Édition du 26 mars 2024

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Mexique

Oaxaca : état de siège et résistance populaire

Depuis le 29 octobre, la Police fédérale préventive (PFP), police militarisée, occupe la ville de Oaxaca. Par contre, la bataille n’est pas gagnée pour autant pour le gouvernement mexicain ; la résistance est exemplaire. En effet, l’Assemblée populaire des peuples de Oaxaca (APPO) s’est retranchée dans les installations de l’Université autonome Benito Juárez de Oaxaca, où le mouvement populaire s’organise et protège dignement les installations de la seule radio encore en son pouvoir dans la ville, Radio Universidad.

Dans son article du 13 octobre 2006, publié sur ce site, David Litvak avertissait d’une possible intervention militaire à Oaxaca. Eh bien voilà, c’est fait.

Depuis des mois que dure la tension et la résistance à Oaxaca, tout le monde attendait le moment où l’État allait intervenir. Il est intéressant de noter que trois jours avant le début de l’intervention, une majorité des enseignantEs de la section XXII du Syndicat des travailleurs de l’éducation avait voté une reprise des cours, suspendus depuis le début du conflit il y a plus de 5 mois. Ce retour en classe ne signifiait pas, cependant, que les enseignantEs renonçaient à l’une de leur principale revendication, la destitution du gouverneur de l’État. Il s’agissait plutôt d’une stratégie pour éviter une confrontation avec les communautés où les parents commençaient à réclamer le retour en classe et pour réorganiser la lutte à partir des écoles avec les parents et les communautés. Par contre, comme le gouvernement fédéral a fait entrer la PFP à Oaxaca la fin de semaine avant la date prévue pour la reprise des classes, le syndicat est revenu sur sa décision. Les conditions minimales de sécurité pour un retour en classe n’existent plus.

28 octobre : l’attaque paramilitaire

Mise en scène macabre et le prétexte nécessaire ; vendredi le 28 octobre, des paramilitaires priistes, liés au gouverneur Ulises Ruiz, ont attaqué avec des armes à feux des membres de la APPO sur leurs barricades, tuant quatre résistants, dont le journaliste et internationaliste d’Indymedia de New York, Bradley Will, abattu de deux balles très bien ciblées sur le thorax et l’abdomen. Cela faisait deux mois que Bradley suivait quotidiennement les évènements à Oaxaca. Il réalisait des entrevues avec les membres de la APPO et de la section XXII du Syndicat des travailleurs de l’éducation et transmettait de l’information alternative pour faire connaître cette lutte qui est si malmenée ou tout simplement ignorée dans les médias de masse.

C’est un coup porté aux médias alternatifs, étrangers et nationaux, qui ne sont pas les bienvenus au Mexique mais aussi aux étrangers et étrangères qui « viennent se mêler de ce qui ne les regardent pas ». Au mois de mai, lors de la répression de Atenco, on en a déporté cinq, en agressant sexuellement les femmes. À Oaxaca, on en a tué un. Ce fut aussi un coup porté à la lutte de la APPO, parce que sous prétexte de l’exigence du gouvernement américain de mettre fin au débordement de violence à Oaxaca (provoqué rappelons-le par des paramilitaires à la solde du gouverneur de l’État), le président Vicente Fox a décidé la nuit même l’envoi de la PFP.

29 octobre : l’entrée de la Police fédérale préventive

Le lendemain, samedi le 29 octobre, la PFP a pris la place centrale de Oaxaca, ainsi que différents points stratégiques de la ville, défaisant les barricades et le campement installés par la APPO depuis plusieurs mois déjà. À coup de matraque, de jets d’eau mélangés à des gaz irritants lancés sur la population à partir de tanks, de même que des gaz lacrymogènes lancés à partir d’hélicoptères survolant constamment la ville, la police militarisée est entrée à Oaxaca armée de fusils d’assaut avec pour objectif de « rétablir la sécurité » à Oaxaca.

Le « rétablissement de la sécurité » s’est soldé par trois morts, qui s’ajoutent aux 14 victimes qu’il y avait déjà jusqu`à ce jour, et des centaines de blessés parmi les manifestantEs qui s’opposaient à l’entrée des forces fédérales dans leur ville, ainsi qu’une détention massive et sélective de près de 60 militantEs de la APPO qui ont été systématiquement torturéEs. Quelques jours plus tard, Vicente Fox annonçait, triomphant, que la paix avait été rétablie à Oaxaca sans aucun incident à déplorer !

Ce qui a empêché un véritable massacre d’avoir lieu lors de l’entrée de la PFP, c’est le repli stratégique de la APPO, qui a décidé de laisser la place centrale de la ville pour se réorganiser sur le site de l’université, autour de la Radio Universidad qui sert à la fois d’instrument d’information, de conscientisation et d’organisation à la APPO.

2 juin : l’attaque et la défense de l’université et de la radio

Le 2 juin, jour des morts au Mexique où les gens font des offrandes à leurs parents décédés et se rappèlent d’eux, la PFP a violé l’autonomie universitaire en entrant sur les terrains de l’université pour tenter de réprimer la APPO et y prendre la radio, instrument stratégique du mouvement de résistance. L’autonomie a été gagnée par certaines universités mexicaines et consiste dans le fait que le gouvernement ne peut pas intervenir dans les affaires internes de l’université, ni envoyer la police ou l’armée sur ses terrains. Durant plus de 8 heures, les militantEs de la APPO, avec l’aide de milliers de personnes des quartiers des alentours, appelées en renfort à travers de Radio Universidad, ont combattu la PFP et l’ont fait reculer. Cependant, la liste des blesséEs et des détenuEs s’est encore allongée.

La résistance

Ces attaques répétées de la police militarisée au lieu d’apeurer la population comme le voudrait le gouvernement, ne font que renforcer leur conviction et leur esprit de lutte. Dimanche le 5 novembre a eu lieu une méga marche dans la ville de Oaxaca, demandant la démission de Ulises Ruiz et la sortie de la PFP de la ville, à laquelle ont participé des dizaines de milliers de personnes. Ils ont marché à quelques rues des positions de la PFP. Ils n’ont pas peur et savent qu’ils ont raison, c’est leur force.

Il est surréaliste de voir le gouverneur de Oaxaca, Ulises Ruiz, s’accrocher de cette façon au pouvoir. N’importe où ailleurs, après 5 mois d’une lutte aussi acharnée pour exiger sa démission, lutte qui a rendu l’État absolument ingouvernable du point de vue du pouvoir en place, il serait tombé. Mais la classe politique mexicaine étant ce qu’elle est, la complicité du Parti révolutionnaire institutionnel (PRI, parti du gouverneur de Oaxaca) et du Parti action nationale (PAN, parti du président de la République) est en ce moment la monnaie d’échange pour supporter le « président élu » frauduleusement Felipe Calderón, qui doit remplacer Vicente Fox à partir du 2 décembre prochain.

La lutte de Oaxaca a des échos dans tout le pays et aussi ailleurs dans le monde. Dans la ville de Mexico, une délégation de la APPO a installé un campement et 17 de ses membres sont en grève de la faim depuis près d’un mois. Plusieurs fois par semaine, des milliers de personnes marchent et bloquent les rues en appui à la lutte de Oaxaca. Les gens, très fâchés et réellement écœurés par la situation dans le pays crient avec la APPO : « que tombe Ulises Ruiz… et après on va pour Calderón ».

Démission immédiate de Ulises Ruiz Ortiz, libération de toutEs les prisonniers et prisonnières politiques. Solidarité avec la lutte des enseignants démocratique et la APPO.

Vous pouvez écouter Radio Universidad qui transmet en direct sur internet à partir du site web de la APPO (Asamblea Popular de los Pueblos de Oaxaca), accessible aussi sur le site de Indymedia Mexique.

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