Édition du 26 mars 2024

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Lettre ouverte

Kinder Morgan n'est que le début

Le projet Kinder Morgan pourrait transporter jusqu’à 890 000 barils de pétrole de l’Alberta vers la côte ouest de la Colombie-Britannique. Ce pétrole sera ensuite envoyé vers les îles du golfe, avant de se retrouver sur des eaux internationales. Mine de rien, il est également attendu que le nombre de bateaux pétroliers qui circulent par année passe de 60 à 400 par année.

1 décembre 2016 - tiré de Ricochet

Le projet de Kinder Morgan représente une claque au visage pour quiconque s’intéresse à l’avenir climatique du Canada. D’après le Groupe intergouvernemental sur l’évolution du climat (le GIEC), le monde dispose d’un budget limité d’émissions de gaz à effet de serre, afin de limiter la hausse de température à 2 degrés Celsius et d’éviter les pires effets associés aux changements climatiques. Hélas, ce qui est problématique, c’est que 50% du budget de carbone global a été épuisé depuis 2011. Si la tendance actuelle se maintient, nous aurons dépassé en 2045 le seuil d’un trillion de tonnes de CO2 émises dans l’atmosphère.

Le projet de Kinder Morgan représente une claque au visage pour quiconque s’intéresse à l’avenir climatique du Canada.

En ce qui concerne le Canada, les plus grands experts climatiques indiquent que le pays ne peut exploiter plus du tiers de ses réserves de pétrole. Mais l’expansion de l’industrie fossile annoncée par le gouvernement mercredi porte à croire que nos dirigeants ne partagent pas cette compréhension scientifique. Le gouvernement canadien a agit en grand parleur et en petit faiseur. Lorsque vient le temps de faire des grands discours, il exprime une volonté de changement et une ouverture. Mais quand vient le temps d’agir, il change de camp. On se souvient que le gouvernement avait promis d’arrêter de subventionner l’industrie fossile. Lorsqu’il a eu la chance d’agir, il a décidé de renoncer à son engagement.

Alors que le gouvernement continue d’affirmer qu’il entend respecter ses promesses pour 2020, rien ne nous indique que ce sera réellement le cas. Le contraire semble davantage plausible. Ainsi, les émissions de gaz à effet de serre (GES) provenant des combustibles fossiles ont pratiquement doublé depuis 2005. On se demande à quel jeu joue le gouvernement. Avant d’approuver Kinder Morgan, il a annoncé qu’il avait l’intention de sortir le Canada de sa dépendance aux énergies provenant du charbon. Il n’y a que dans l’imaginaire gouvernemental qu’on puisse croire qu’il s’agit d’un véritable projet visant à réduire considérablement nos émissions...

Entre 2005 et 2014, c’est dans la production de l’électricité qu’on a réduit le plus nos émissions nationales, surtout après que les centrales de charbon ontariennes aient été fermées. Au cours de cette période, il a été calculé que, sur 9 ans, la production d’électricité produisait 40 mégatonnes de GES de moins. Cela dit, cette réduction est presque nulle lorsqu’on tient compte de l’augmentation de 34 mégatonnes provenant des énergies fossiles à l’échelle canadienne. On doit évidemment se réjouir des actions positives permettant de réduire les GES, comme la fermeture des centrales au charbon en Ontario. Mais ces efforts louables sont annulés par la hausse d’émissions provenant du secteur pétrolier et gazier !

Rien ne nous indique non plus qu’il y a eu un « vrai » changement dans la façon d’évaluer les impacts futurs des projets du point de vue environnemental. Alors que la nécessité économique des projets d’oléoducs a été mise en doute par la publication d’un document interne du gouvernement, le processus de consultation de l’Office national de l’énergie a lui aussi été fortement critiqué. Il a été considéré comme étant injuste, incomplet et déficient. De surcroît, l’absence d’une stratégie nationale de l’énergie demeure problématique et ne permet pas aux décideurs publics de faire des choix politiques éclairés. Si le Canada disposait d’une telle stratégie afin d’assurer une cohérence entre ses décisions en matière d’énergie et ses engagements internationaux pour le climat - ainsi que d’un processus d’évaluation des impacts tenant compte de nos engagement légaux internationaux -, le projet de Kinder Morgan n’aurait jamais été accepté. Les autres projets d’oléoducs non plus.

Ce qui demeure une réalité, c’est que l’expansion de l’industrie fossile est en cours. Alors qu’à Marrakech, le gouvernement a annoncé avec enthousiasme une réduction des GES de 80% d’ici 2050, il semblerait qu’il n’est même pas capable de respecter ses cibles pour 2020 (qui, rappelons-le, sont celles de l’ancien gouvernement). Nous sommes portés à croire que la définition même d’ambition climatique a été galvaudée par les gestes récents du gouvernement fédéral. Comment demeurer optimistes lorsqu’on sait que Kinder Morgan n’est que le début d’une série d’approbations de projets d’oléoducs et qu’il s’agit du troisième projet de pipeline confirmé par le gouvernement canadien dans les trois derniers mois ? Ce portrait général est troublant, car il reste d’autres projets d’oléoducs qui sont toujours à l’étude, comme Keystone XL et Énergie Est. Si l’on se base uniquement sur les décisions de cette semaine, ça ne laisse rien présager de bon.

Eddy Pérez est membre de Réalité Climatique Canada.

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