Édition du 16 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

International

Réplique à l’article de Denise Bombardier

L'aveuglement de l'Obamanie

Si nous nous basons sur les critères énoncés par Mme Denise
Bombardier, nous serions des « pessimistes » et des « empoisonneurs
d’espoir » parce que nous refusons de céder les yeux fermés à la
frénésie de l’Obamanie.

Or, si nous refusons de partager l’euphorie
générale qui entoure l’élection du nouveau président, ce n’est pas
par cynisme mais plutôt par refus de complaisance. C’est que l’espoir
qui nous habite ne réside pas dans l’élection d’un seul individu,
mais dans la solidarité des classes populaires, celles qui ne peuvent
« compter que sur leurs propres moyens » et ne doivent attendre « ni
Dieu, ni César, ni tribun ».

La campagne de communication politique entourant l’élection d’Obama
aura suscité une vague d’engouement et d’espoir à travers le monde.
Après deux mandats sous George Bush, on comprend aisément pourquoi
les regards se tournent vers un nouveau « Sauveur » incarnant la
promesse d’un avenir meilleur. Obama saura-t-il être à la hauteur de
la figure héroïque qu’ont construit les appareils médiatiques et
publicitaires ?

Déjà, le vernis s’effrite. Son appui indéfectible à Israël malgré les
horreurs de Gaza, sa promesse de renforcer les troupes en
Afghanistan, de même que les plans de relance économique, véritables
cadeaux à la classe possédante américaine, voilà autant de raisons de
demeurer critique face à l’image idéalisée qu’a façonné l’entourage
du président. Qui plus est, les intérêts objectifs de l’Empire
restent les mêmes, c’est-à-dire le maintien de son hégémonie
économique, politique, culturelle et militaire, le tout au profit du
système économique capitaliste global, sans égard à l’exploitation,
la misère et la destruction environnementale qu’il génère.

Barack Obama ne semble pas non plus prêt à lever l’embargo inhumain
qui fait souffrir le peuple cubain depuis des décennies. « Yes we
can ? »... Mme Bombardier voit de l’espoir partout...mais pas à La
Havane, ni à Caracas, ni en Équateur, ni en Bolivie, où l’on a
pourtant élu récemment un président issu des classes indigènes
défavorisées, une première en 500 ans. Or, Mme Bombardier ne s’en
formalise pas. Du reste, la prétendue « gauche » télévisuelle de
l’Obamania vient écpliser les véritables tentatives de rupture avec
le néo-colonialisme économique portées par des mouvement populaires
Amérique Latine. Refuser de voir l’espoir en marche là où il se trouve pour lui préférer un sous-produit spectaculaire et électoral,
voilà bien la manifestation profonde du cynisme.

Cette approche pessimiste du changement social est alimentée par une
conception défaitiste de la nature humaine qui empêche Mme Bombardier
de reconnaître que la nécessité d’instaurer l’égalité et la justice
de manière globale peut se traduire en projet politique réalisable.
Obama se trouve ainsi pardonné d’avance de n’être qu’un pansement sur
des plaies profondes. Et comment pourrait-il en être autrement de
toute façon puisque l’inégalité logerait dans la nature même de
l’humain ? En effet, comme l’indique Mme Bombardier : « un homme ne
peut pas changer la nature humaine. Barack Obama ne fera pas
disparaître la misère, n’abolira pas les injustices sociales,
n’éliminera pas la pauvreté ». Si cette conception de la société et
de l’histoire n’en est pas une profondément pessimiste, nous
aimerions bien savoir en quoi elle nous permet d’ouvrir des possibles
qui dépassent la simple reproduction résignée de l’ordre existant.

Affirmer qu’une prétendue nature humaine empêche les êtres humains de
s’émanciper des différentes formes d’oppression auxquelles ils et
elles sont confrontés traduit un profond sentiment de désespoir. On
répondait systématiquement aux anti-esclavagistes qu’une certaine « 
nature humaine » assignait à chacun son rôle social de maître ou
d’esclave. C’est aussi au nom d’une certaine conception de la « 
nature humaine » qu’on a historiquement renvoyé les femmes au rôle
exclusif de « mère au foyer » ou qu’on a réduit les ouvriers à leur
force de travail. En définitive, cette question de la nature humaine,
lorsqu’elle est traitée de manière instrumentale, sert les intérêts
du statu quo et permet la pérennité du désespoir que Mme Bombardier
prétend combattre.

S’il y a un cynisme et un désespoir, il ne réside pas chez ceux et
celles qui résistent à l’Obamanie. Nous préférons réserver notre
enthousiasme aux mouvements populaires de gauche qui constituent la
véritable trame de l’Histoire. Mais encore faut-il savoir les
distinguer de la politique-spectacle. Enfin, il faut renouer avec la
conviction profonde que le monde peut encore changer radicalement et
que cela ne sera pas le fait du président de la première
superpuissance mondiale, mais de l’effort soutenu de millions
d’opprimé-e-s en lutte.


Le lien de l’article de Mme Bombardier auquel les auteurs répondent : 1. http://www.ledevoir.com/2009/01/24/229134.html

Etienne David-Bellemare, maîtrise en science politique, UQAM
Eric Martin, doctorant en pensée politique, Université d’Ottawa

Mots-clés : International
Éric Martin

Chercheur à L’Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS)
Membre du Collectif d’analyse politique (CAP)
Doctorant en pensée politique, Université d’Ottawa

ERIC.MARTIN@uottawa.ca

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