l’insurrection, qui défendent la Transition.

Les appels à la résistance se sont multipliés. Notons surtout, dès le 17 septembre, ceux des organisations syndicales qui appelaient à la grève générale, et du CCVC (Comité contre la vie chère) qui rassemble d’autres associations de la société civile plus anciennes, aux capacités de mobilisation importantes. Le CCPP (Cadre de concertation des partis politiques), constitué par les membres de l’ex-chef de file de l’opposition politique, appelle aussi le 18 septembre à la « désobéissance civile » pour faire échec au Coup d’État « jusqu’au rétablissement de l’ordre institutionnel de la Transition ». L’UNIR/PS (Union nationale pour la renaissance, parti sankariste), membre du CCPP, a continué quotidiennement à appeler à la résistance active.

Le rôle clé déterminant joué par Cheriff Sy, l’homme de la situation

Là-dessus, le Président du Conseil national de la Transition, entré lui aussi dans la clandestinité, ne tardait pas à réapparaitre en publiant rapidement des communiqués. Le Président Michel Kafando et le Premier ministre Issac Zida, étant détenus par le RSP, Cheriff Sy, dès le 17 septembre, se proclame le Président de la Transition par intérim. Il appelait « le chef d’état-major des armées et les chefs d’état-major des différentes régions militaires à prendre immédiatement toutes les dispositions » pour faire cesser la « forfaiture » d’un « groupe armé ».

Il publie, ensuite, chaque jour une déclaration, renouvelant son appel au chef déta-major de l’armée. Et dès les premières informations reçues sur les discussions en cours avec la CEDEAO (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest), il dénonce immédiatement le projet d’accord qui, comme nous l’avons vu, reprenait une bonne partie des revendications des putschistes, et revenait à tourner le dos aux institutions de la Transition.

Cheriff Sy est le fils du général Baba Sy, très respecté au Burkina, y compris dans l’armée, pour sa droiture et son intégrité. Sans doute ce détail a-t-il eu une certaine importance aux yeux de l’armée, et pour le chef d’état-major des armées. Non seulement, ces appels redonnaient un peu d’espoir à ceux qui s’étaient mobilisés. Ce coup d’État a créé un profond découragement alors que l’on semblait aller aux élections sans trop de difficultés. Mais surtout, l’espoir pouvait renaître. Un retournement de l’armée contre le RSP paraissait crédible. Reconnaissons à Cheriff Sy un certain culot, mais c’est dans les moments historiques que se révèlent les grands hommes politiques. Il a pris les bonnes décisions au bon moment.

Cheriff Sy avait par ailleurs d’autres atouts. Il est issu de la mouvance sankariste. Il a été à l’origine, avec Norbert Tiendrebeogo, récemment décédé, des premières initiatives pour la création d’un parti sankariste, peu de temps après que le pays n’adopte une Constitution en 1991. Assez vite il jeta l’éponge quand il se rendit compte que les dirigeants politiques qui se proclamaient des idéaux de Thomas Sankara, n’étaient pas crédibles, ou bien qu’ils allaient se perdre dans d’interminables querelles de personne. Il a présidé le comité d’organisation du 20e anniversaire de l’assassinat de Thomas Sankara qui connut un grand succès, malgré le manque cruel de moyen. Une double raison d’être apprécié par la jeunesse, et plus largement dans la société civile, sa filiation sankariste doublée de son refus d’entrer en politique.

Il s’investit, au début des années 90, dans le journalisme et créa le premier journal qui osait rendre hommage à Thomas Sankara. Il participa à la création du Centre de presse Norbert Zongo qui a joué un très grand rôle pour la libéralisation de la presse, dont il a été jusqu’à une période récente, le co-Président. Il était jusqu’à la Transition, Président des éditeurs de presse privée au Burkina Faso puis Président du forum des éditeurs africains de presse. On comprend donc pourquoi c’est lui qui a été élu Président du Conseil national de la Transition. Il vient de démontrer ses qualités d’homme d’Etat.

La CEDEAO a-t-elle voulu mater le peuple burkinabè comme la CEE a humilié le peuple grec ?

On est en droit de se poser la question. Une bonne partie des présidents africains de l’Afrique de l’Ouest ne se sentent-ils menacés par la Transition ? Plusieurs d’entre eux ont déjà renoncé, après l’insurrection du Burkina, à modifier la Constitution, ce qui leur aurait permis de se maintenir au pouvoir. Blaise Compaoré voulait aussi modifier la Constitution, c’est ce qui l’a perdu. Ce sont pour la plupart ces mêmes présidents de pays de la CEDEAO qui ont porté aux nues Blaise Compaoré, « un homme de paix » disaient-ils, « le médiateur » qu’ils ont choisi pour désamorcer les conflits de la région. N’oublions pas non plus son rôle aux côtés des rebelles ivoiriens qui ont pris les armes contre le Président Gbagbo, et qui se sont rangés derrière Alassane Ouattara l’ami de l’ancien président du Burkina. Gilbert Diendéré avait signé des certificats de destinataire final d’armes au nom du Burkina, pour contourner ainsi l’embargo imposé par l’ONU à la Côte d’Ivoire, ces armes étant en réalité destinées aux rebelles ivoiriens. Ouattara, de par la position de son pays, est un des poids lourds de la CEDEAO.

Cette communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest ne remet en cause ni la domination économique des puissances occidentales, ni le modèle libéral, ni le Franc CFA, ou bien timidement, qui donne à la France la maîtrise de la politique monétaire de la région

Surtout la CEDEAO s’était prononcée contre le code électoral voté par Conseil national de la Transition, qui excluait les dirigeants des partis de l’ex-majorité. Ouattara faisait campagne contre le code électoral burkinabè, comme le révèle le bimensuel burkinabè Mutations. La CEDEAO avait demandé au Burkina d’y renoncer. Comme nous l’avons vu, le pays ne s’est pas soumis. Le Conseil Constitutionnel a appliqué le code électoral. Un camouflet pour la CEDEAO !

Alors que le Burkina est devenu en quelques années un important producteur d’or, le Conseil national de la Transition, a voté un nouveau code minier aux retombées bien plus importantes pour le pays que le précédent. Les multiples problèmes rencontrés durant la transition ont empêché une bonne communication sur son contenu. Mais que penseront les citoyens des pays de la CEDEAO, s’ils comparent leur code minier avec celui en cours dans leur pays ? Ils risquent bien de demander des comptes à leurs propres dirigeants.

Voilà quelques éléments rendant crédibles l’idée que de nombreux présidents de la région voulaient en finir avec la transition.

Difficile de ne pas penser à la Grèce qui tient le haut de l’actualité depuis plusieurs mois. Le peuple grec remettait en cause les orientations de la CEE et son caractère anti-démocratique. Plusieurs témoignages, dont celui de Varoufakis, ont confirmé la thèse d’une volonté de la CEE de ne pas parvenir à un accord équilibré, mais plutôt de saboter toute tentative d’accord pour asphyxier la Grèce et l’humilier. Le Burkina n’était pas dans cette situation, mais nous avons souligné dans notre précédent article combien le premier projet d’accord de la CEDEAO, en donnant pratiquement raison aux putschistes, auraient signé la fin de la Transition. Ce qui aurait été une humiliation pour le peuple du Burkina qui avait retrouvé sa dignité lors de l’insurrection des 30 et 31 octobre 2014.

Les masques sont tombés. Les négociateurs du projet d’accord, Sall et Yayi Boni, ont été désavoués. Il a fallu les remplacer lors de la cérémonie officialisant le retour des institutions de la Transition. C’est le Président du Niger Mahamadou Issoufou qui l’a présidée.

Après le peuple burkinabè, l’armée retrouve sa dignité

Difficile de savoir ce qui a emporté la décision chez les militaires. Ce qui est sûr c’est qu’elle n’a pas été de soi. L’appel de Cheriff Sy, les manifestations d’opposition au coup d’État, ont joué. Tous les officiers en poste ont été promus sous le régime de Compaoré. Mais le RSP était un régiment privilégié, avec des primes que les autres militaires n’avaient pas. En 2011, des mutineries ont éclaté dans pratiquement dans toutes les garnisons. Le RSP fut même touché, une journée, alors que dans le reste du pays, les mutineries ont été beaucoup plus longues. Et ce sont les soldats du RSP qui ont mis fin à celle de Bobo Dioulasso, la plus déterminée. Les jeunes burkinabè aimaient cette armée. Récemment, il était courant, sur la toile burkinabè de louer les soldats tchadiens qui affrontaient Boko Haram, l’opposant à l’armée burkinabè.

Lorsque la nouvelle d’une éventuelle venue de l’armée sur la capitale, pour « sécuriser la population », est parvenue, les militants du Balai Citoyen ont appelé à se masser aux abords de la ville pour les accueillir. La méfiance était plus grande du côté des syndicats et de la CCVC.

Le choix clair de l’armée aux côtés du peuple, son ultimatum aux putschistes, ont changé la donne. Un accord a été signé, sous les auspices de Moro Naaba, l’empereur des Mossis, entre militaires. Le RSP acceptait de rendre les armes, et le reste de l’armée s’engageait à ne pas les attaquer. Le soutien était moins unanime du côté de la société civile. Gilbert Diendéré n’a en effet pas été arrêté. Le chef d’état-major des armées s’en remettait au pouvoir civil pour le sort qui serait réservé au chef des putschistes. Sans doute une des clauses de l’accord. L’armée ne punit-elle pas elle-même, en d’autres circonstances, les indisciplinés ?

Malgré tout, l’armée a retrouvé sa dignité, en jouant un rôle déterminant pour mettre en échec le RSP. L’affront du RSP, ce régiment privilégié qui se comportait comme un groupe armé indépendant, a été lavé. C’est Gilbert Diendéré qui, cette fois, parait humilié. Le peuple du Burkina a pu donc se réconcilier avec son armée. Ce qui rend bien plus solide les autorités de la Transition auxquelles elle a fait allégeance.

La France du mauvais côté

Lors de notre dernier article, nous avons déjà cité cette déclaration particulièrement malvenue de François Hollande, citée par l’AFP, qui mettait en garde ceux qui voudraient s’opposer au « dialogue engagé par des chefs d’État africains ». Nous avions ajouté : « Difficile de penser qu’il n’ait pas été mis au courant de l’avancement des discussions, alors que l’ambassadeur de France paraissait très actif à l’hôtel Laïco, et que des fuites étaient diffusées dès la veille ». Une photo diffusée sur facebook le montrait avec d’autres diplomates, tous serrés dans un ascenseur, après l’attaque de l’hôtel par des éléments pro-putschistes.

Si la médiation était confiée à la CEDEAO, que faisait-il dans l’hôtel où se déroulent les discussions ? Quel rôle a-t-il jouté pour l’adoption d’un accord aussi désastreux ? Et lorsque Gilbert Diendéré a reconnu sa défaite, l’ambassadeur de France a cru bon de twitter pour informer que le Président Michel Kafando, libéré, se trouvait à la résidence de France. Gilbert Diendéré l’aurait donc confié aux français ? Et si tel était le cas, fallait-il s’en vanter ? Faut-il y voir là un moyen de faire oublier la position de la France dans cette affaire ?

La France qui a déjà exfiltré Blaise Compaoré, a-t-elle voulu protéger Diendéré ? De nombreux articles de ce présent blog rappellent les différentes raisons qui pousseraient la France à le protéger. Il a même été décoré de la légion d’honneur en 2008 ! La suite des évènements ne ridiculise-t-elle pas François Hollande, son ambassadeur au Burkina, et tous ses conseillers ? Quelle méconnaissance de la réalité du Burkina, et même de ce que seraient les réactions internationales ! L’Union africaine a publié très rapidement des déclarations très dures contre les putschistes, se démarquant très nettement de la CEDEAO. Et la France s’est même trouvée isolée au sein de la CEE, « La chef de la diplomatie européenne, Federica Mogherini », avait exhorté le 22 septembre « les membres de la garde présidentielle au Burkina Faso, qui ont mené un coup d’État contre le gouvernement de Transition, à « déposer inconditionnellement leurs armes » » selon un communiqué de l’AFP du même jour.

Peut-on demander une amnistie pour des putschistes qui ont déjà à leur actif près d’une quarantaine de morts, si l’on inclut ceux de l’insurrection d’octobre ? Comment notre pays peut-il encore se permettre de faire des leçons de démocratie ?

Interrogé par un média burkinabè, le général Emmanuel Beth s’est cru, lui aussi, autorisé à donner son avis sur la situation. Probablement très grassement payé, après sa reconversion dans le cabinet ESL & Network qui conseille les plus grosses sociétés du CAC40, il rejoint la horde nombreuse de ceux qui rejettent la responsabilité du coup d’État sur la Transition : « La situation actuelle au Burkina démontre une nouvelle fois qu’en politique on ne peut faire d’impasse sur l’essentiel : l’accès de tous (candidats et électeurs) aux élections qui tracent l’avenir du pays ». Il se garde bien, dans cette interview, de rappeler ses liens avec Gilbert Diendére, lui avec qui il sautait en parachute lorsqu’il était ambassadeur au Burkina de 2010 à 2013. Mais ce n’est pas tout. Voilà ce qu’il répond lorsque le journaliste lui demande si des poursuites devraient être engagées contre Blaise Compaoré : « Je fais partie des gens qui pensent que cela fait partie des règlements de comptes du passé et que c’est une absurdité ! Ce n’est pas comme cela que l’on reconstruira le Burkina demain. ». Et vive l’impunité, garante de la stabilité ! Voilà le genre d’individu que la France a choisi comme diplomate au Burkina pendant 3 ans ! On comprend qu’elle se trompe sur ce qui se passe au Burkina. Sa priorité est-elle donc de protéger ses amis, Blaise Compaoré et Gilbert Diendéré, plutôt que de lier des liens d’amitié à égalité avec le Burkina. Quant aux entreprises du CAC40, peut-être devraient-elles se méfier d’un tel spécialiste ! Il est vrai que business et satisfaction des besoins des populations n’ont jamais fait b bon ménage.

Au Burkina, les masques sont tombés, la donne politique a changé

Les partis de l’ex-majorité n’avaient de cesse de se plaindre de l’exclusion dont ils étaient victimes. On les empêchait de se présenter aux élections. Il s’agissait, selon eux, d’un déni de démocratie. Or, le 20 septembre, 13 partis de l’ex-majorité ont signé une déclaration de soutien au putsch. Ils y affirment notamment « leur total soutien et leur entière solidarité au Conseil national pour la démocratie (CND le nom que s’étaient choisis les putschistes) qui a mis fin aux dérives anti démocratiques et sectaires du processus de la transition ». Pour eux, l’insurrection était un « coup d’État ». On trouve parmi les signataires le CDP (Congrès pour la démocratie et le progrès), la parti de Blaise Compaoré, l’UNDD d’Hermann Yaméogo, et la NAFA (Nouvelle alliance du Faso), créé après l’insurrection par le ministre des affaires étrangères de Blaise Compaoré, Djibril Bassolé. Hermann Yaméogo qui a même déclaré que Gilbert Diendéré était l’homme qu’il fallait pour diriger la Transition jusqu’aux élections. Djibril Bassolé tentait de se faire une virginité politique en se distinguant du CDP. C’est raté ! Il va être bien difficile à ces partis déconsidérés et à leurs dirigeants de remonter la pente. Leur crédibilité est gravement mise à mal.

Du côté des opposants au putsch, peu se sont exprimés en dehors du communiqué cité plus haut, des partis de l’ex-opposition. À notre connaissance, selon les informations qui nous sont parvenues, seul le parti sankariste a continué à publier des communiqués appelant à la résistance. Mentionnons cependant cette déclaration de Roch Marc Christian Kaboré, le candidat du MPP (Mouvement du Peuple pour le Progrès) citée par l’AFP, un des favoris aux Présidentielles, reprise par Libération du 20 septembre). Il se disait surpris du projet d’accord, regrettant alors de ne pas avoir pu en discuter mais surtout n’étant pas « en mesure de dire s’il allait lever ou non le mot d’ordre de désobéissance civile ».

On peut supposer que la tête pensante du MPP, Salif Diallo, qui a travaillé pour le Président Mahamadou Issoufou du Niger, a, de son côté, influencé, joué de ses liens avec lui pour qu’il se prononce fermement contre l’accord. Nous manquons cependant d’informations plus précises sur ce qu’ont été les attitudes des uns et des autres.

De son côté, le PCRV (Parti communiste révolution voltaïque) semble cette fois ne pas s’être laissé déborder. Ce parti était passé à côté de l’insurrection des 30 et 31 octobre, la situation n’était pour eux pas mûre, l’alternative ne leur semblant pas prête. Ils avaient appelé, avec de nombreuses organisations de la société civile, à manifester pour demander une transition civile, dénonçant un coup d’État, et certains militants avaient même déployé à cette occasion une banderole appelant à une insurrection populaire armée. Cette fois, à travers les organisations syndicales et la CCVC (Coalition contre le vie chère) sur lesquels leurs militants ont une influence prépondérante, ils ont immédiatement appelé à la résistance et pris les dispositions pour.

Si le Burkina continue dans une voie progressiste, voire un processus révolutionnaire, le PCRV aura un rôle à jouer. Il s’était opposé à la révolution dirigée par Sankara, malgré les avances de Thomas Sankara à leurs dirigeants pour se joindre à la Révolution. Le PCRV acceptera-t-il cette fois d’aller dans le même sens que les autres forces de gauche ou continuera-t-il dans son attitude sectaire de contestation systématique ? Dans ce cas, sa force de nuisance pourrait être importante, compte tenu de son influence sur une partie de la société civile.

Un peuple uni, fier, digne et courageux… Thomas Sankara avait raison

La situation politique s’est donc éclaircie. La voie paraît désormais libre pour que le peuple burkinabè puisse choisir en toute sérénité ses représentants. Bien sûr, les ennemis de la Transition tenteront peut-être encore des entreprises de déstabilisation. Mais la Transition est plus solide, ses institutions plus fortes. Gilbert Diendéré fait partie des personnes dont les avoirs sont bloqués par la justice. Les chefs militaires n’ont pas osé l’arrêter, espérons que la justice ne tarde pas à le faire.

Encore une fois, ce peuple uni, fier, digne et courageux donne l’exemple à l’Afrique, et au monde entier. Il vient de démontrer qu’aucun adversaire n’est invincible si le peuple est uni. ll n’est pas inéluctable que les institutions internationales, comme la CEDEAO, que des pays comme la France se permettent de dicter en Afrique la voie à suivre.

Beaucoup ont raillé et raillent encore ce qu’ils appellent le « populisme » de Thomas Sankara. Effectivement Thomas Sankara ne tarissait pas d’éloge pour son peuple. Ce mot traverse ses discours, ses interviews, sa pensée, sa vision politique. Ceux qui moquent cette confiance devront retenir leurs rires hautains et méprisants. Ce sont ceux que l’on retrouve aux côtés des institutions internationales comme la CEE, la CEDEAO, le FMI, la Banque mondiale… Le peuple du Burkina, lui, sait reconnaître ceux qui sont de son côté, lui qui ne cesse de ce revendiquer héritier de Thomas Sankara. Oui le peuple mérite d’être valorisé. Il est le seul capable de se construire un avenir répondant à ses besoins.

Oui, Thomas Sankara avait raison.

Bruno Jaffré ingénieur de recherche chez un opérateur de télécommunications, est le président fondateur de l’ONG française Coopération Solidarité Développement dans les Postes et Télécommunications en 1988 dont il a quitté la Présidence en 2005. Il est considéré comme le biographe du président Thomas Sankara. Il participe à l’animation du site qui lui est consacré.

Bruno Jaffré est titulaire d’une maîtrise de mathématiques pures et d’un Diplôme d’études approfondies de recherche comparative sur le développement à l’École des hautes études en sciences sociales.

http://thomassankara.net

http://blogs.mediapart.fr/blog/bruno-jaffre

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