Édition du 16 avril 2024

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Il reste encore une guerre que nous ne connaissons pas

La-guerre-na-pas-un-visage-de-femme.

La guerre, « Nous sommes prisonniers d’images « masculines » et de sensations masculines » de la guerre ». L’écriture de l’histoire, grande et petite, est le plus souvent celle des vainqueurs et des dominants. Qu’en est-il du « continent isolé des femmes », du sexe de la guerre, des inscriptions genrées dans la guerre ?

« La guerre « féminine » possède ses propres couleurs, ses propres odeurs, son propre éclairage et son propre espace de sentiments ».

Des témoignages de ce que fut la guerre et le retour, des femmes soviétiques. Des enregistrements, des souvenirs, des « mots neufs ». Svetlana Alexievitch se transforme en « une seule grande oreille sans relâche tournée vers l’autre ».

« Je ne peux pas. Je ne veux pas me souvenir. Trois ans passés à la guerre… Et durant trois ans, je n’ai plus été une femme. Mon organisme était comme en sommeil. Je n’avais plus de règles, plus de désir sexuel. »

La guerre, « la guerre c’est avant tout le meurtre, ensuite c’est un labeur harassant », le langage propre de la guerre des femmes, le long silence, les yeux pour parler…

Plus tard, ce que la censure a supprimé, les viols, les meurtres d’enfant, le cannibalisme… ce que l’auto-censure a écarté…

« J’ai découvert que la guerre ne se réduisait pas à la mort, qu’elle était constituée d’une multitude d’autres éléments, qu’on y retrouvait tout ce qui compose l’ordinaire de la vie ».

Les mensonges, les camouflages, les ambiguïtés, les dissimulations, les réactions masculinistes…

Ces « gamines » qui voulaient faire la guerre, un problème « linguistique », les termes féminins nés au front, l’endurance de personnes ordinaires, les rêves de futur, la vie quotidienne, les métiers militaires, les odeurs, la haine, « la guerre commence par la haine », les habits d’hommes, les cheveux rasés, les baïonnettes plongées dans le corps d’un autre…

« la coexistence de deux vérités dans l’esprit d’une même personne : une vérité personnelle refoulée dans les tréfonds de la conscience, et une vérité empruntée, ou plutôt contemporaine, imprégnée de l’esprit du temps présent, de ses impératifs et de ses exigences »

La mémoire, le silence, les paroles, « Elles se sont tues durant si longtemps que leur silence, lui aussi, s’est changé en histoire », la parole plus franche sur la mort que sur l’amour…

Les orphelin-e-s, les retrouvailles, le NKVD et les déportations staliniennes…

« JE LEUR POSAIS DES QUESTIONS sur la mort, et elles me parlaient de la vie. Et mon livre, ainsi que je m’en rends compte à présent, est un livre sur la vie, et non sur la guerre. Un livre sur le désir de vivre… »

L’étrange continuité dans les temps de rupture, le surgissement de l’ordinaire, la place de femmes, les rapports sociaux de sexe, le stalinisme

« A ce jour, je n’ai même toujours pas appris à sourire… »

De l’auteure :

La Fin de l’homme rouge, vingt-ans-ont-passe-arretez-de-nous-faire-peur-avec-le-socialisme-disent-les-enfants-a-leurs-parents/

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Svetlana Alexievitch : La guerre n’a pas un visage de femme

Editions Presse de la Renaissance, réédition J’ai lu, 416 pages, 7,80 euros

Didier Epsztajn

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