Édition du 26 mars 2024

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Forum social mondial 2016 à Montréal

Forum Social Mondial de Montréal : À la manière d'une sorte de foire éclatée aux milles et une idées

Il reste bien sûr périlleux de faire le bilan de la 12 édition du Forum Social Mondial qui s’est tenu à Montréal du 9 au 14 août 2016, puisqu’avec ses quelques 1 200 activités autogérées et ces 21 grandes conférences, il était tout bonnement impossible d’être partout à la fois et par conséquent de pouvoir faire un bilan exhaustif des activités qui s’y sont données ainsi que des décisions collectives qui ont pu être prises.

Il reste aussi difficile, quand on vit au Québec, de ne pas participer à un certain "jovialisme", puisque ça se passait "chez nous" et que, malgré la question des visas refusés (plus de 60% des demandes auraient été rejetées) et du scandale médiatique déclenché autour des activités de boycott d’Israël, tout s’est déroulé sans anicroche majeure. Notamment quand on pense aux 35 000 participants enregistrés et aux formidables défis qu’une telle activité représentait, non seulement en terme de logistique et d’accueil, mais aussi en terme de mobilisation bénévole, de dévouement militant (les responsables des NCS en savent quelque chose !).

Ceci dit, il parait difficile de passer à côté de questions de fond, des questions qui ne sont pas d’abord d’ordre technique ou organisationnel, mais d’ordre essentiellement politique.

Et là, il ne s’agit pas seulement d’évoquer la question —maintes fois ressassée— du choix de Montréal, grande métropole nord-américaine qui, parce que située dans un pays impérialiste comme le Canada et impliquant pour les citoyens venus du Sud d’importants coûts et de notables restrictions migratoires, n’a pas facilité la participation et encore moins la rencontre entre gens du Sud et gens du Nord.

Il s’agit de beaucoup plus : du sens et du devenir même du Forum Social Mondial dont la première édition s’est tenue en 2001 à Porto Alegre, à l’époque où la démocratie participative battait son plein et où le PT de Lula était en pleine ascension, porteur encore de véritables projets de transformations sociales pour le Brésil. 15 ans plus tard, n’est-il pas temps de faire le bilan du FSM ? A-t-on atteint les objectifs —ne serait-ce que minimalement— qu’on s’était fixés à l’époque ? Et si on n’y est pas arrivé, quelles en seraient les raisons ?

Faire face au déploiement néolibéral

À l’époque il s’agissait de faire face à l’échelle du monde entier, au déploiement du néolibéralisme (à ce qui apparaissait comme une nouvelle phase du développement capitaliste), et pour cela il s’agissait de stimuler et d’unir des forces sociopolitiques passablement secouées et désorientées par la chute du Mur de Berlin et la perte de crédibilité de toutes les alternatives sociopolitiques traditionnelles à travers lesquelles elles pouvaient se reconnaître. Il s’agissait de tenter de les faire se rencontrer à l’échelle internationale pour leur permettre d’être à la hauteur des défis posés par un néolibéralisme omniprésent, lui qui partout importait les mêmes recettes économiques stéréotypées et contre-productives, les mêmes dégâts sociaux, les mêmes inégalités croissantes.

D’où cette volonté —en contrepoint aux rencontres de Davos--- de montrer à tout un chacun qu’à gauche aussi on pouvait se réunir et se transmuer en forces nouvelles qui allaient compter à l’échelle du monde. D’où aussi cette volonté de pluralisme et en même temps ces aspirations à privilégier d’abord et avant tout la voix des mouvements sociaux en lutte contre le néolibéralisme, particulièrement ceux qui nouveaux et combattifs (féministes, indigènes, écologistes, dalits (Inde), etc.) semblaient recéler d’indéniables potentiels de transformations sociale. D’où enfin le côté radical et plus encore révolutionnaire qui tendait à colorer toutes les discussions, tous les nouveaux paradigmes, les plans d’action mis à la discussion et destinés à préparer la venue d’un autre monde possible. Car le Forum avait pour but ultime de remettre en mouvement à l’échelle du monde une force sociale et politique internationaliste capable de stopper la machine néolibérale ainsi que de mettre en place des alternatives positives et durables au chaos que cette dernière ne cessait d’entrainer dans son sillage.

Les questions de Hugo Chavez et de Chico Whitaker

Il reste que bien vite —dès les premiers forums— les questions n’ont pas manqué de surgir : au-delà de l’extraordinaire diversité et enthousiasme propres aux premières éditions et dont les audiences ne cessaient de grandir, ne fallait-il pas se donner les moyens de se retrouver autour de grandes orientations communes et rassembleuses, et plus encore autour de moyens d’action véritablement unificateurs ? Des moyens d’actions qui ne soient pas seulement d’ordre social, mais aussi politique et en cela plus généraux et donc plus rassembleurs ? Déjà en 2006 à Caracas Hugo Chavez —alors porté par une révolution bolivarienne encore très vivante— rappelait la nécessité "d’un plan d’action global pour vaincre l’impérialisme", tout en servant cet avertissement aux participants du FSM de Caracas : " la lutte pour un monde meilleur, de paix et de justice, n’est pas seulement possible, elle est nécessaire... pas pour demain, mais pour maintenant... ce serait terrible si le forum social mondial devenait un festival annuel de tourisme révolutionnaire ".

Cette fois-ci en 2016, c’est au tour de Chico Whitaker —un des fondateurs d’origine brésilienne du Forum--- de s’interroger à la fin de l’atelier des NCS sur l’Amérique latine, sur ce qu’il aurait fallu oser faire dans les éditions passées du FSM : être plus critique, disposer de lieux de débats, s’aventurer à questionner dès le début des années 2000 les orientations de fond —les orientations politiques donc—, tant du Forum Social Mondial que des gouvernements de gauche qui en Amérique latine ont représenté de formidables espoirs et paraissent tous aujourd’hui en train d’être poussés vers la sortie par une droite revancharde et agressive. Comment expliquer un tel retournement, et comment expliquer que le Forum ne soit pas arrivé à se développer plus, à devenir une authentique force de transformation sociopolitique à l’échelle du monde ?

L’a apriori de l’horizontalité ?

Que l’on veuille ou non, c’est ce qui a manqué au Forum social de Montréal. L’a priori pour l’horizontalité à tout prix a conduit le Forum à être à sa manière une sorte de foire éclatée aux milles et unes idées de gauche, aux milles et une sensibilités de gauche, aux milles et une visions culturelles, artistiques de gauche, aux milles et une pratiques de gauche. Mais sans qu’il y ait de fil à plomb, de lieux communs et rassembleurs où il soit possible —sinon à la marge ou sans grand succès— de faire avancer dans une même direction la richesse des réflexions des uns et des autres, du Nord comme du Sud.

Les faire avancer... pour non seulement être capable de pointer du doigt des problèmes de fond, mais aussi et surtout pour stimuler des interventions collectives grandissantes. En somme les faire avancer... pour être un peu plus à la hauteur des formidables défis posés par le capitalisme néolibéralisé d’aujourd’hui.

Pierre Mouterde
Sociologue

Pierre Mouterde

Sociologue, philosophe et essayiste, Pierre Mouterde est spécialiste des mouvements sociaux en Amérique latine et des enjeux relatifs à la démocratie et aux droits humains. Il est l’auteur de nombreux livres dont, aux Éditions Écosociété, Quand l’utopie ne désarme pas (2002), Repenser l’action politique de gauche (2005) et Pour une philosophie de l’action et de l’émancipation (2009).

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