Édition du 23 avril 2024

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Les idéologues à la Maison Blanche : Qui sont-ils ? (Première partie)

La venue de Donald Trump a laissé planer toute sorte d’hypothèse sur le type de gouvernance qu’adopterait la nouvelle administration présidentielle. Allant de l’autoritarisme réactionnaire jusqu’aux délibérations du retour au fascisme. Trump lui-même n’est pas un candidat au fascisme, mais parce qu’il est un disciple de la gouvernance autoritaire, il suit très bien, nous le voyons dans les gestes posés dans les trois premières semaines depuis son investiture, les conseils de sa garde rapprochée qui ont raison de nous inquiéter fortement. Par son inexpérience, Trump se tourne régulièrement vers ses conseillers qui, eux, ont une vision ferme, un agenda politique détaillé et l’expérience nécessaire à les faire appliquer à la lettre. Nous parlons de Steven Bannon, de Kellyanne Conwan et de Steven Miller.

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Pour bien comprendre ces visions particulières de la gouvernance Trump, je propose ici une série d’articles sur les trois têtes dirigeantes de l’administration présidentielle actuelle dans laquelle je m’attarderai à la refonte des mythes américains à l’origine de la conscience politique néoconservatrice. Ce premier article sera consacré aux principaux éléments constituant la pensée de Steven Bannon et comment ce dernier compte mener à terme la victoire du courant néoconservateur qu’il incarne.

Steven Bannon a pris son envolée d’idéologue de l’extrême droite, comme beaucoup le savent, à la direction du journal WEB, Breibart News qui, depuis sa fondation, propage les idées de la droite dite « alternative ». Un euphémisme qui refuse de nommer son nom : la résurgence de l’extrême-droite en Amérique. Car, pour ces néoconservateurs, dans la société étasunienne, les extrémismes de gauche et de droite n’existent pas. À l’image d’un certain mythe politique, la société américaine serait tout simplement un produit du centre démocratique où les extrêmes idéologiques ne peuvent survivre. Cette appellation de « droite alternative » est révélatrice de ce déni de la véritable réalité politique des Etats-Unis.

Comme directeur et journaliste à Breitbart News, Bannon avait pour cible le Parti républicain. Il prétendait que le Parti démocrate ne méritait pas un moment de son attention. Selon lui, le libéralisme, depuis la présidence de Franklin Delano Roosevelt, était le fléau qui avait détruit l’Amérique et le conservatisme défendu par le Parti républicain n‘avait rien fait pour le combattre. Le conservatisme était devenu trop complaisant envers le libéralisme. À son avis, les élites conservatrices ne considéraient plus le libéralisme comme son ennemi principal, comme l’avait conceptualisé leur maître à penser, Russel Kirk. Toujours selon Bannon, il incombe au Parti républicain de fonder un nouveau conservatisme reposant sur les valeurs qui ont donné naissance aux Etats-Unis d’Amérique.

Cette volonté d’attaquer sans le relâche le Parti républicain traduit une conception de la révolution supposant que tous les moteurs de changement doivent être portés par des valeurs conservatrices. Pour Bannon, les révolutions de droite sont des impératifs moraux inévitables. Les Etats-Unis sont ainsi le point d’ancrage d’un nouvel ordre politique qui congédiera les élites libérales et duquel pourra naître l’avenir des Etats-Unis.

Les astres à l’origine de cet ordre semblent alignés. Mais il faudra d’abord renverser l’ordre ancien. Celui découlant de la fin de la Deuxième Guerre mondiale et du « contrat social » qui avait engendré le « New Deal » qui se révéla une sortie de crise efficace à la Grande Dépression des années 1930. Les conservateurs des anciennes générations qui avaient pour mentor Leo Strauss (Université de Chicago) ne considéraient pas leur idéologie en tant que vague de fond révolutionnaire, mais plutôt comme un jeu d’échecs inscrit dans grade tradition politique américaine.

Avec Bannon et ses complices, nous sommes dans un tout autre monde : le conservatisme se doit de renverser l’ordre libéral. La prise du pouvoir n’est qu’un aspect de ce renversement. Ce qui importe vraiment est d’assurer un avenir durable aux idées et valeurs néoconservatrices et cela passe par une adhésion collective à celles-ci. Bannon conçoit cette lutte dans une perspective historique puisque, selon lui, l’histoire se traduit par des cycles, des vagues, des mouvements, des générateurs de changement qui apparaissent quand les acteurs historiques comprennent dans quel processus ils se retrouvent et comment tirer leur épingle du jeu. Les néoconservateurs ont la cote et ils doivent saisir leur chance, selon Bannon. Jusqu’ici, ils n’ont pas effectué trop de faux-pas. À preuve, ils sont désormais à la Maison Blanche.

Cette conception de l’histoire et de l’exercice du pouvoir est basée sur la « théorie générationnelle » proposée par deux économistes, Neil Howe et William Strauss , qui ont largement influencé Bannon. Selon Strauss et Howe, l’Amérique est passée par trois grandes phases de son histoire : la Révolution américaine, la Guerre civile et la Deuxième Guerre mondiale. La quatrième vient vers nous et les néoconservateurs doivent s’assurer d’en avoir la charge. Cette conception de l’histoire américaine est d’autant plus inquiétante du fait qu’elle serait induite par la guerre : la guerre serait le principal véhicule de transformation historique des Etats-Unis. Bannon, lui-même, avoue ne pas avoir peur des guerres. Que ce soit avec la Russie, l’Iran et la Chine, puisque, selon lui, les guerres sont des forces historiques qui transforment le cours du monde à jamais. Il suffit simplement de les gagner.

Bannon est convaincu que Vladimir Poutine pense de la même façon, d’où vient ainsi cette récente admiration pour le chef d’État russe à la Maison-Blanche. Peut-être assisterons-nous à une alliance Russie-Etats-Unis contre la superpuissance chinoise ? Bannon ne voit pas l’opposition à l’Occident de Poutine d’un mauvais œil, puisque tous les deux veulent provoquer la chute de l’ordre libéral. Or, le nouvel ordre mondial de Poutine passe nécessairement par la Russie. Bannon adhéra-t-il à cela ? Permettons-nous d’en douter.

La conception de la lutte politique de Bannon se veut émancipatrice et même libertaire (libertarienne) à certains égards. Bannon est un idéologue qui se met au-dessus de la mêlée avec une mission qui dépasse les capacités d’un seul homme : rebâtir une Amérique proche des valeurs et des moteurs historiques qui l’ont enfantée, c’est-à-dire à partir d’une force révolutionnaire voulant faire rupture avec un ordre coercitif qui maintient le peuple dans un état de servitude qu’ils n’ont pas choisi. Du moins, c’est ainsi qu’il aime présenter les choses. Bannon souhaite une guerre. Une guerre, avant tout idéologique, qu’il ne veut pas perdre.

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