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Le Monde

La démocratie menacée par la multinationale de la sécurité Garda

Yves Engler, counterpunch.org, 7 avril 2016

Traduction, Alexandra Cyr,

La semaine dernière la réunion du Conseil d’administration de l’UQAM a été interrompu par des étudiants-es. La nouvelle que les administrateurs-trices envisageaient de conclure un contrat de 50 millions sur sept ans avec la multinationale de la sécurité, Garda [1] avait déclenché le mouvement.

Les protestataires n’acceptaient pas que l’Université s’organise pour expulser leurs dirigeants-es et augmenter la sécurité sur ce campus actif politiquement, en même temps qu’elle procède à des coupes dans les programmes.
La plus grande firme privée de sécurité dans le monde, est prête à répondre aux demandes de répression dans les universités, dans le monde des affaires et de la part des dirigeants-es politiques. Le directeur exécutif de la compagnie montréalaise a déclaré en 2012 que les grèves étudiantes étaient un facteur « positif » pour les affaires : « Naturellement, quand il y a des troubles quelque part, que ce soit lors d’élections en Égypte ou des perturbations ici au Québec (par exemple) chez les ouvriers-ères, malheureusement c’est bon pour les affaires ».

Mais ce n’est qu’une partie du tableau. En 2014, Canadian Business à publié un portrait de Garda qui indique qu’elle : « a engagé des bandes armées pour protéger ses clients qui travaillent dans des milieux extrêmement dangereux ». Garda est active en Irak, en Afghanistan, en Colombie, au Pakistan, au Nigéria, en Algérie, au Yémen, en Somalie, en Lybie et ailleurs.

Les activités internationales de Garda ont commencé en 1995. L’invasion de l’Afghanistan et de l’Irak en 2001 ont propulsé sa croissance internationale. Elle a reçu du financement de la Caisse de dépôts et de placements (du Québec) en 2007. Elle avait, à ce moment-là, 5,000 employés-es dans la région.

Alors qu’elle profitait de l’essor du militarisme américain, elle a fait face à des critiques et s’est drapée dans le drapeau canadien pour se défendre. Quatre de ses employés ont été kidnappés et finalement tués en 2007. La direction de la compagnie a invoqué le fait que ses soldats privés : « étaient perçus différemment en Irak parce que l’entreprise est canadienne ». Elle s’est bien privée de mentionner comment les Irakiens-nes tués par des mercenaires se sentent une fois qu’on à découvert que les balles qui les ont tués-es ont été tirées par les employés d’une firme canadienne.
La compagnie a aussi dû faire face à des critiques en Afghanistan. En 2012, deux des ses employés de nationalité britannique ont été pris en possession de douzaines de AK-47 non enregistrées. Ils ont été arrêtés et emprisonnés pendant trois mois. Deux ans plus tard, son chef des opérations en Afghanistan, M. Daniel Ménard, à lui aussi été arrêté et emprisonné pendant trois semaines pour des accusations semblables. Le commandant en chef des forces canadiennes en Afghanistan en 2009-10 a déclaré que M. Ménard avait quitté le service militaire après avoir été condamné par une cour martiale pour avoir déchargé son arme sans précautions et pour avoir eu des relations sexuelles avec une de ses subordonnées.

En 2013, Garda s’est installée au Nigéria. Elle donnait du « support logistique » à des entreprises pétrolières internationales qui faisaient face à des attaques politiques et criminelles. Cette même année elle a loué une villa à Mogadiscio en Somalie, pour loger des entrepreneurs du secteur des énergies et des travailleurs en développement international. Elle les accompagnait également dans leurs déplacements dans le pays. En 2014, un rapport d’un groupe de travail des Nations Unies sur l’utilisation de mercenaires dans ce pays, questionnait le rôle grandissant des compagnies de sécurité occidentales : « Alors que la Somalie recompose des forces de sécurité, le gouvernement devrait s’assurer que les forces de sécurité privées soient correctement règlementées et qu’elles ne prennent pas la place des forces de police compétentes et imputables. La totalité des Somaliens-nes ont droit à la sécurité, pas seulement ceux et celles qui peuvent se la payer », déclarait Faiza Patel, président de ce groupe.

Et ce n’est pas qu’une question de justice. Dans un pays où le contrôle des hommes armés a longtemps été une source majeure de pouvoir, les compagnies de sécurité privées peuvent facilement forcer la main de factions politiques ou même prolonger des conflits.

C’est en Lybie que Garda a eu le plus de succès. Elle a engagé l’ex Colonel canadien Andrew Zdunich comme chef de ses opérations. Elle a commencé à y opérer quelque part durant « l’été 2011 » comme le signale son site internet. Selon (l’agence de nouvelles) Bloomberg, après que le Conseil national de transition ait investit Tripoli, soit six semaines avant que M. Kadhafi ne soit tué à Syrte le 20 octobre 2011, les rebelles ont fait appel à Garda pour transporter leurs combattants qui assiégeaient le château fort des partisans de M. Kadhafi à Syrte, vers l’hôpital de Misourata. Ces interventions de Garda en Lybie contrevenaient aux lois internes du pays, et à des résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies de 1970 et 1973 pendant des soulèvements contre le M. Kadhafi qui régnait depuis 40 ans. La résolution de 1970 introduisait un embargo sur les ventes d’armes et obligeait les membres des Nations Unies à « empêcher d’approvisionner le personnel des milices rebelles en armes ». Celle de 1973 renforçait l’embargo sur les armes en précisant les termes « personnel des milices rebelles » de trois manières différentes. Dans un article intitulé Ramifications et traitement des termes « personnel des milices rebelles » en rapport avec l’embargo touchant les compagnies militaires privées, M. Hin-Yan Liu souligne que le Conseil de sécurité « précise la signification des termes personnel mercenaires armées » et pourrait inclure une partie significative des entrepreneurs travaillant pour des compagnies militaires privées ».

Il se peut que contrevenir aux lois internationales soit bon pour les affaires. À titre de première compagnie occidentale de sécurité en Lybie, le site internet de Garda la décrit comme « leader du marché en Lybie avec 3,500 employés-es assumant des tâches de sécurisation, d’entrainement et d’intervention en temps de crise ». La petite armée de Garda, composée d’ancien membres des forces spéciales britanniques et d’autres soldats d’élite, a décroché une quantité significative de contrats dans ce pays. Une section de la compagnie dit fournir « (des services) de sécurité à un certain nombre de compagnies pétrolières internationales et à leurs fournisseurs », ainsi qu’aux soldats de l’OTAN qui entrainent l’armée de la Lybie. C’est la première fois que l’OTAN à recours à des compagnies privées pour sécuriser ses programmes d’entrainement.

La compagnie montréalaise a aussi travaillé à la protection d’une centaine de membres du personnel de la Mission de l’Union européenne d’assistance aux frontières qui a équipé les gardes frontières et les gardes côtes lybiens dans un projet pour empêcher les migrants-es d’Afrique de traverser la Méditerranée. Garda a obtenu ce contrat d’une durée de 4 ans. Il a fait l’objet d’une attention particulière au début 2014 quand on a découvert 19 caisses d’armes et de munitions destinées à la compagnie qui ont « disparues » à l’aéroport de Tripoli. La compagnie n’a pas laissé cette affaire entacher ses performances. Selon Intelligence Online, des membres de sa direction ont demandé « à emprunter des munitions britannique pour assurer la sécurité du personnel de l’Union européenne ».

Cela ressemble à une demande de faveur puisque Garda protégeait déjà les intérêts britanniques y compris leur ambassadeur, M. Dominic Asquith. Dans, Under Fire : The Untold Story of the Attack in Benghazi, Fred Burton et Samuel M. Katz donnent les détails de la protection de l’ambassadeur : « certains membres de la garde de sécurité de Sir Dominic Asquith étaient sans aucun doute d’ex membres du 22 Special Air Service (SAS) les légendaires commandos de Grande Bretagne qui ont comme slogan « Qui ose gagne ». D’autres étaient membres des Forces spéciales de la marine royale ».

En juin 2012, un groupe rebelle attaque le convoi de l’ambassadeur Asquith sur la route de Benghazi avec une grenade propulsée à l’aide d’une roquette. Elle tombe à côté de la voiture de l’ambassadeur, dit-on dans Under Fire. Deux employés de Garda « ont été sérieusement blessés. La grenade a frappé le pare brise du véhicule de tête du convoi. Leur sang s’est répandu à l’intérieur de la voiture et sur la route ».
On peut se demander combien de Lybiens-nes sont tombés-es dans les opérations de ce « Blackwater canadien ».

Garda puise dans les rangs des retraités des forces canadiennes, britanniques et américaines. Elle a développé des liens dans les cercles militaro-politiques. M. Derek Burney, ancien ambassadeur canadien aux États-Unis et conseiller de M. S. Harper préside le bureau international de conseils de la compagnie. Le conseil d’administration de Garda compte deux vedettes, retraités quatre étoiles, l’Amiral américain Eric T. Olson qui a été chef de cabinet de M. Michael P. Jackson secrétaire du Département d’état à la sécurité (Homeland Securtiy) et Sir Richard Mottram, secrétaire permanent de Grande Bretagne pour le renseignement et à la sécurité au cabinet (du premier ministre). Un article du Soleil rapporte qu’en décembre (2015) la compagnie a embauché le nouveau retraité, ancien ministre conservateur, M. Christian Paradis : « pour convaincre différents niveaux du gouvernement d’augmenter le nombre de forces de protection privées dans leurs tâches de protection publique ».

Créature du capitalisme néo libéral et de l’agressivité occidentale, Garda est un danger pour la démocratie.


[1Compagnie militaire privée américaine qui a opéré en Irak tout au long de l’occupation américaine et qui s’est rendue célèbre pour les exactions de toutes sortes commises par son personnel. N.d.t.

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