Édition du 16 avril 2024

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Débat sur la question nationale

Pluralisme et indépendance (2) – Pour une convergence des mouvements

Dans la première partie de ce texte[i], nous avons identifié cinq catégories de positionnement de l’indépendance du Québec au plan des valeurs : 1. L’indépendance avant tout, 2. L’indépendance, une bonne chose, 3. L’indépendance comme moyen, 4. L’indépendance, si nécessaire et 5. L’indépendance, jamais de la vie ! Ce pluralisme dans les attitudes face à l’indépendance nous indique que la meilleure stratégie en vue de constituer une majorité en faveur du pays consiste à développer un projet rassembleur ayant du contenu et ne se limitant pas au changement de statut politique pour l’État québécois.

Pour consulter la première partie du texte.

Dans cette deuxième partie, nous allons proposer des éléments de contenu pour le projet de pays qui répondent aux critères énoncés à la fin du premier texte, soit leur caractère rassembleur, leur potentiel mobilisateur et la contribution apportée par l’indépendance. Nous en présenterons trois : la réforme démocratique, la transition écologique et l’opposition aux politiques d’austérité.

Enjeu 1 - La crise des institutions et l’exigence démocratique

On constate une tendance à long terme à une baisse de la participation aux élections et à des opinions de plus en plus défavorables dans la population à l’égard des politiciennes et des politiciens. En réponse, des comités citoyens divers ont travaillé depuis quelques années à l’amélioration de nos institutions démocratiques. La réforme du mode de scrutin a été un enjeu majeur sur ce terrain. Avec le gouvernement Couillard, on remarque un mouvement en sens inverse qui tend à concentrer le pouvoir entre les mains des ministres et des hauts fonctionnaires, au détriment des organismes locaux et régionaux permettant la participation de la population.

L’indépendance du Québec, si elle se fait de manière rigoureusement démocratique, constitue une occasion en or de remettre en cause ces institutions inspirées de la monarchie constitutionnelle britannique et de proposer un modèle différent. Quel modèle sera retenu ? On ne peut le déterminer à l’avance à partir du moment où le processus menant à l’adoption d’une constitution québécoise est lui-même démocratique et participatif. Mais on peut raisonnablement s’attendre à ce que le résultat soit plus démocratique et décentralisé que les institutions actuelles. Minimalement, la rupture du lien fédéral et la fondation d’un nouvel état ouvrent la porte à des débats en profondeur sur toutes ces questions.

La formule de l’assemblée constituante avec une large consultation populaire est probablement la plus prometteuse sur ce plan. Le plus on donne de place à la participation de la population, le plus les gens se sentiront partie prenante de la définition du projet, le plus nous pourrons rallier largement en faveur de sa réalisation. Même des personnes plutôt indifférentes à la question nationale ou ayant un penchant pour l’unité canadienne pourraient se rallier au mouvement indépendantiste en vue d’obtenir des institutions plus démocratiques et de participer à un véritable processus d’autodétermination collective.

L’échec du Parti québécois dans ce domaine est frappant. Dès le gouvernement Lévesque, l’engagement à réformer le mode de scrutin a été abandonné simplement parce que le mode actuel était avantageux pour le PQ. Ce parti a d’ailleurs remporté l’élection de 1998 malgré un total de votes inférieur à celui du Parti libéral. En ce qui concerne la constituante, les dirigeants péquistes ont tendance soit à lui substituer un comité d’experts choisis par le Premier ministre du Québec ou à confondre une véritable constituante avec ce type de comité. Par contre, la constituante semble devenir un point de ralliement pour d’autres forces indépendantistes comme les OUI-Québec, Option nationale et bien entendu Québec solidaire.

Enjeu 2- La crise climatique et la transition énergétique

Le paysage politique canadien des prochaines années sera en grande partie délimité par le positionnement de chaque parti au sujet de l’avenir de l’industrie pétrolière et des projets d’infrastructure qui y sont liés (comme l’oléoduc Énergie Est). Le positionnement des Conservateurs a le mérite d’être clair. Le nouveau gouvernement Libéral tente de nous convaincre, tout comme le gouvernement NPD de l’Alberta, qu’un projet comme Énergie Est serait compatible avec l’atteinte de cibles ambitieuses de réductions de GES pour le Canada, ce qui est complètement absurde. Les pressions contradictoires de l’industrie et des mouvements citoyens écologistes pourraient constituer la première véritable épreuve pour ce gouvernement.

Il s’agit aussi du principal défi auquel fait face le NPD à l’ère post-Mulcair. Les sections provinciales de l’Alberta, de la Saskatchewan et du Nouveau-Brunswick ont tendance à appuyer Énergie Est et plus généralement l’industrie pétrolière à cause des avantages à courte terme pour leur juridiction. Celles de l’Ontario, du Québec et de la Colombie-Britannique sont opposées à des projets qui mettent en danger leur territoire en leur rapportant très peu. Le débat sur le manifeste du Bond en avant (Leap Manifesto) promet d’être très difficile et possiblement de causer une crise dans ce parti.

Bref, aucun des trois partis susceptibles de former le gouvernement fédéral dans un avenir prévisible n’a de politique claire et ferme en faveur d’une transition énergétique rapide. L’influence de l’industrie des hydrocarbures sur l’ensemble du capitalisme canadien et l’attachement de ces partis pour le capitalisme constituent le fondement de cette situation, en dépit de la raison scientifique et de la justice climatique élémentaires.

Le potentiel pour une confrontation Québec-Canada sur ces questions est donc indéniable, d’autant plus que la filière des hydrocarbures est encore minime dans l’économie québécoise (à l’exception de Gaz Métro). Le gouvernement Couillard fait écho aux absurdités du fédéral avec sa propre mouture du « développement durable » qui signifie en fait un appui indéfectible pour les multinationales extractivistes, comme en témoigne le récent projet de loi sur les hydrocarbures, inspiré de l’infâme loi sur les mines.

Le gouvernement Marois avait échoué lamentablement à mobiliser le Québec sur ce terrain avec son appui pour l’extraction de pétrole de schiste sur Anticosti (que le PQ maintient encore aujourd’hui !), son ouverture à Énergie Est et son intérêt pour des plateformes de forage dans le Golfe du Saint-Laurent.

Tous les partis capitalistes semblent adhérer à des degrés divers au protectionnisme du carbone, c’est-à-dire l’idée que NOTRE pétrole (ou gaz ou charbon) est préférable à celui des AUTRES. Alors qu’un positionnement écologiste de base devrait être que le seul bon pétrole est celui qui reste dans le sous-sol, avec en seconde place celui qui cause le moins de dommages par sa production et son transport. Rien ne justifie, de ce point de vue, l’appui à une quelconque forme de pétrole « extrême » (sables bitumineux, de schiste ou en haute mer).

Le mouvement indépendantiste doit reprendre à son compte l’objectif d’une transition énergétique rapide, incluant la sortie du pétrole à moyen terme. Un tel engagement pourrait rallier des écologistes plutôt indifférents sur la question nationale et même créer des alliances avec les Premières Nations sur tout le territoire canadien ainsi qu’avec les écologistes du reste du Canada.

Enjeu 3- La crise économique prolongée et la lutte contre l’austérité budgétaire

La grève étudiante de 2012 a été la plus grande mobilisation contre la tarification des services publics et pour la justice sociale depuis des décennies, au Québec ou ailleurs au Canada. Elle a causé de la chute du régime Charest et inspiré le début d’un regain de combativité dans le mouvement syndical. Elle a aussi convergé avec le mouvement écologiste, notamment dans l’opposition au Plan Nord et la manifestation monstre du Jour de la Terre (22 avril 2012).

La lutte contre les politiques d’austérité se poursuit et devrait continuer longtemps. Le capitalisme mondialisé n’est pas sur le point de résoudre ses contradictions ou de changer sa nature. La compétition à outrance à la recherche du profit à court terme va continuer d’exercer une pression à la baisse sur les salaires et les programmes sociaux.

Si le Québec voulait développer une politique économique alternative (ce qui est loin d’être le cas avec le gouvernement actuel !), il rencontrerait vite les limites de sa marge de manœuvre, étant donné que les principaux leviers de la politique économiques sont à Ottawa et que le gouvernement fédéral défend invariablement les intérêts des grandes banques et des multinationales.

L’indépendance, si elle se fait par la base avec un programme démocratique et écologique ambitieux, donnerait également un élan à la lutte pour plus de justice sociale et de meilleures conditions de travail.

Ici encore, le PQ n’a aucune crédibilité, surtout depuis la politique du déficit zéro de 1996. Son appui ferme pour l’économie néolibérale s’est confirmée durant les 18 mois du gouvernement Marois avec sa panique face « l’angoisse fiscale » des riches et la recherche, encore une fois, de l’équilibre budgétaire à tout prix. Le potentiel mobilisateur pour l’indépendance des luttes contre l’austérité est désamorcé par l’adhésion du PQ à une version particulière de la pensée unique économique.

Conclusion : pour un mouvement indépendantiste avec du contenu

On constate donc que rallier la majorité de la population à un projet indépendantiste « tout court », sans contenu politique autre que le transfert de pouvoirs d’Ottawa vers Québec, est voué à l’échec. Une telle proposition permet de rallier les catégories 1 et 2 dans notre modèle, mais pas les autres.

La vision unidimensionnelle de l’indépendance est profondément conservatrice, dans les faits, même lorsqu’elle s’habille d’une radicalité indépendantiste. Elle repose sur l’acceptation et le maintien des institutions que nous avons hérité du colonialisme britannique. Elle confie donc l’essentiel de l’initiative et des décisions au premier ministre du Québec, qui est fermement situé à la tête des institutions en question. La tactique de l’élection référendaire est une variation sur ce thème, l’adhésion des institutions au projet étant considérée comme un substitut pour un appui populaire réel.

C’est aussi une stratégie qui est vouée à l’échec parce qu’elle ne repose pas sur la mobilisation et l’action autonome de la population en faveur de son autodétermination collective. Sans cette activité à la base, le mouvement indépendantiste est inévitablement faible face à l’État canadien et aux forces sociales qui tiennent à maintenir son unité. La tendance naturelle est donc de chercher des compromis, une « nouvelle entente », et donc de glisser vers l’autonomisme comme le fait le PQ depuis le début.

Si on veut construire une majorité en faveur de l’indépendance, il nous faut rallier aussi un grand nombre de personnes qu’on situerait dans les catégories 3 et 4. Pour ces personnes, le projet indépendantiste n’a de sens que s’il s’accompagne d’un contenu sur d’autres plans et permet de réaliser un « projet de société » meilleur que celui que nous offre le Canada. Parmi ces éléments de contenu mobilisants et rassembleurs, la réforme de nos institutions démocratiques, un virage vert sur le plan de l’énergie et la rupture avec les politiques d’austérité nous semblent les plus porteurs dans le contexte actuel.

Le Parti québécois est en déclin à long terme et ne trouve pas de solution à son dilemme parce qu’il est incapable d’enraciner le projet de pays dans les enjeux qui préoccupent la majorité de la population et correspondent à ses intérêts. Il a trop longtemps gouverné dans l’intérêt du 1% et en conformité avec la pensée unique néolibérale. La voie tracée par Québec solidaire est présentement la seule qui offre une perspective stratégique crédible au mouvement. Les programmes développés par Option nationale et par les Oui-Québec vont en partie dans le même sens et on pourrait souhaiter une convergence organisationnelle de ce côté. Par contre, comme ces deux organisations puisent dans nos catégories 1 et 2 et n’ont pas développé une stratégie en direction d’autres segments de la population, leur travail conjoint avec QS n’apporterait pas les nouvelles forces sociales nécessaires à une relance du mouvement indépendantiste.

Seule une convergence des mouvements et des luttes, incluant le mouvement pour l’indépendance mais allant bien au-delà de ses rangs, pourrait remettre la question du pays au centre du débat politique d’une manière positive, en redonnant l’initiative au camp indépendantiste redéfini comme celui de la majorité de la population, contre notre propre minorité possédante et dirigeante. La république écologique et sociale du Québec est la destination commune qui permettrait à cette convergence de rassembler une majorité.


[i] http://leblogueursolidaire.blogspot.ca/2016/05/pluralisme-et-independance-1.html

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