Édition du 26 mars 2024

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Écosocialisme

Climat, COP21 : état des lieux – La « quadrature du cercle » capitaliste

« Climat, COP21 : état des lieux », une entrevue avec Daniel Tanuro, publié dans « Moins ! », un journal bimestriel, créé sous l’impulsion de militant·e·s du Réseau Objection de Croissance, qui vient animer les débats politiques romands et nationaux en Suisse.

Moins ! – Avant la COP, nous avions publié un entretien avec Pablo Solon, ancien ministre bolivien auprès des Nations Unies, qui signalait que « cette conférence et l’accord qui en sortira ne sont qu’un « show », une farce. » Avait-il raison ?

Daniel Tanuro – Je crois que, pour l’essentiel, Pablo avait raison. Il y a évidemment un accord qui dit « 2°C maximum, et même 1,5°C si possible » et qui a l’air magnifique, mais comme disait le responsable du team climat de PricewaterHouse Cooper : « le point-clé de l’accord, ce sont les plans climats2 des gouvernements ». Or, ces plans mènent à une hausse de 2,7 à 3,7°C pour la fin du siècle. Et ça, c’est dans le meilleur des cas, c’est-à-dire s’ils sont tous et effectivement appliqués. Or ils ne le seront pas, puisqu’ils sont non contraignants et que plusieurs d’entre eux sont conditionnés à différents facteurs. Ainsi, ceux de nombreux pays du Sud dépendent des engagements d’aide des pays du Nord. Donc oui, la COP a été essentiellement un « show » et rien n’est résolu.

Dans un article écrit juste après la conférence, vous signaliez qu’à la question « Paris a-t-il donné tort aux affreux grincheux pessimistes [qui en prévoyaient l’échec] ? », la réponse est « non » à au moins 80%. Qu’entendiez-vous par là ?

C’est le résultat d’un calcul tout simple. J’ai comparé les engagements des différents gouvernements avec le scénario « least cost » du GIEC, c’est-à-dire le scénario pour avoir 66% de chance de rester au-dessous de 2°C de réchauffement à la fin du siècle. Il en ressort que les fameux engagements des États ne représentent qu’un peu plus de 20% de l’effort qui devrait être fait pour respecter ce scénario minimal. Et, quand j’ai utilisé cette expression d’« au moins 80 % du chemin reste à parcourir », j’ai bien insisté sur le « au moins ». En effet, ce scénario est fortement biaisé, parce qu’il est basé sur des modèles qui intègrent l’utilisation des techniques d’apprenti-sorcier de la géo-ingénierie, qui le gangrènent complètement.

Malgré cela, de nombreux médias, voire même des ONGs environnementalistes, pour ne pas parler évidemment des gouvernements, ont parlé d’un accord historique...

Ce n’est pas tout-à-fait faux… Dans le sens où tous les gouvernements se sont enfin mis d’accord pour reconnaître qu’il y a changement climatique, qu’il est provoqué essentiellement par l’activité humaine - selon moi par l’activité humaine capitaliste – et que la combustion des combustibles fossiles en est la cause principale. Je sais bien que l’expression « combustible fossile » ne figure même pas dans le document, mais avec tout ce qui s’est dit autour, les choses étaient assez claires. Donc, de ce point de vue-là, c’est historique.

J’ai ainsi tendance à penser, mais je me trompe peut-être, que Paris, en dépit du fait que l’accord ne résout rien, constitue quand même un tournant. Le « débat » au sein des classes dominantes internationales est aujourd’hui pour l’essentiel tranché ! Une majorité de cette classe dominante est convaincue qu’il y a un problème, qu’il est très sérieux, et qu’il va falloir faire quelque chose. Si l’on compare avec Copenhague, il est frappant que les climato-sceptiques n’ont pas eu voix au chapitre à Paris. Je ne dirais pas qu’ils ont perdu la guerre : il y a un lobby puissant derrière eux, notamment aux USA. Si par hasard Trump - ou un autre républicain, car ils sont tous, à un degré ou à un autre, des climat-négationnistes – gagnait les élections, on verrait de nouveau leur capacité de nuisance. Mais ils ont perdu une bataille. Je pense donc qu’il y a eu vraiment un tournant significatif au niveau des bourgeoisies mondiales, qui est le résultat d’actions persistantes d’un certain nombre de « membres éclairés » du personnel politique du grand capital, des gens comme Al Gore, Mark Carney ou Nicholas Stern par exemple.

Comment voyez-vous la suite des négociations internationales ? Que vont faire les gouvernements ?

Je pense qu’ils vont essayer de faire quelque chose, mais sans que ça coûte trop cher au secteur fossile, aux secteurs dépendants des fossiles et au secteur financier qui est très engagé dans les crédits au secteur fossile. Du coup, c’est la quadrature du cercle, comme le montrait déjà le rapport Stern3, qui envisageait deux scenarii de stabilisation du système climatique : un à 550ppmCO2eq4 et un à 450ppm.
Le second est le seul qui donne une chance raisonnable de rester en-dessous des 2°C, mais il coûte 3 fois plus cher. Donc Stern disait qu’il ne fallait « pas en faire trop, ni trop vite » ; il optait pour 550, parce que ça ne coûte que 1% du PNB global en termes d’investissements pour la transition, et pour le reste on verrait plus tard. Je crois que c’est ça la dynamique qui est en train de se mettre en place. Ils vont faire un certain nombre de choses, qui seront très certainement insuffisantes pour la stabilisation du climat, et qui en plus, parce qu’elles sont complètement cohérentes avec l’idéologie néo-libérale de gestion du capitalisme, vont être socialement extrêmement injustes et écologiquement fort dangereuses. Autrement dit, nous avons une véritable politique de capitalisme vert qui se met en place sous l’égide conjointe des gouvernements et du patronat mondial.

Parmi les « solutions » envisagées, parlez-nous des fameuses TEN, les « technologies à émissions négatives », qui semblent avoir tout des nouvelles chimères techno-scientifiques, et qui permettraient surtout de repousser la date à laquelle le total mondial d’émissions de gaz à effet de serre doit absolument commencer à diminuer.

Cela a directement à voir avec ce dont je viens de parler. Le scénario adopté par Stern est un scénario de stabilisation à 550ppm. Or, ce scénario nous emmène vers un réchauffement de 3 à 4°C, c’est-à-dire une catastrophe climatique. C’est là que l’on retombe sur les contradictions de ces gens-là : ils savent que la crise climatique menace la stabilité et la profitabilité de leur système, y compris la stabilité sociale et politique, avec les migrations climatiques par exemple. Ils savent qu’ils devraient pallier au problème, mais la contrainte capitaliste du profit leur interdit de mettre en œuvre une politique de réductions drastique des émissions. Du coup, se pose pour eux la question : comment combler le fossé entre l’accord et les plans climat.

C’est là qu’interviennent les technologies à émissions négatives, de manière d’autant plus probable que le budget carbone encore disponible est devenu extrêmement limité. Selon le 5e rapport du GIEC, le budget pour la période 2011-2100, pour avoir 66% de probabilité de rester sous les 2°C de réchauffement, était de 1000 gigatonnes. Or, on en émet annuellement environ 40 tonnes. Ne parlons donc même plus de l’objectif de 1,5°C, parce que le budget disponible était dans ce cas, en 2011, de 400 Gigatonnes seulement. On en a envoyé déjà 200 Gt dans l’atmosphère, restent donc 200, soit, au rythme actuel... 5 ans d’émissions à peine ! Tout cela donne, je crois, une bonne image de la difficulté et de la pression qui va s’exercer – quel que soit l’objectif, de 1,5, 2 ou même 3°C degrés – pour recourir à ces technologies à émissions négatives.

De quoi s’agit-il donc ? De manière générale, de ce qu’on appelle « géoingénierie ». La définition de la Royal Society en est très large, il s’agit de toutes les techniques ou procédés qui permettent de modifier le climat de la terre. Donc, l’usage massif des combustibles fossiles depuis le XIXe siècle peut être considéré a posteriori comme de la géoingénirie. De même, un projet mondial de plantation massive d’arbres pour « piéger » du carbone, c’est de la géoingénierie. Personnellement, je préfère traiter séparément, d’un côté ce qui relève d’une augmentation de la capacité des écosystèmes à stocker du carbone, comme par exemple la plantation massive d’arbres, de l’autre ce qui est proprement technologique. Cela me semble meilleur pour la compréhension et l’identification des enjeux. Cependant, les deux sont dangereux !

Pour le premier groupe, la plantation massive d’arbres, selon certaines études, permettrait par exemple de retirer annuellement 10 gigatonnes de CO2 de l’atmosphère. Ce n’est pas rien, cela représente un quart des émissions actuelles. Évidemment, le problème est qu’il faut trouver des terres où planter ces arbres. Et là, il y a une triple menace. Menace sociale d’abord, car l’on chasse les populations locales, sous le prétexte, par exemple, que les terres sont dégradées de par leurs pratiques culturales ou pastorales, ce qui est se passe déjà, par exemple en Afrique. Nous sommes bien là face à une accélération d’une nouvelle phase des « enclosures », ce processus de confiscation des terres qui a eu lieu au XIVe, XVe et XVIe siècle en Angleterre et qui a permis le démarrage du capitalisme. Menace sociale, encore, du fait de la compétition en termes d’utilisation des terres – soit pour des cultures énergétiques, soit pour la production alimentaire. Selon une étude récente, retirer de l’atmosphère 3Gt de carbone par an nécessiterait d’établir des plantations industrielles sur des superficies considérables, équivalant à 7-25% de la surface agricole totale (25 à 46% de la surface agricole cultivée en permanence). Le projet impliquerait aussi d’accroître les prélèvements en eau de 3%. Si les plantations étaient établies sur des terres non irriguées, il faudrait augmenter les superficies de 40% pour atteindre l’objectif des 3Gt/an. Menace écologique ensuite, parce qu’il faut être clair, ce ne sont pas des forêts mais des plantations, des monocultures, avec essences à croissance rapide (éventuellement OGM), et toutes les conséquences en termes de biodiversité, ressources en eau, usage de pesticides, etc.

L’autre partie de la géoingénierie, ce sont les projets proprement technologiques. Là, il y a plusieurs projets et idées qui sont véritablement dignes d’apprenti-sorciers. La technologie qui semble la plus rapidement et facilement réalisable, c’est la BECCS : Bio Energy with Carbone Capture and Sequestration, c’est-à-dire « bio-énergie avec capture et séquestration du carbone ». Cela consiste à utiliser de la biomasse à la place des combustibles fossiles pour produire de l’électricité, de la chaleur, du mouvement, et à combiner cela avec la capture-séquestration géologique du CO2. Cette capture-séquestration est une technologie qui n’a pas vraiment décollé, bien qu’on en parle depuis longtemps et qu’il existe quelques projets pilotes, notamment en mer du Nord. La combinaison de ces deux technologies est véritablement une combinaison de deux menaces : la menace sur les terres que je viens d’évoquer, combinée avec les risques de la séquestration. La capture séquestration est une technologie hypothétique, car personne ne peut garantir que le CO2 ne va pas ressortir, par exemple en cas de tremblement de terre. Le stockage lui-même peut d’ailleurs provoquer des tremblements de terre, ce qui s’est déjà produit en mer du Nord. Une manifestation de l’anthropocène est en effet que nous pouvons provoquer des tremblements de terre : l’été passé en Colombie Britannique, le fracking en a provoqué un de 4,5 sur l’échelle de Richter.

Ce qui doit nous rendre vigilants, c’est un certain nombre de projections par des scientifiques qui étudient le potentiel de la BECCS, et qui arrivent à la conclusion qu’il pourrait être compris entre 70% et 140% du budget carbone pour un réchauffement de 2°C ! Voilà comment, très concrètement, cette technologie d’apprenti-sorcier pourrait repousser l’échéance de la réduction absolue des émissions, mouvement qui est en fait déjà en cours, puisque 95% des simulations sur lesquelles le GIEC base son scénario 2°C « least cost » intègrent le recours à la BECCS !

Ce n’est bien sûr pas la seule de ces technologies à émissions négatives, il y en a d’autres, tout aussi dingues, si ce n’est plus, mais qui sont moins matures. Par exemple, le « ocean liming », le « chaulage des océans », qui consisterait à répandre massivement de la chaux dans les océans, qui réagirait avec le CO2 dissous dans l’eau et précipiterait sous une forme de carbonate de calcium. Celui-ci tomberait alors au fond des océans, qui pourraient à nouveau redissoudre du carbone atmosphérique. Projet complètement dingue, mais qui permettrait, selon les projections de certains scientifiques, de multiplier par deux le budget carbone encore disponible d’ici la fin du siècle. Mais personne n’a la moindre idée de l’impact sur les écosystèmes et les fonds marins. De plus, pour réaliser l’opération à une ampleur telle qu’elle puisse avoir un effet significatif sur le climat, il faudrait doubler la flotte actuelle pour avoir suffisamment de bateaux pour disperser la chaux… et tout est à l’avenant !

Dans le domaine climatique, la référence est le GIEC. Comment voyez-vous ce groupe d’experts gouvernementaux, son travail, son fonctionnement, les modèles sur lesquels il se base, etc.?

D’une manière générale, tous les rapport du GIEC sont « conservateurs », puisqu’il ne s’agit que de compilation de publications scientifiques existantes. Le GIEC ne fait pas lui-même d’études, il est donc toujours en retard de plusieurs années. C’est normal.

Maintenant, il faut bien distinguer les 3 groupes de travail différents qui constituent le GIEC. Le groupe 1 travaille sur la physique du changement climatique ; le groupe 2 sur l’adaptation au changement climatique, et le groupe 3 sur les moyens de l’atténuer, la mitigation. Le groupe 1, fait de la bonne science. C’est de la science « dure » : tant que les paradigmes scientifiques ne changent pas, tant que notre compréhension, par exemple du pouvoir radiatif des molécules dans l’atmosphère, n’a pas été révolutionné, en gros, c’est juste. Il ne faut pas oublier le biais conservateur que j’ai signalé précédemment, qu’ils reconnaissent d’ailleurs eux-mêmes, mais c’est de la bonne science. Le second, c’est déjà un peu plus discutable, parce que les questions d’appréciation des impacts écologiques, ça va encore, on peut se baser sur des inventaires, mais l’appréciation des impacts sociaux est par contre très dépendante de l’orientation sociale des chercheurs qui travaillent là-dessus. Finalement, le 3e groupe, celui qui travaille sur la mitigation, est bourré d’économistes. Comme dans les facultés d’économie du monde entier, ce sont à 99% des économistes néo-libéraux, qui jouent avec des scenarii de stabilisation du climat et pour lesquels la « loi » coût-efficience et la « loi » du profit sont des lois naturelles, au même titre que celle de la gravité ou du pouvoir radiatif du CO2 et des autres molécules, c’est sidérant !
C’est pourquoi 95% des scénarios de stabilisation du climat intègrent la géo-ingénierie, et en particulier la BECCS dont je vous parlais tout-à-l’heure. Les chercheurs qui les élaborent ne voient même pas qu’ils font une erreur méthodologique énorme en mettant sur le même pied des lois naturelles et des lois sociales. Le biais idéologique est pourtant évident !

Il est à mon avis très important d’ouvrir un débat de société là-dessus, afin de reconnaître à la fois le rôle extrêmement positif du GIEC et de ses rapports depuis Rio en 1992, en particulier du premier groupe de travail, et dire en même temps que nous avons un grave problème de société, de crédibilité scientifique qui est posé, en particulier par le 3e groupe.

Dans votre livre L’impossible capitalisme vert, vous avez défendu l’idée que, si l’on pense la transition concrètement, le défi climatique ne peut pas être relevé sans mettre en question la croissance matérielle…

Je crois qu’aujourd’hui cela saute aux yeux comme un coup de pied au derrière, avec les quelques chiffres que j’ai donné ! On s’aperçoit qu’il est strictement impossible de réaliser la transition nécessaire pour aller vers un système énergétique renouvelable moins gaspilleur en énergie et plus efficient, dans un délai de temps aussi court, si on ne réduit pas radicalement la production matérielle et les flux de transports. Et ça, quoiqu’on pense de la décroissance : il s’agit d’un simple et strict point de vue matériel, objectif, scientifique ; il nous faut absolument réduire la production.

Un grand débat de société doit donc s’ouvrir immédiatement sur la question de savoir ce que l’on va produire, sur la base de quels besoins, déterminés par qui, avec quelles technologies, etc. Se pose ainsi la question de la suppression de toutes les productions nuisibles ou inutiles. Et dès lors que s’ouvre cette question de la suppression de certaines productions, nous devons réfléchir à la manière de le faire sans déboucher sur des catastrophes sociales, sur une montée encore plus importante du chômage de masse, etc. C’est là qu’intervient la nécessité absolue de la diminution du temps de travail et du partage des richesses, sans lesquelles on ne pourra pas conquérir une majorité sociale en faveur de la transition écologique.

Vous rejoignez ici les objectrices et objecteurs de croissance en signalant, contrairement à la tendance actuelle, que le vrai problème n’est pas technologique, mais avant tout socio-économique, c’est-à-dire politique...

Oui, c’est un problème politique, et en ce sens-là je rejoins ici, dans une certaine mesure, les partisans de la décroissance, bien que ce terme recoupe des groupes parfois très différents les uns des autres, voire opposés. Mais, pour moi, la décroissance est simplement une nécessité de la transition, ce n’est pas un projet de société. Personnellement, je suis partisan d’un projet de société que l’on pourrait qualifier d’écosocialiste, internationaliste, féministe et démocratique, s’il faut essayer d’avoir une description complète. En tant que telle, la décroissance ne dit rien des rapports de propriété, des rapports de production, toutes choses qui sont fondamentales pour la définition d’un projet de société...

Selon vous, demeure-t-il des espoirs de sauver le climat, et si oui, comment ?

Je crois qu’il reste des chances… mais je dirais qu’elles ne sont pas très grandes ! Un élément nouveau doit être pris en compte : même si le capitalisme était remplacé tout de suite par une société écosocialiste mondiale, il resterait nécessaire de retirer du CO2 de l’atmosphère d’ici la fin du siècle.
C’est possible sans recourir ni aux plantations massives d’arbres en monoculture ni aux technologies d’apprentis-sorciers de la géoingénierie, en organisant rapidement et dans le monde entier la transition vers une agriculture paysanne organique de proximité. Voilà une nouvelle donnée, incontournable, dont les partisans d’un changement de société devront mesurer toutes les implications.

Il faut cependant essayer de ne pas être trop noir. Il me semble que le principal problème, c’est le fossé entre d’un côté ce qu’il faudrait faire pour enrayer cette catastrophe climatique et de l’autre le niveau de conscience et de disponibilité, d’ouverture aux alternatives dans la majorité de la population, notamment le monde du travail. La discussion très concrète à mener, c’est comment rendre la population consciente de la nécessité urgente de l’alternative. Je ne crois pas que cela se fasse uniquement par des pratiques alternatives, toutes sympathiques qu’elles soient – je fais moi-même mon jardin en permaculture, c’est très bien, mais on ne va pas surmonter le déficit des consciences uniquement, ni même principalement, à partir de telles pratiques. Je ne crois pas à ces scénarios où des pratiques de vie alternatives se répandent par contagion et permettent de changer la société. Je ne crois pas non plus que cela marchera uniquement par une simple exhortation propagandiste anti-capitaliste, avec l’élaboration d’un programme d’urgence pour résoudre la crise. Il faut élaborer un tel programme. Il faut absolument dire qu’il n’y pas de solution tant que le secteur de l’énergie est aux mains du privé, que la finance est aux mains du privé, puisque ces deux secteurs sont profondément imbriqués et basés sur des investissements de long terme fondés sur le crédit… mais cela ne suffira pas. Il nous faut des pratiques alternatives, il nous faut un programme anti-capitaliste d’ensemble qui tienne la route. Mais, entre les deux, il nous faut quelque chose pour combler le fossé des consciences.

Et là, je pense qu’il faut faire ce que dit Naomi Klein, la « blockadia », il faut pratiquer partout des blocages, il faut mettre un maximum de sable dans les engrenages du système. Puisque l’objectif de 2°C, et même de 1,5°C, a été adopté solennellement par les États, il est légitime d’agir pour imposer le respect de cet objectif. Donc, je crois qu’il faut une stratégie de désobéissance civile, bloquer des projets liés aux combustibles fossiles, afin d’interpeller la population et de provoquer un débat de société sur la catastrophe qui vient et les moyens de la conjurer. Et là, il y a des choses qui se passent, comme aux USA avec des mobilisations exceptionnelles contre le pipeline Keystone XL, à Notre-Dame-Des-Landes en France, en Allemagne avec la campagne « Ende Gelände » contre l’exploitation de la lignite et les centrales au charbon, etc.

Il faut s’inspirer de ces luttes, car il y a une réelle difficulté, surtout dans nos pays, c’est que la majorité des gens sont salariés, et les salariés sont, qu’ils le veuillent ou non, même s’ils sont conscients de la catastrophe climatique et de l’enjeu pour leurs descendants, tout de même enchaînés à la production capitaliste, et donc enchaînés à la croissance. Ce sont eux qui pourraient bloquer la machine, mais ils sont comme paralysés à son service. C’est cette contradiction qu’il nous faut résoudre. Les actions de type blocage doivent donc avoir pour but, non pas de saboter la machine – comme si on allait arrêter le capitalisme par du sabotage, ça c’est de la blague – mais de provoquer des déclics dans la population, pour qu’elle-même dise « on ne peut plus continuer comme ça, on ne peut pas continuer à exploiter le charbon, on ne peut pas continuer le tout-automobile, on ne peut pas continuer à massacrer la planète sur laquelle vivront nos enfants et petits-enfants. C’est un travail extrêmement compliqué, mais passionnant … et générateur d’espoir !

Source : Moins !

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