Édition du 16 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Violence faite aux femmes

Après la prise de parole d’Alice Paquet à l’université Laval

Culture ou inculture du viol ?

Il est impossible de ne pas être touché par l’histoire d’Alice Paquet ainsi que par sa prise de parole spontanée à l’université Laval lors d’une vigile d’appui à des étudiantes victimes de récentes agressions sexuelles.

Mais en même temps, il est impossible de ne pas être profondément gêné par la façon dont les médias dominants se sont emparés de cet événement et ont traité des suites qu’elle a provoquées, notamment dans le sillage de la démission du député du caucus libéral Gerry Sklavounos. Ces médias-là, ne l’ont-ils pas en bonne partie dénaturée cette prise de parole, et n’ont-ils pas par la suite induit un débat public sur "la culture du viol ou de l’inculture du viol" des plus simplificateurs ?

Non pas bien sûr, qu’il ne faille pas dénoncer haut et fort le viol, et en même temps soutenir celles qui malgré la peur et d’infinies difficultés, osent le dénoncer, en particulier quand il s’agit de le faire à l’encontre d’hommes en position de pouvoir élevée. Non pas non plus, qu’il s’agisse de revenir sur les acquis des luttes des femmes de ces dernières décennies et sur la dénonciation du machisme ou des inégalités réelles entre hommes et femmes continuant à structurer vaille que vaille une bonne partie de la société québécoise d’aujourd’hui. Bien au contraire ! Mais c’est comme si cette fois-ci, la façon dont le débat s’était donné ne permettait pas d’aller plus loin.

Est-ce parce que, sensationnalisme oblige, la grande presse, mais aussi une bonne partie des médias sociaux, se sont surtout attardés à la petite histoire des principaux protagonistes (aux possibles détails croustillants de leurs histoires personnelles) ? Et l’ont fait en se contentant —à l’exception de rares mises en perspectives— de faire écho au seul brouhaha émotionnel collectif ; renforçant d’autant l’indignation morale immédiate et l’apitoiement facile sur les victimes ; mais sans pour autant qu’on puisse vraiment comprendre et en tirer quelles que leçons que ce soient pour que changent pratiquement les choses ?

Ou est-ce parce que le mouvement féministe est lui-même à la croisée des chemins —changement de générations oblige— peinant encore à trouver les « mots » pouvant rendre compte des « maux » propres au contexte social, politique et culturel si particulier et contradictoire dans lequel nous vivons aujourd’hui ?

De la culture du viol..

C’est que, porté par la rumeur publique, et l’indignation aidant, qui ne serait pas tenté de parler de « culture du viol » en dénonçant ainsi sans ambiguïté l’odieux d’un tel geste ? Sauf que le caractère tout à la fois général et atemporel de la formule peine à rendre compte de la complexité de la réalité du Québec des années 2016. D’ailleurs dans une telle culture, prise au sens fort du terme, Alice Paquet aurait-elle pu non seulement se faire entendre publiquement, mais encore déclencher à l’Assemblée nationale le scandale qui a conduit à ce qu’un député important soit exclu en à peine 48 heures du caucus libéral gouvernemental ? Parler ainsi de « culture du viol », c’est quand même —au-delà même de la hantise du « bien paraître » et de la rectitude politique si propre à notre époque— faire fi du chemin parcouru par le mouvement des femmes ainsi que des indéniables avancées et victoires en termes d’égalité et de récupération de droits que les femmes ont connues au Québec, ne serait-ce que depuis 50 ans.

Certes, cela ne veut pas dire pour autant qu’il n’y a pas de violences faites aux femmes ou d’agressions sexuelles et que les femmes ne sont pas encore hantées bien souvent par la peur des hommes. Surtout si on les analyse à l’aune de ce retour en force de la pensée néoconservatrice si régressive et anti-femmes. Mais cela veut dire que « la culture du viol » a été pour le moins, grâce au pouvoir qu’ont ainsi acquis les femmes durant les dernières décennies, repoussée, peu à peu mise à la marge, en n’ayant sans doute pas complètement disparu (il suffit de penser aux féminicides actuels en Amérique latine ou à la recrudescence des viols en temps de guerre), mais étant peut-être dans l’ici et maintenant, mieux contenue que par le passé (1). D’où d’ailleurs ces hommes et ces femmes qui auront bien de la peine à se reconnaître dans ce concept de culture du viol !

À l’inculture du viol

De là, penser, ainsi que Boucar Diouf l’a si joliment expliqué dans la Presse, qu’il faudrait parler « d’inculture du viol » plutôt que de « culture du viol », il n’y a qu’un pas. Il reste qu’on laisse ainsi supposer que le mal n’est pas aussi profond qu’il pourrait l’être, puisqu’il suffirait d’acquérir de la culture et par conséquent une bonne éducation pour pouvoir l’éradiquer et en venir à bout. Et qu’il s’agit d’une démarche que l’on peut tous entreprendre sur le mode individuel, hommes compris. D’où à la clef, tous les programmes d’éducation sexuelle et autre que l’on tendra à proposer en guise de solution passe-partout. Comme une panacée !

Mais n’est-ce pas là aussi tomber dans le travers inverse, en en minimisant cette fois-ci l’importance, le caractère structurel ? En somme n’est-ce pas réduire un phénomène qui a en même temps –tout de la lutte des femmes passée nous le montre— à voir avec l’obtention ou non de droits collectifs permettant aux femmes l’acquisition de pouvoirs économiques, sociaux et politiques véritables ? Sans ces droits et pouvoirs, sans leur élargissement, il y a fort à penser que la culture du viol aurait toutes les chances de refleurir.

Pour que leur non soit entendu

Et quand on sait que le Premier ministre libéral Philippe Couillard, tout en s’empressant, au nom de la rectitude politique, de demander la démission du député Sklavounos de son caucus, s’est acharné ces dernières années, via ses politiques d’austérité, à s’en prendre aux conditions de vie et de travail des femmes du Québec, on mesure tout le chemin qu’il reste à parcourir. Notamment pour que les femmes du Québec disposent des pouvoirs nécessaires permettant enfin d’avoir les moyens véritables de faire que leur « non » soit entendu aussi bien individuellement que collectivement.

Notes

(1) Le cas, à l’émission Enquête de Radio Canada, de la dénonciation par des femmes autochtones de Val-d’Or, de mauvais traitements et agressions sexuelles commises par des policiers de la ville est à ce titre tout à fait exemplaire. Si leur dénonciation a pu compter, être légitimée auprès du grand public, c’est que ces femmes autochtones ont été prises en compte, entendues et soutenues, non seulement par des femmes journalistes disposant d’un certain pouvoir au sein de l’institution de Radio Canada, mais encore par le Centre d’amitié autochtone de Val-d’Or qui a su tisser au fil des ans, grâce au travail d’une poignée de femmes remarquables, un véritable réseau social de solidarité, une sorte de contre-pouvoir autochtone avec lequel il faut désormais compter.

Pierre Mouterde

Sociologue, philosophe et essayiste, Pierre Mouterde est spécialiste des mouvements sociaux en Amérique latine et des enjeux relatifs à la démocratie et aux droits humains. Il est l’auteur de nombreux livres dont, aux Éditions Écosociété, Quand l’utopie ne désarme pas (2002), Repenser l’action politique de gauche (2005) et Pour une philosophie de l’action et de l’émancipation (2009).

Messages

  • Mais tenter de trouver un autre mot que culture du viol me parait futile... tant qu’il y aura des viols et que ceux-ci tireront leur cause dans une culture machiste, aussi marginale soit-elle (ce qu’elle n’est aujourd’hui pas), il FAUDRA parler de culture du viol. C’est dommage, le propre de la plupart des mots est d’être - pris seuls - sans aucune nuance. Une chaise est une chaise, la pollution c’est de la pollution, il n’y a pas de demi-chaise ou de demi-pollution, du moins, pas de mot pour les représenter. Il faut donc continuer de parler de culture du viol pour débusquer toute trace de cette culture. On peut, après, faire autant de nuance que l’on veut en disant qu’au Québec et ailleurs il existe aussi des cultures du consentement en pleine croissance, etc. L’avantage c’est aussi de ne pas s’assoir sur ses lauriers-progressistes, et j’ai l’impression qu’au Québec on est pas mal bons pour se penser progressistes sans l’être...

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