Édition du 23 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Féminisme

M. Trudeau serait-il un pseudo féministe ?

1ère partie

Première partie

En octobre, Mme Pamela Palmater, professeure à la chaire de la Gouvernance indigène de l’Université Ryerson, Micmac d’origine, va faire une intervention devant le Comité sur l’élimination des discriminations contre les femmes. Elle entend être sévère : « Je vais parler de l’égalité des droits des femmes et des enfants autochtones que le Canada n’a toujours pas mis en œuvre ». Il y a tant à dire. Le gouvernement libéral ne s’est toujours pas plié à une directive légale qui lui impose de réformer le système de bien-être des enfants dans les réserves autochtones. Il s’agit de se défaire d’une législation qui perpétue le racisme et le sexisme contre les femmes et les filles qui y vivent. Il n’a pas agit contre les écarts de financement qui mènent à la pauvreté et au manque d’éducation aussi bien qu’à la violence des policiers contre les femmes et les filles amérindiennes. « Je vais dire que chez Justin Trudeau, les bottines ne suivent pas les babines », ajoute Mme Palmater.

Anne Kingston, maclean.ca, septembre 2016,
Traduction, Alexandra Cyr,

Lire la deuxième partie de l’article.

Il y a tout juste six mois, le Premier ministre a été acclamé aux Nations Unies, parce qu’il défendait l’égalité entre les hommes et les femmes : « Je vais continuer à proclamer haut et fort que je suis féministe ». C’était devant un auditoire composé presque uniquement de femmes en extase à une conférence de l’ONU à New-York. Il a quand même insisté pour dire que le problème de la violence contre les amérindiennes était énorme.

À ce moment-là, l’indentification de M. Trudeau au féminisme, était intimement liée à sa position envers les « Sunny Ways ». À la question de savoir pourquoi il avait nommé autant de femme que d’hommes à son cabinet, on a entendu sa célèbre réponse : « Parce qu’on est en 2015 » ! Elle est devenue proverbiale. Il a nommé Mme Katie Telford cheffe de son cabinet et a ouvert des voies en nommant la première femme leader du gouvernement en Chambre, la députée Bardish Chagger. Le jour de la fête internationale des femmes, il a annoncé qu’une figure féminine autre que royale apparaitrait sur les billets de banque.

En janvier dernier, au Forum économique de Davos, il a déclaré : « Nous ne devrions pas avoir peur du mot . Les hommes et les femmes devraient l’utiliser pour parler d’eux-mêmes autant qu’ils le veulent ». Il avait le ton enthousiaste de quelqu’un qui vient de faire une découverte. En mars, il a été sacré féministe après avoir coopéré avec la télévision Vox. Il imitait les images du « Hey girl » de Ryan Gosling. Ce fut une sensation virale sur tous les médias sociaux : « He ! les filles, je peux contrôler la GRC mais je ne contrôlerai jamais votre utérus ». Et aussi : « He ! les filles, peut-être que je suis dans la lune, mais il me semble que le Canada a encore beaucoup à faire pour arriver à l’égalité des salaires entre les hommes et les femmes ».

Que ce Trudeau là ait été accueilli comme le chevalier blanc après presque dix ans de positions gouvernementales qui vacillaient entre l’évitement et les attaques contre les femmes et sur les questions de genre, n’a rien d’étonnant. Sous le gouvernement Harper les programmes spécifiques aux femmes ont été éliminés, la violence contre les femmes et les filles autochtones à été ignorée. La rhétorique conservatrice a tenu compte de la violence faite aux femmes dans le pays, quand des femmes portant le hijab ou le niqab ont été attaquées dans les rues de Toronto et Montréal au cours de la campagne électorale. Les Libéraux sont arrivés et ont changé les politiques : ils ont recommencé à subventionner les organisations de défense des femmes ; ils ont rétabli le financement des services d’avortement lié à l’aide internationale. Un comité a été formé pour enquêter sur les meurtres et disparitions des amérindiennes, d’autres sur l’inéquité dans les salaires, sur la réforme électorale et pour dégager les distorsions de genre (dans l’administration et la société).

Mais après plus de 10 mois au pouvoir, le Premier ministre « féministe » échoue l’examen. Les réalités économiques et politiques ont évacué les principes du féminisme. Par exemple, la priorité a été donnée aux emplois canadiens en décidant de vendre pour 15 milliards de dollars de véhicules blindés légers à l’Arabie saoudite, pays où l’inégalité des sexes règne en maitre. En mars, le budget n’a pas dégagé les fonds nécessaires pour arriver à la hauteur de ce qu’impliquaient les discours et engagements. Rabble souligne que ce premier budget Trudeau était largement anti féministe. Mme Kate McInturff, chercheuse sénior au Centre canadien de politiques alternatives, qui se spécialise dans les politiques d’inéquité de genre et de politiques publiques, a publié une critique acerbe de ce budget. Elle a trouvé qu’il n’y y avait pas assez de changements véritables pour la condition féminine. Elle a identifié un effet négatif pour les femmes dans les 43,000 emplois promis en 2016 et les 100,000 en 2017-18 qui sont concentrés dans les infrastructures. C’est de la création d’emplois dans la construction ; c’est magnifique. Mais 88,5% de ces emplois iront aux hommes. Il n’y a pas d’investissements prévus dans des secteurs où les femmes sont majoritaires par exemple dans le secteur des soins de santé. Tout compte fait, les femmes ne représenteront que 36% des bénéficiaires des nouvelles mesures budgétaires pour soutenir l’emploi. La tendance de M. Trudeau à poser des gestes progressistes publics n’est pas remise en question. Ainsi il a respecté la parité dans la formation de son cabinet, il a renvoyé deux de ses députés après que deux députées du NPD les aient accusés d’agression sexuelle et de harcèlement et il a utilisé les médias sociaux pour donner ses conseils aux hommes quant à devenir de meilleurs féministes : « n’interrompez les femmes, et notez chacune des fois où cela c’est passé ». Les doutes s’installent là où un Premier ministre qui se déclare ouvertement féministe ne s’attaque pas d’emblé aux injustices intimement liées à l’inéquité entre les sexes et particulièrement quand il s’agit des femmes les plus marginalisées.
Comme le dit Mme Linda Trimble, professeure de science politique à l’Université de l’Alberta : « il n’y a pas qu’une seule manière d’être féministe ; il n’existe pas d’examen de contrôle des politiques féministes. Les féministes participent à beaucoup de courants idéologiques et souvent elles ne sont pas d’accord entre elles pour ce qui affère aux politiques ». Mais certaines militantes critiquent maintenant M. Trudeau et le traite de « pseudo féministe ». Ellie Ade Ker utilise ce terme. Elle est étudiante au doctorat à l’Université de Toronto et co-fondatrice de Silence is Violence, un groupe qui s’attaque aux violences sexuelles sur les campus. Elle explique : « Le féminisme a été réduit à un terme à la mode dans le monde politique. Les gens se disent que M. Trudeau est un féministe exceptionnel parce qu’il dit que les femmes méritent l’égalité des droits, mais pendant ce temps, il ne s’intéresse pas à ce qui se passe sur les campus des universités ou aux enjeux plus systémiques qui affectent la vie des femmes ».

L’authenticité du féminisme de Justin Trudeau a été scellée en novembre 2015, quand il a nommé son impressionnant cabinet à égalité hommes-femmes et y a introduit une diversité ethnique significative. Mais il faut quand même noter que les ministères les plus chargés de pouvoir, ceux des finances, des affaires extérieures et de la défense, ont été attribués à des hommes. Mme Pat Armstrong, professeure de sociologie et des études sur les femmes, de l’Université York, souligne que beaucoup d’importantes féministes de sa connaissance ont pleuré (de joie) quand elles ont vu que la moitié des ministres étaient des femmes : « Et il ne s’agit pas nominations juste pour bien se faire voir ; les femmes ainsi nommées se qualifient elles-mêmes de féministes ».
Ces nominations au cabinet masquaient pourtant de grandes inéquités dans le gouvernement fédéral dans son ensemble. En 2015, seulement 26% des élus-es étaient des femmes. C’est pourtant le meilleur score à un seul pourcent supérieur aux résultats de 2011. Les femmes sont aussi sous-représentées dans les commissions parlementaires. Deux comités sur dix n’ont aucune femme dans leurs rangs et les trois quarts n’en ont qu’une ou deux. Comme on peut s’y attendre, le seul comité où les femmes sont en majorité est celui sur le Statut de la femme au Canada.

Les effets de ce statut quo ne sont pas encore évidents. Malgré la formation de ce cabinet à égalité hommes-femmes, J. Trudeau a pris des distances avec d’importantes législations qui doivent servir de corrections, comme la mis en place de quotas ou d’autres incitatifs qui ont déjà fait leurs preuves pour rendre la représentation parlementaire plus égalitaire. Il faut que plus de femmes atteignent les postes de pouvoir dans les compagnies et dans les bureaux de direction des comités au gouvernement. Comme il l’a dit à Davos, il le faut : « Non pas parce que vous devez respecter une loi mais parce qu’ainsi vous améliorez la qualité des services rendus aux citoyens-nes ». En juin, un document libéral a fait l’objet d’une fuite. On pouvait y lire que le parti ne soutiendrait pas un projet de loi sur l’équité entre les sexes proposé par le député NPD, Kennedy Stewart. La proposition comporte une pénalité financière pour les partis dont l’écart entre leurs candidats et candidates dépasserait 10% ou plus. (Les Conservateurs étaient à 19% de candidates, les Libéraux à 31% et le NPD à 43% lors de la dernière élection en 2015. Une flopée de groupes de femmes et un nombre important de femmes politiques ont déclaré leur soutient au projet et s’attendent à voter en sa faveur cet automne. Parmi elles, la députée libérale Anne Vandenbeld, la présidente du caucus féminin, la sénatrice libérale Mobina Jaffer et la cheffe du Parti vert, Elizabeth May. En Chambre, la ministre des institutions démocratiques était réservée : « Ce projet précis n’est pas la meilleure manière d’avancer ».Pourtant, obliger les organisations à faire état du ratio hommes-femmes dans leurs rangs a été prouvé efficace pour en réduire l’écart selon la déclaration du député Stewart à Maclean’s. Dans des systèmes comparables en France et en Irlande, rien d’autre n’a réussit à améliorer le nombre de candidates dans les partis. Au rythme où nous avançons, poursuit-il, l’égalité au Parlement arrivera en 2075. Il souligne aussi que le processus de nomination favorise les hommes indûment ; à un point ou M. Trudeau lui-même l’a noté en mars dernier, lors d’un diner en faveur du groupe Catalyst qui travaille à l’avancement des femmes (dans les entreprises). Il a déclaré : « Les études montrent que, par rapport aux hommes, les femmes sont 50% plus à risque de ne pas envisager de se présenter à un poste élu. Les hommes n’ont pas cette réaction. Quand on questionne leur intérêt, spontanément ils vont demander quand est-ce qu’ils vont commencer, alors que les femmes veulent savoir pourquoi nous avons pensé qu’elles pourraient être qualifiées pour ce travail ». Pour M. Stewart qui a été professeur de science politique, le changement viendra avec des lois : « Ils ont beaucoup parlé, posé quelques gestes symboliques mais jamais passé de loi qui consacre l’objectif » dit-il à propos des Libéraux.

La réforme électorale promise par les Libéraux au cours de la campagne électorale, (modifier le vote uninominal à un tour) est un autre moyen d’augmenter la participation des femmes à la politique. Mme Pippa Norris, professeure adjointe à la Harvard’s Kennedy School of Governement, a pris la parole le mois dernier devant le comité sur la réforme électorale dont Mme Monsef est responsable. Elle a traité des avantages spécifiques de la représentation proportionnelle et de l’importance de cette future loi : « Mettre cela dans la loi, avec des incitatifs, renforce votre travail ». Sans véritable leadership, l’enjeu risque bien de se dissoudre dans les débats et la division. Les Libéraux favorisent le vote préférentiel, le NPD, le Parti vert et les Bloquistes soutiennent le vote proportionnel et les Conservateurs veulent garder le mode de scrutin actuel et en passer par un référendum pour en décider. D’autres veulent démanteler le système actuel.

Un comité, dirigé par la ministre du Statut de la femme au Canada, Mme Patricia Hadju, demande qu’obligatoirement, on adopte des analyses de genre comme outil pour comprendre comment les politiques, les lois et les programmes affectent les femmes et les hommes différemment et que cela s’applique dans tous les ministères et agences gouvernementales au plus tard en juin prochain. Elle explique que : « c’est un grand pas en avant pour s’assurer que l’égalité de genre soit toujours en jeu, que ce ne soit pas qu’un écran de fumée ». Ce ministère, responsable de l’application de l’égalité hommes-femmes a été doté de nouveaux statuts par les Libéraux. Mme Hadju est la première ministre en 40 ans de l’histoire de ce ministère à ne pas avoir d’autres responsabilités ministérielles que celle-là. Pourtant, Mme McInturff souligne que le budget a été augmenté de 3 millions de dollars en 2015. Cela peut paraître beaucoup mais ne représente que 0,02% de total des dépenses fédérales. Elle ajoute : « Un Premier ministre féministe se doit de financer ce à quoi il s’engage ; le budget du Ministère du Statut de la femme n’en donne pas encore la preuve ».
En février 2015, une fuite a rendu public un rapport interne du Ministère du Statut de la femme du Canada. On y trouve l’ampleur de la tâche à faire pour arriver à l’équité entre les sexes. Il démontre que le pays est bien loin des autres pays développés puisque la pauvreté augmente chez les personnes âgées qui vivent seules et dans les familles monoparentales qui ont une femme à leur tête. Mais les nouvelles immigrantes et les amérindiennes qui vivent hors réserves sont les plus vulnérables. Le rapport souligne que le Canada se classe au plus bas des échelles pour ce qui est de l’écart entre les salaires des hommes et des femmes. Un sondage de Statistiques Canada en 2015, rapportait que les femmes ne gagnent que 82 cents de chaque dollar gagné par les hommes sauf dans les emplois fédéraux où elles gagnent 87 cents de ce dollar. Même au moment de la formation du cabinet Trudeau l’inéquité était évidente. Le titre de Ministres d’État à été donné à 15 des ministres féminines dont Mme Hajdu. C’est un titre de statut inférieur dont la rémunération est de 20,000$ inférieure à celui des autres ministres au cabinet. La correction a été appliquée par la suite et rétroactivement. En juin dernier, le comité sur l’équité salariale a publié un rapport intitulé : « Il est temps d’agir ». Il contient 31 recommandations dont celle de déposer au cours des prochain 18 mois, un projet de loi sur cette question. Le NPD de son côté demande que ce soit fait d’ici la fin de l’année.

Dans le rapport de 2015 connu grâce à une fuite, il est aussi signalé qu’au Canada, le soutient pour les soins aux enfants et les congés parentaux sont également en bas des moyennes (des autres pays industrialisés). Mme Trimble insiste sur le fait que des services de garde adéquats pour les enfants sont un instrument de première importance pour contrer la pauvreté. Une jeune mère célibataire court 70% plus de risques d’être pauvre. En 2016, l’UNICEF situait le taux de pauvreté relative des enfants du Canda à 14%, ce qui le mettait au 24ième rang des 35 pays industrialisés et au 23ième quant à l’écart de pauvreté de nos enfants (la mesure de la profondeur de la pauvreté des enfants).

Lors d’un panel sur l’égalité des sexes à Davos, M. Trudeau n’a pas dit un seul mot à propos de l’accès aux services de garde. Pourtant, le sujet a été soulevé par M. Jonas Prising, le PDG de Manpower, une compagnie d’emplois mondiale. Il était le seul autre intervenant masculin de ce panel. Il a cité des preuves que les services de garde à prix raisonnable ouvrent des emplois pour les femmes. Au lieu de cela, M. Trudeau est revenu sur sa promesse de « congés parentaux flexibles » qui visent les familles à deux parents. Ils permettraient aux deux parents de se partager 18 mois de congé soit 6 de plus que ce qui existe en ce moment. Mais cela implique de renoncer à des avantages sociaux. Les Libéraux ont aussi créé l’Allocation canadienne pour enfants. Elle verse aux familles éligibles ayant des enfants de moins de 18 ans, un montant mensuel libre d’impôt fixé en fonction des revenus de la famille. La moyenne se situe à 2,300$ annuellement. Il n’est pas clair que cette mesure permettra de sortir environ 300,000 enfants de la pauvreté, comme ils l’ont promi. Le Parti veut aussi mettre en place un Cadre national d’éducation préscolaire et de garde d’enfants : « pour assurer que des services de gardes abordables, de grande qualité et complètement inclusifs soient disponibles pour toutes les familles qui en ont besoin. Les coûts seront relatifs aux revenus familiaux ». En ce moment, ce programme est au point mort. Aucune date butoir n’a été fixée mais il fait l’objet de nombreuses critiques.

La Professeure Armstrong est convaincue que : « Nous avons besoin d’un service de garde d’enfant universel. Pas seulement parce que les femmes en âge de procréer travaillent mais parce que c’est aussi le cas des hommes ». Elle est d’avis qu’en guise de politique, M. Trudeau se rabat sur l’imposition de tarifs horaire de 15$ à 20$ de l’heure pour les gardiennes durant le jour et de 11$ à 13$ de l’heure durant la nuit. C’est, dit-elle, manquer une occasion de discuter collectivement, des réalités auxquelles font face beaucoup de familles. Il en a été question dans le cas de Mme Grégoire-Trudeau elle-même sans que son mari ait eut l’air concerné en quoi que ce soit. M. Trudeau a noyé cette affaire dans les enjeux budgétaires. En faveur des familles il remanie tout simplement les mêmes sommes que son prédécesseur avait budgété pour accommoder sa propre jeune famille.

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