Édition du 16 avril 2024

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Livres et revues

La médiocratie, d’Alain Deneault

collection Libres lettres, Édition Lux, Montréal, 2015

La revue Liberté dans son numéro paru à l’hiver 2015 questionnait les motifs pour lesquels nous acceptons l’austérité. La médiocratie est la réponse donnée par Alain Deneault à cet énoncé qu’il développe dans le présent ouvrage.

La médiocratie au-delà du rapport à ce qui est moyen fait référence à « l’état de domination exercée par les modalités médiocres elles-mêmes. » (p. 17) C’est une règle tacite qui invite les gens à « considérer comme inévitable ce qui se révèle inacceptable, comme nécessaire ce qui est révoltant. » (p. 16) C’est la gouverne des médiocres qui veulent que nous soyons raisonnables, que nous restions dans les balises du convenu.

Cet essai se construit autour des domaines qu’Alain Deneault a explorés dans des écrits antérieurs soit l’université, la finance et la culture, en liant les questions actuelles aux réflexions de philosophes. Il est aussi dans le prolongement de « Gouvernance ». Le management totalitaire.

L’université : Deneault critique l’asservissement de celle-ci aux dictats du marché. Ainsi, les professeurs sont évalués à l’aune du nombre de leurs publications, à leur capacité à lier leurs recherches aux besoins des entreprises et non à celle de porter une critique radicale de toute question. Il faut « jouer le jeu » au risque de se laisser corrompre. Encore heureux que le travail du chargé de cours échappe aux dérives de l’institution, permettant à ce dernier tout en enseignant ,à « ... se questionner sur la matière qu’il transmet, à progresser par-devers lui-même et, qui sait, à développer des thèses originales à un rythme convenable. » (p. 69)

La finance Bombardier avec son marché élitiste de la C-Series, est l’emblème de cette thématique. Alors que ces avions de 10 places destinés aux ultras riches de la planète accaparent les deniers publics pour que par effet de ruissèlement, nous puissions préserver des emplois bien payés dans le secteur de l’aéronautique, les fonds pour le développement du transport collectif manquent, l’austérité sévit. On nous convie à nous accommoder d’une telle situation. Le capital international et son pouvoir souverain dominent toute activité économique avec l’appui tacite des décideurs politiques fédéraux acoquinés à leurs vis-à-vis des provinces et des municipalités qui induisent une perte de souveraineté au profit des transnationales (p. 95). Deneault décrie aussi la gouverne syndicale orientée vers un nécessaire partenariat avec les entreprises et l’État. Le « dialogue social » souhaité incite à s’accommoder de l’espace politique autorisé par les détenteurs du pouvoir alors que les dérives austéritaires du gouvernement sévissent. Refusant l’acquiescement à la médiocratie, Deneault appelle les syndicats à donner du tonus au mouvement syndical, à porter des revendications qui vont au-delà de l’enfermement dans lequel les négociations actuelles les contraignent, à se redéfinir sur leurs propres bases. (p. 140)

La culture : Les dérives de l’art au service des bien nantis sont illustrées par la fête organisée lors du 80e anniversaire de Jacqueline Desmarais célébrée en 2008 à Sagard dans Charlevoix. Les politiciens de tous horizons, hommes d’affaires et artistes qui y ont participé se sont vus réduits à n’être que des « faire valoir » au service de l’oligarchie. Jean Charest alors premier ministre du Québec est relégué au rôle de figurant alors que « trône au sommet un citoyen pourtant investi d’aucun pouvoir formel (Paul Desmarais) ». (p. 160) L’art en soi est institutionnalisé, au mieux toléré. Cette dénonciation se conclut par un appel à la résistance afin de « rendre révolu ce qui nuit à la chose commune » (p. 191), à rompre avec ce qui entrave la démocratie, le vivre ensemble.

Cet ouvrage décapant est une exhortation à remettre à l’ordre du jour la pensée critique au détriment de la médiocrité ambiante dans laquelle nous baignons. Les trois rubriques étudiées ne forment pas un tout fini, mais plutôt sont une mise en bouche nous invitant à poursuivre la réflexion dans d’autres domaines. La description de nombres de travers quotidiens dans lesquels nous sommes amenés à être des rouages de cette médiocratie peut nous accabler et nous porter à l’immobilisme. Cependant, rien ne nous empêche de lever les limites que cet ordre convenu nous impose pour que l’esprit critique dont nous avons la capacité reprenne ses lettres de noblesse. C’est ce qui m’interpelle dans cet essai. Alors que l’ordre établi veut que nous demeurions dans le rang, que nous participions aux consensus déterminés par d’autres, que les « va-t’en guerre » s’agitent, je suis incitée par cet appel à refuser la médiocratie au profit du bien commun, du collectif citoyen que nous formons et des institutions publiques porteuses de sens que nous avons à redéfinir.

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