Édition du 16 avril 2024

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Le blogue de Pierre Beaudet

Haïti chérie, c’est aussi une terre de luttes

En marche vers le Forum social mondial

En 1804, le monde avait été bouleversé par l’irruption des esclaves dans la merveilleuse île d’Hispaniola, conquise et reconquise plusieurs fois par les impérialistes de l’époque, la France, l’Espagne, l’Angleterre. Avant les Nazis, les colonialistes avaient inventé des camps de concentration qui étaient des camps de travail forcé et aussi des abattoirs d’humains. Des millions d’Amérindiens et d’Africains ont été kidnappés, torturés, tués et forcés à l’esclavage dans les Caraïbes et dans les Amériques, du nord et du sud. Encore aujourd’hui, on s’interroge s’il y en a eu 3, 5 ou 8 millions, sans compter les millions d’autres qui sont morts avant de traverser l’Atlantique, battus à mort par les esclavagistes ou décédés sur les infâmes navires qui les transportaient enchaînés comme des bêtes.

Pendant des décennies, ce trafic humain a nourri les riches plantations européennes qui étaient absolument indispensables au capitalisme qui prenait alors son essor en Europe et aux États-Unis où on faisait fortune avec le sucre et le coton, notamment. Des capitalistes bien cravatés dans leurs bureaux de Manchester, Boston ou Lyon étaient de sordides propriétaires d’esclaves qu’ils ne voyaient jamais, à des milliers de kilomètres de là. En Europe, les premiers mouvements populaires de la modernité ont confronté la question, sachant que l’esclavage des uns signifiait en fin de compte la subjugation de tout le monde. C’est ainsi qu’en 1789, les Jacobins et autres factions radicales ont demandé la suppression de l’esclavage, notamment à Haïti, qui était alors la « perle » de la couronne coloniale française.

Entre-temps, les esclaves n’ont pas attendu d’être sauvés par des Français. Avec Toussaint Louverture et surtout Jean-Jacques Dessalines, ils ont soulevé la bannière de la liberté. Les affamés et les torturés sont devenus des combattants et ils ont alors vaincu les colons et les armées envoyées de France pour les mâter. Les autres colonialistes, espagnols, anglais et états-uniens, voyaient d’un très mauvais œil cette révolte des damnés de la terre qui pouvaient donner le « mauvais exemple » partout dans les Amériques et ils ont alors établi autour de la première république d’esclaves de l’histoire une zone d’exclusion tout en ne se gênant pas pour intervenir militairement à plusieurs reprises. En 1915 par exemple, les États-Unis ont envahi et occupé Haïti pendant plusieurs décennies.

Non contents d’encercler et d’agresser les fils et filles des esclaves, les puissances se sont assurées que le système reste en place sous la coupe de relais locaux, des nouveaux « bourgeois » haïtiens prêts à vendre les ressources du pays, à commencer par les personnes, qui ont été déplacées par dizaines de milliers dans les sordides Batay de la République dominicaine. Cela a mené à divers régimes dictatoriaux dont celui des « Papa doc » et « Baby doc » (François Duvalier et son fils Jean-Claude) qui ont sévi jusque dans les années 1980. Le Canada pendant ces noires années s’est joint aux États-Unis pour s’assurer que l’ « ordre » soit maintenu pour briser les mouvements de résistance, dont le Parti communiste dirigé par le poète Jacques Roumain.

Mais les héritiers de Dessalines n’ont pas cessé de résister. Dans les années 1970, quelques-uns ont tenté l’aventure de la lutte armée. Plus tard, un véritable mouvement populaire s’est mis en place sous l’égide de diverses gauches et des chrétiens progressistes dont un certain Jean-Bertrand Aristide. La dictature a craqué et lors des premières élections démocratiques, le mouvement « Fanmi Lavalas » (avalanche) a gagné haut la main (1990), mais quelques mois plus tard, l’armée haïtienne avec la complicité des États-Unis, a renversé Aristide. De nombreux massacres ont été alors perpétrés, mais les « démocraties » occidentales se sont contentées de faire quelques déclarations en faveur des « droits ». Quand les Républicains états-uniens ont été vaincus par Bill Clinton, Aristide a pu rentrer au pays (1994) et rétablir une sorte de gouvernement, qui s’est rapidement heurté aux pressions des impérialistes qui lui disaient de tout changer sauf l’essentiel. L’agriculture haïtienne ainsi a été décimée quand Washington a imposé avec l’appui du Canada le « libre-échange », ce qui voulait dire que le riz américain subventionné par l’État a pu envahir les marchés de Port-au-Prince. Des groupes armés réactionnaires se sont organisés en République dominicaine. Le pays a sombré dans le chaos, en partie parce qu’Aristide a perdu pied malgré les appels de ses alliés de gauche. Et ainsi un nouveau coup d’État a été fomenté lors d’une rencontre secrète organisée à Ottawa par le trio USA-Canada-France (2004).

Depuis, Haïti a été transformée de facto en un protectorat. Des militaires de divers pays formellement sous la coupe de l’ONU ont été déployés, soi-disant pour maintenir l’ordre. Après le dévastateur tremblement de terre (2010), la république est devenue le terrain de jeux des « humanitaires », alors que les services essentiels, n’ont même pas été rétablis et que des dizaines de milliers de personnes continuent de croupir dans des camps de fortune. Quelques ateliers de misère ont été installés pour profiter de la masse de crèves-faim qui ont le « privilège » de gagner $5 par jour, une pratique qui doit « sortir le pays de la misère » selon Bill Clinton, intronisé par les puissances comme le « protecteur » d’Haïti. Par ailleurs, la paysannerie (majorité de la population) est abandonnée à son sort, pendant que des investisseurs sans scrupule lorgnent les richesses du pays (agricoles et minières). De temps en temps, des « élections » frauduleuses sont organisées pour donner le change aux opinions publiques, mais pas au pays, parce que personne n’y croit. Le dernier « président » Michel Martelly, qu’on connaît en Haïti comme « Sweet Mickey », était un clown de la pire espèce à la solde de l’ambassade américaine et de la micro élite de Pétionville (le quartier riche de Port-au-Prince).

C’est ce que confrontent chaque jour nos camarades haïtiens, entre autres Batay Ouvriye, un mouvement qui organise la résistance dans les ateliers de misère. Il y a aussi la Plate-forme haïtienne de plaidoyer pour un développement alternatif (PAPDA) qui réunit des jeunes et des jeunes de cœur dans un mouvement social et patriotique, ainsi que toute une galaxie d’organisations féministes et communautaires. Ce qu’on appelle l’ « aide internationale » ignore (à part quelques exceptions comme l’organisme CISO) ces mouvements et ces luttes, ce qui est « logique » dans le contexte de maintenir la dépendance et la misère, sans compter le profit « collatéral » qui consiste à voler les jeunes diplômés et travailleurs qui aboutissent à Brooklyn, Little Haiti (Miami) ou Montréal-Nord !

Au Forum social mondial, nous allons parler de et avec Haïti, notamment avec Didier Dominique (Batay Ouvriye), Camille Chalmers (PAPDA) et plusieurs militants et militantes de la diaspora haïtienne du Québec et des États-Unis.

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