La question peut se poser : pourquoi parler d’une action faite par un joueur de football multimillionnaire ? Il faut la remettre en perspective avec les nombreuses contestations politiques faites par des athlètes noirs qui ont marqué l’histoire américaine. Souvenons-nous du geste posé par Tommie Smith et John Carlos qui ont soulevé le poing pour symboliser le « Black Power », aux Olympiques de Mexico en 1968. Ce geste reprenait le slogan de Stokely Carmichael, leader du mouvement noir à l’époque. Le Black Panther Party l’avait d’ailleurs repris lors de sa fondation à Oakland.
Plusieurs joueurs de la NBA, aussi des multimillionnaires, ont condamné catégoriquement les propos racistes du propriétaire des Kings de Los Angeles, Donald Sterling, qui, suite au tollé provoqué par sa réaction, a démissionné et vendu l’équipe. Il serait aussi ridicule de penser que les athlètes professionnels millionnaires sont insensibles aux injustices subies par les noirs aux Etats-Unis.
Karem Abbdul Jabar, le plus grand joueur de basketball de tous les temps, a toujours appuyé la lutte pour les droits civiques et il a défendu publiquement le geste de Kaepernick dans un articulé du New York Times. Jabar y déclare que les « antipatriotes » sont les détracteurs du quart-arrière des 49ers et que les « véritables patriotes » sont ceux-celles qui se lèvent pour dénoncer l’oppression dont sont victimes les minorités aux Etats-Unis et dans le monde : ceux qui brandissent l’étendard de la liberté ont un devoir de la défendre partout.
Le mouvement de Black Lives Matter a qualifié Kaepernick de « héros national » et l’a reconnu comme une figure importante de la culture politique des noirs. À son tour, Kaepernick avait appuyé Black Lives Matter, dès la naissance du mouvement après les meurtres de Ferguson et de Baltimore. Son action s’inscrit dans la lutte entreprise par les noirs américains contre le racisme systémique, le profilage racial et l’entrave du droit de vote des noirs.
La riposte furieuse des néoconservateurs qui s’indignent du geste de Kaepernick est révélatrice des tensions raciales qui animent la société américaine, depuis des décennies. Pensons à Donald Trump qui était prêt à payer un billet d’avion à Kaepernick pour qu’il puisse quitter « ce beau pays qu’il déteste tant ». Hilary Clinton, quant à elle, qui se dit une « défenseure des noirs » n’a pas commenté l’affaire Kaepernick. Par opportunisme politique, la candidate démocrate craint probablement de perdre des appuis de républicains déçus si elle appuyait le geste du quart-arrière des 49ers ou si, au contraire, elle déciderait d’adopter une position mitigée qui le ferait perdre le vote des noirs.
Ne soyons pas dupes : le geste de Kaepernick pourrait lui coûter cher. Certains athlètes noirs ont déjà subi les foudres du gouvernement américain par le passé. Ce fut le cas de Mohammed Ali qui avait défié la conscription durant la Guerre du Vietnam en déclarant : « Aucun Viêt-Cong ne m’a traîté de nègre ! » Cela nous rappelle aussi Jesse Owens qui avait défié le régime nazi en gagnant 4 médailles d’or à Berlin en 1936 et John Thorpe, un amérindien nommé le « plus grand athlète du demi-siècle », à qui on avait retiré ses médailles olympiques pour avoir jouer au baseball dans une ligue de blancs. Le boycott de Kaepernick est un geste de la même importance historique. Tout comme Mohammed Ali, Kaepernick n’est plus simplement un grand quart-arrière, il est devenu la figure de proue d’un mouvement plus grand que lui.