Édition du 16 avril 2024

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Québec

Écho à l’appel pour une commission d’enquête sur le racisme systémique

tiré de Vivre ensemble

Le texte de l’appel a un grand mérite : il fait parler les chiffres. Ceux-ci dressent un portrait succinct des obstacles rencontrés par beaucoup de nos concitoyens : tantôt décrits comme communautés racisées, tantôt comme Autochtones, tantôt comme minorités. Ils permettent de prendre la mesure du racisme dans le Québec d’aujourd’hui, mais aussi de la réalité des personnes qui le subissent.

Trois éléments de cet appel sont fondamentaux : l’importance de mieux comprendre ce qu’est le racisme, de le documenter et enfin l’impératif de décrier le manque d’outils politiques et légaux pour rendre compte de l’intersectionnalité des oppressions. À cet égard, les politiques publiques sont largement en décalage avec ce que nous enseigne la sociologie du racisme. Cet appel nous place encore une fois devant l’importance de dévoiler ce qui sous-tend, souvent de manière inconsciente, les nouvelles formes de racisme. Dans une société et une nation comme le Québec, historiquement la cible de représentations xénophobes dans l’ensemble canadien, il serait indécent de ne pas lutter contre ce fléau quand son visage perfide apparaît.

En somme cette demande de commission d’enquête a une vertu politique importante. Elle repose sur la place que doivent consentir les majorités des démocraties libérales à l’égard des groupes minorés qui font face à l’exclusion. Cela met les démocraties libérales au défi d’imaginer des arrangements institutionnels qui, pour reprendre les mots du philosophe Étienne Balibar, « démocratisent la démocratie » et « excluent l’exclusion »2. Dans cette optique, les groupes qui se mobilisent collectivement ne manifestent pas les traits d’une identité. Ils mettent plutôt en scène des rapports entre identités : mieux encore, ils mettent en scène un rapport entre inclusion et exclusion. Au fond, il s’agit de lutter contre les logiques de dé-démocratisation. Et le gouvernement québécois actuel en induit beaucoup par ses politiques austéritaires et économiques. Car le développement des préjugés sous leurs diverses formes est inversement proportionnel à la vitalité de notre citoyenneté démocratique. Il importe de ne pas perdre de vue que la citoyenneté n’est pas automatiquement démocratique ou égalitaire. L’égalité n’est pas naturelle, il faut souvent la faire advenir en bousculant les logiques de fonctionnement « naturelles » de nos institutions. C’est le grand mérite de cet appel. Il exige de penser une communauté politique fondée sur des conceptions de l’égalité et de la démocratie aux antipodes des modèles en vogue. Les questions identitaires et le rapport à l’altérité sont au cœur des débats actuels. D’abord parce qu’ils mettent en scène ce qui soustend le vivre-ensemble : c’est-à-dire le souci pour un monde commun. De donné et naturel, il devient politique ; il relève de notre responlisabilité. Une telle perspective exige que l’égalité qui préside aux fondements de nos institutions puisse se vérifier en actes effectifs. Certes, les notions d’exclusion et d’inclusion en cause dans ces débats ne décrivent pas tant des règles ou des situations fixes que des conflits sociaux et des rapports de pouvoir au travers desquels la citoyenneté « réfléchit » ses propres conditions de possibilité. La notion d’exclusion est révélatrice des contradictions actuelles qui traversent la citoyenneté à cause de différents mécanismes qui tiennent à distance de l’égalité effective des catégories importantes de nos populations. Cela nécessite donc de défendre des droits fondamentaux, mais aussi de penser leur combinaison avec des représentations et des pratiques. ce qui demande notamment que l’on s’attarde aux représentations et aux dynamiques d’exclusion s’appliquant quotidiennement à l’expérience des personnes. La mise sur pied d’une telle commission peut aider à en situer les causes ou les non-dits (savamment dissimulés dans les comportements), voire des biais implicites. Ce rappel est fondamental car les personnes ici victimes ou sujettes au racisme disposent dans la majorité des cas des mêmes droits que le grand nombre. C’est ce constat qui implicitement pose l’importance de la mise sur pied d’une telle commission sur le racisme pour les personnes ayant initié l’appel ici discuté.
La mécanique raciste3 et stigmatisante - à l’ère de la radicalisation néolibérale et de l’extrême extension des domaines de la droite4 - agit sur nos manières de penser, de ressentir et de percevoir les parties qui composent nos sociétés. Elle fait en sorte que notre compassion se distribue inégalement et que notre mansuétude soit moins grande à l’égard de certains groupes humains présentés comme porteurs de traits antithétiques avec les exigences de la vie « moderne », « civilisée » ou simplement « normale ». La mécanique raciste induit ainsi une « empreinte » sociale et humaine trop importante à nos yeux pour ne pas mobiliser quelques-uns de nos efforts afin de tenter de l’arrêter, de la démonter et de la démanteler. Ce sont des dignités foulées et des conditions d’épanouissement individuel et collectif affectées, voire détruites ; ce sont trop souvent des vies brisées, précarisées. Ce sont autant de violences déshumanisantes, symboliques et réelles, ici et ailleurs dans le monde.

1 Sous ce lien : http://plus.lapresse.ca/screens/ e9020f7c-0021-4659-a972-e2908ac6db6b%7C_0. html
2 Étienne Balibar, « De quoi les exclus sont-ils exclus ? », dans La proposition de l’égaliberté, Paris, PUF, 2010, pp.241-251.
3 Voir notamment : http:// lmsi.net/La-mecanique-raciste
4 Pour en savoir plus : http://www.lesinrocks. com/2014/06/03/actualite/contre-lideologie-dominante-11508024/

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