Édition du 16 avril 2024

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Libre-échange

Ceta : la Wallonie maintient sa position, le Canada claque la porte

Pressés par les États-membres de l’Union européenne d’approuver le projet de traité de libre-échange avec le Canada, les Wallons ont tenu bon. La région francophone belge a insisté pour réexaminer certains points de l’accord — parmi lesquels la question du règlement des conflits entre les multinationales et les États. Découragée et excédée, la ministre canadienne du Commerce a claqué la porte vendredi. Samedi matin 22 octobre, elle s’entretenait avec le Président du Parlement européen.

Tiré de Reporterre.

Coup de tonnerre à Bruxelles. Vendredi 21 octobre vers 16 h, la ministre canadienne du Commerce, Chrystia Freeland, a quitté les négociations qu’elle menait en Belgique pour l’approbation du Ceta, le projet de traité de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada. L’air fatigué et déconfit, elle s’est exprimée en français à sa sortie du siège du gouvernement wallon, à Namur, après plusieurs heures de pourparlers intensifs avec le chef de gouvernement de la Wallonie, Paul Magnette : « Au cours des derniers mois, nous avons travaillé très fort avec la Commission européenne et avec beaucoup d’États-membres de l’Union européenne. Mais il semble évident pour moi, pour le Canada, que l’Union européenne n’est pas capable maintenant d’avoir un accord, même avec un pays qui a des valeurs aussi européennes que le Canada, et même avec un pays si gentil et avec beaucoup de patience comme le Canada. »

À 14 h, après deux jours de sommet des Vingt-Huit, la Wallonie n’avait toujours pas arrêté sa position concernant le Ceta. Tout en réaffirmant sa volonté d’aboutir à un traité équilibré, le ministre-président wallon avait indiqué que de trop nombreuses zones d’ombre subsistaient pour que la Wallonie puisse approuver le texte. La région francophone belge était la dernière partie à faire obstacle à la signature du traité, qui devrait théoriquement avoir lieu à l’occasion d’un sommet Europe-Canada à Bruxelles le 27 octobre, en présence du Premier ministre canadien, Justin Trudeau. Le jour même, la Roumanie et la Bulgarie avaient levé leurs ultimes réserves après avoir obtenu du Canada une exemption de visas pour leurs ressortissants.

Le traité n’est pas enterré, prévient Amélie Canonne, présidente de l’Association internationale des techniciens, experts et chercheurs (Aitec) : « L’Union européenne va continuer de pressuriser les Wallons, même s’il semble extrêmement difficile de maintenir le sommet du 27 octobre. » De nouveaux rebondissements ne sont pas à exclure, car ce contretemps « peut rebattre les cartes. Ces deux derniers jours à Bruxelles, des assistants de parlementaires français nous confiaient qu’ils ne voyaient plus trop comment rouvrir les négociations sur le Ceta. Désormais, alors que de multiples textes, déclarations complémentaires et documents ont circulé ces dernières heures, il devient possible de demander du temps pour les examiner. Certains élus vont peut-être sortir du bois et demander la renégociation de tel ou tel point ». Une victoire pour la Wallonie, mais aussi pour la société civile internationale qui se bat depuis longtemps contre ce projet de traité : « Ces mobilisations ont donné lieu à des avis parlementaires très critiques dans certains pays. En Allemagne, une décision judiciaire récente a contraint les négociateurs à présenter de nouveaux éléments. »

Une occasion de sortir de la crise par le haut ?

Maxime Combes, d’Attac France, met en garde la Commission européenne et les États-membres contre toute tentation de passage en force et les invite à ajourner immédiatement le sommet du 27 octobre : « Les États-membres et les institutions européennes peuvent sortir grandis s’ils concèdent, à la lumière de cet échec, que les politiques de commerce et d’investissement ne peuvent plus être imposées aux peuples contre leur volonté. » Reste à voir si la Commission saisira cette aubaine, alors qu’elle vient de décider d’intensifier les négociations en vue d’un nouveau traité de libre-échange avec le Japon.

La pression exercée sur la Wallonie était pourtant maximale. Jeudi soir à 20 h, les ambassadeurs de tous les États s’étaient réunis pour tenter de débloquer la situation — sans succès. Visiblement frustré, Jean-Claude Juncker a d’abord envoyé un courrier au ministre-président de la Wallonie jeudi soir, avant de railler la position des irréductibles Wallons : « Je reste bouche bée, interloqué, surpris par le fait que lorsque nous concluons un accord commercial avec le Vietnam, qui est mondialement connu pour appliquer tous les principes démocratiques, personne ne lève la voix, a ironisé le président de la Commission européenne à la conférence de presse finale du sommet européen. Alors que quand nous concluons un accord avec le Canada, qui est une dictature accomplie comme nous le savons, tout le monde s’excite pour dire que nous ne respectons pas les droits de l’homme et les droits économiques et sociaux. »

Étrangement, le secrétaire d’État chargé du Commerce extérieur en France, Matthias Fekl, a tenu des propos plutôt mesurés sur la position wallonne, vendredi matin sur RMC. « Les Wallons ont été mis devant le fait accompli. Les parlements nationaux arrivent en bout de processus, ils ont le choix entre dire oui ou non et certains voudraient qu’ils aient le choix entre dire oui et oui. À aucun moment ils n’ont pu rencontrer les négociateurs », a-t-il dénoncé, précisant qu’il avait émis des propositions pour que les parlements nationaux soient associés tout au long du processus de négociations.

Au cœur du blocage, le mécanisme du règlement des différends entre les multinationales et les États

Les points de blocage ont fait l’objet d’une discussion entre M. Magnette et la commission des questions européennes du Parlement wallon, vendredi à 12 h à Namur. Le principal restait le système de règlement des différends entre États et multinationales que doit mettre en place le Ceta, a indiqué le président-ministre wallon. Les parlementaires ont été nombreux à exprimer leurs craintes concernant ce mécanisme. Hélène Ryckmans, députée (Écolo) de Nivelles, a souligné que le projet de tribunal indépendant évoqué restait flou et a pointé les nombreuses questions laissées en suspens : « Qui sélectionnera les juges ? Comment seront-ils rémunérés ? Quelle sera la capacité jurisprudentielle de ce tribunal ? Quel dispositif d’appel sera mis en place ? » L’écologiste a jugé qu’il fallait plutôt « donner la priorité au règlement des différends d’État à État ». Christophe Collignon, député (Parti socialiste) de Huy-Waremme, a lui aussi remis en question le bien-fondé de ce mécanisme : « Dans la forme, le texte s’est amélioré, puisque les juges ne seront plus choisis par les multinationales, mais nommés par les États. Mais pour quelle raison devrions-nous court-circuiter nos juridictions nationales, qui fonctionnent plutôt bien ? »

D’autres sujets de préoccupation ont émergé, comme les questions agricoles et la protection des services publics. Les parlementaires se sont interrogés sur la valeur juridique des concessions obtenues par M. Magnette, éparpillées sur d’innombrables documents annexes, déclarations interprétatives et autres feuilles volantes. Tous ont insisté sur la nécessité de prendre le temps nécessaire pour obtenir toutes les garanties concernant l’accord. « Pas question de travailler dans la précipitation et encore moins sous la menace », a expliqué M. Collignon. Le Parlement wallon attend toujours l’avis de la Cour européenne de justice, qu’il a saisie pour étudier la compatibilité du Ceta avec les autres traités européens.

Seul le député (Mouvement réformateur) de Verviers, Pierre-Yves Jeholet, a critiqué la démarche du Parlement et du ministre-président wallons : « L’image de David contre Goliath, du petit qui s’en prend à la grande méchante Europe peut plaire, a-t-il averti. Effectivement, l’Europe ne fonctionne pas toujours comme on le souhaiterait, sur les questions des migrants ou du dumping social par exemple. Mais est-ce une raison suffisante pour mettre un coup de canif dans les institutions, et en faire payer le prix aux citoyens européens ? »

M. Magnette s’est montré attentif à toutes ces remarques et déterminé ne rien lâcher. « Il ne s’agit pas seulement de ce traité avec le Canada, mais de tous les autres traités. Nous sommes en train de fixer les standards que l’Union appliquera à toutes les négociations suivantes. La question est : quelle mobilisation voulons-nous ? »

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