Édition du 16 avril 2024

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Environnement

Pourquoi les scientifiques sont surpris des niveaux de smog des sables bitumineux

Le rapport sur la pollution de l’air publié dans la revue Nature (1) choque même les meilleurs chercheurs du Canada. Pendant n’importe quelle chaude journée, les guides de tournées des sites de Shell et Syncrude qualifiaient les vapeurs semblables à celle de l’essence qui s’émanaient des immenses mines à ciel ouvert de Fort McMurrray de "l’odeur de l’argent."

Traduction Les AmiEs du Richelieu.

Mais une nouvelle étude publiée dans Nature donne un autre nom pour la puanteur : pollution de l’air en volumes d’une méga-cité.

En réalité les sables bitumineux, qui sont déjà la plus importante source de gaz à effet de serre du Canada, portent un nouveau sobriquet sinistre : "l’une des plus importantes sources d’aérosols organiques secondaires anthropiques de l’Amérique du Nord."

Les chercheurs décrivent les "aérosols organiques secondaires" ou AOS comme des gaz et des particules qui interagissent avec la lumière solaire de façons complexes et sont relâchés par les matières végétales de la planète ainsi que les machines et les industries qui brûlent des combustibles fossiles.

Que l’exploitation des sables bitumineux crée du smog n’est pas une nouvelle en soi pour les chercheurs, mais la sorte de pollution de l’air qu’on a identifiée et son ampleur sont ce qui surprennent et inquiètent la communauté scientifique.

La pollution générée par les mines de bitume se compose d’hydrocarbures similaires à ceux qui viennent des autos et des camions, explique John Liggio, chercheur d’Environnement Canada et le principal auteur de l’étude.

Les vapeurs réagissent avec les rayons du soleil et forment des particules dans l’air. "Ce sont des molécules plus grosses que les hydrocarbures qui seraient générées par une ville. Ces vapeurs réagissent dans l’atmosphère pour former des aérosols organiques secondaires, une partie du smog."

Les AOS ont été associés avec une variété d’impacts négatifs pour la santé dont des maladies respiratoires et cardio-vasculaires.

Tous les jours, la pollution venant des opérations industrielles du bitume s’élève dans l’atmosphère à un rythme de 55 à 101 tonnes par jour. Les scientifiques ne sont pas certains si la pollution vient des sites miniers, des raffineries, ou les 220 kilomètres de lacs contenant les déchets miniers, ou les trois à la fois.

Les scientifiques d’Environnement Canada étonnés

La piètre qualité du bitume, à comparer avec le pétrole conventionnel, explique les volumes extrêmes de polluants semblable au smog. Le bitume, un mélange d’eau, de sable, d’argile et de pétrole semblable au goudron lourd dégradé par des bactéries, est si riche en carbone et pauvre en hydrogène qu’il doit être raffiné pour en faire un carburant utilisable.

Actuellement, l’industrie extrait, raffine et traite environ 2,4 millions de barils de bitume par jour.

L’échelle a même surpris les chercheurs d’Environnement Canada parce que cette sorte de pollution des AOS est habituellement liée aux grandes villes.

Mais la pollution venant des sables bitumineux, mesurée en avion, est maintenant "comparable à celle trouvée sous le vent des méga-cités comme Mexico et Paris, et est plus élevée que celle observée à Tokyo et en Nouvelle-Angleterre."

Les sables bitumineux dépassent même la pollution qui vient du centre-ville de Toronto qui atteint 67 tonnes par jour.

De plus, le taux absolu de la pollution de l’air journalière est comparable aux vapeurs nocives qui se sont évaporées pendant le déversement de BP de 5 millions de barils de pétrole du Deepwater Horizon dans le Golf du Mexique en 2010.

L’étude de Nature fait remarquer que les combustibles fossiles conventionnels ne génèrent pas autant de AOS que le pétrole dense ou le bitume de moindre qualité. Le pétrole non conventionnel ou extrême, un des pétroles les plus dispendieux et les plus sales du monde, compte pour 10% des extractions de pétrole annuelles mondiales.

"À la lumière de la tendance actuelle de l’augmentation de production de pétrole lourd relativement au brut conventionnel, il est nécessaire d’enquêter davantage pour mieux comprendre l’ampleur de cette question mondiale potentielle."

Des polluants mystérieux

Les scientifiques n’en savent pas beaucoup sur les AOS. Ils ne connaissent pas leurs sources les plus courantes ni leur composition chimique complète. Ils ne savent pas non plus ce qui arrive à la pollution pendant son déplacement dans l’atmosphère ou même les impacts qu’elle pourrait avoir sur les changements climatiques.

Les vapeurs toxiques venant du stockage du bitume et des citernes de ventilation près des opérations de sables bitumineux à Peace River ont rendu des résidents malades pendant des années et en ont obligé plusieurs à quitter la province.

La nouvelle étude fédérale suit un autre rapport scientifique accablant d’il y a 3 ans. Cette étude fédérale là avait confirmé qu’un programme de monitorage discrédité, financé par l’industrie, n’avait pas pu dire : la pollution qui contamine maintenant les lacs aussi loin que 90 kilomètres de distance du projet minier gigantesque.

À cause "de l’absence de monitorage environnemental adéquat dans les sables bitumineux de l’Athabasca," les chercheurs d’Environnement Canada ont prélevé des échantillons des sédiments de 6 lacs entre 35 et 90 kilomètres de distance du projet.

Dans les sédiments des lacs de la zone boréale les chercheurs ont découvert que les polluants aériens venant de la production des sables bitumineux étaient maintenant de 2 à 23 fois plus importants que les niveaux des sédiments datés des années 1960.

L’étude avait démontré que, contrairement à la propagande de l’industrie des sables bitumineux et du gouvernement, la pollution du bitume "n’est pas naturelle, s’accroit avec le temps et l’empreinte de l’industrie est beaucoup plus importante que quiconque l’aurait cru," dit John Smol, l’un des écologistes d’eau douce les plus importants du Canada, un professeur du Queen’s University et collaborateur à cette toute récente étude.

Le plus important émetteur de gaz à effet de serre

En même temps, les sables bitumineux demeurent la plus grande source unique des gaz à effet de serre du pays. Environnement Canada a rapporté cette année que le secteur pétrolier et gazier de la nation était le plus gros émetteur de gaz à effet de serre au Canada et produisait 192 mégatonnes, ou 26% des émissions totales de la nation.

Le secteur grandissant du transport au Canada vient au second rang avec 171 mégatonnes ou 23% des émissions.

Selon Environnement Canada, la pollution néfaste pour le climat venant des sables bitumineux pourrait augmenter de 124% (64 mégatonnes) entre 2010 et 2030 et atteindre environ 115 mégatonnes.

Plus tôt cette année, le Conference Board du Canada a accordé au pays la note "D" pour sa piètre performance en environnement. Seulement deux autres pays ont fait pire : les États-Unis et l’Australie. Le Board a décrit la performance de l’Alberta et de la Saskatchewan, deux producteurs de pétrole lourd, comme étant "lamentable" pour la pollution de l’air et les changements climatiques.

1- http://www.nature.com/news/cloud-seeding-surprise-could-improve-climate-predictions-1.19971

Andrew Nikiforuk

Journaliste au journal indépendant The Tyee, Canada.

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