Édition du 16 avril 2024

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Politique québécoise

Les plus vulnérables feront les frais des mesures anti-pollutions touchant les véhicules de plus de 8 ans

Le ministre du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs, M. Pierre Arcand, a annoncé le 7 décembre dernier qu’une première étape importante allait être franchie en 2013 dans le processus pour mettre sur pieds un Programme d’inspection et d’entretien des véhicules automobiles (PIEVA), avec le dépôt du projet de loi modifiant la Loi sur la qualité de l’environnement concernant l’inspection des véhicules automobiles. Dans cette lutte contre la pollution automobile, sommes-nous tous égaux ?

Les dispositions de ce projet de loi visent à rendre obligatoire l’inspection des véhicules qui ont atteint l’âge de 8 ans depuis leur acquisition. Dans une première étape, cette obligation s’appliquera lors de la revente de ces véhicules. Plus tard, dans un délai qui n’est pas précisé par le ministre, cette obligation sera appliquée à tous les véhicules qui devront être vérifiés annuellement après avoir atteint l’âge de 8 ans.

Selon Philippe St-Pierre du CAA-Québec, il y a au Québec actuellement autour de 1 000 000 de véhicules âgés sur un total qui se situe entre 4,5 M et 5M, dont près de 485 000 ont fait l’objet de transactions (revente à des particuliers ou des concessionnaires). Les normes d’émission de polluants en vigueur au Québec sont, avec la Californie, les plus contraignantes en Amérique du nord.

Le ministère des Transport indique (1) qu’en 2005, le secteur des transports émettait plus du tiers des émissions totales du Québec et que le transport routier (auto, camions, autobus) était à lui seul responsable de 80% de ce total. Qu’entre 1995 et 2005, les émissions dûes au transport routier ont augmenté de 24,8%, augmentation en grande partie dûe à la hausse du nombre de véhicules lors de cette période (+1 million), à une hausse des distances moyennes parcourues et par la stabilité de la consommation moyenne des véhicules (2).

Les intervenants croient qu’avec cette mesure, les émissions seront réduites de 5% à 15% . « Nous savons qu’en 2008 les 4 millions de véhicules automobiles légers émettaient sur une base annuelle 41 121 tonnes d’oxydes d’azote (NOx), 43 219 tonnes de composés organiques volatils (COV), 795 007 tonnes de monoxyde de carbone (CO), 310 tonnes de dioxyde de soufre (SO2) et 338 tonnes de particules en suspension (PM total). Un autre bilan du MDDEP nous apprend que le transport routier au Québec en 2008 générait 27 840 000 tonnes de GES, ce qui correspond à 33,7% du bilan total des émissions du Québec ! Un PIEVA bien mené pourra apporter des réductions variant de 5 à 15% de ces polluants de l’air au Québec, ce qui sera très significatif » a déclaré André Belisle, président de l’AQLPA.

En effet, une telle réduction aura des conséquences positives pour la santé de la population. D’après le rapport 2008 de l’Association médicale canadienne, “L’air qu’on respire”, le coût national des maladies attribuables à la pollution atmosphérique, le coût économique de la pollution atmosphérique a atteint environ 8 G$ et augmenterait jusqu’à 250 G$ au Canada en 2031. La pollution atmosphérique aurait de graves conséquences sur la santé des individus et sur la demande en services de santé. Pour l’ensemble des régions québécoises, l’exposition aux particules fines, à l’ozone et aux oxydes d’azote aurait été associée à 1 974 décès prématurés, à 414 visites à l’urgence pour des problèmes respiratoires, à 38 visites à l’urgence pour des problèmes cardiaques et à 246 705 journées avec symptômes d’asthme en 2002. (3) Bref, un pas en avant selon les intervenants.

Un pas en avant pour tous ?

Évidemment, on ne peut que se réjouir de la volonté de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Cependant, il faudrait considérer lors de l’élaboration des mesures visant à aller de l’avant dans ce sens la part de responsabilité de chacun. Or, aucun des acteurs de cette orientation n’a émis d’inquiétudes sur les victimes de cette approche. Car tous ne sont pas égaux face à ce type de mesures. Les plus riches n’ont pas à s’inquiéter. Ils peuvent se permettre l’achat de véhicules avant le délai de 8 années. Ils n’auront pas à passer l’inspection.

Les habitants des grands centres urbains pourront toujours se rabattre sur le transport en commun malgré les limites qu’impose cette solution (endroits mal desservis, horaires pas toujours adéquats pour les besoins, etc.). Cependant, hors de ces grands centres, l’usage de l’automobile est incontournable pour se rendre au travail, faire les courses ou simplement se déplacer d’un endroit à un autre. Le transport en commun n’est pas une option en région dans l’état actuel des choses. Les distances à parcourir sont souvent plus importantes qu’en milieu urbain. Même dans les quelques centres urbains qui possèdent un service de transport en commun (Sherbrooke, Trois-Rivières, etc.), celui-ci est souvent inadéquat.

De plus, c’est le silence complet sur la part de responsabilité des constructeurs dans cette situation. Or, les données fournies par le ministère des Transport du Québec indiquent clairement que les nouveaux véhicules ne progressent pas en matière de réduction des émissions, le gains en matière d’efficacité étant compensé par des moteurs toujours plus puissants. (2)

Qui fera les frais de cette mesure ?

Les détenteurs de ce type de véhicule qui verront la valeur de revente de leur véhicule baisser au fur et à mesure qu’approche l’échéance de l’inspection. Les frais pour les inspections (vérification de l’étanchéité du bouchon du réservoir d’essence, fiabilité du catalyseur, vérification du système électronique) devraient se situer autour de 80$ à 100$ selon le CAA-Québec, coûts qui seront compensés par les économies d’essence résultant des travaux qui seront exécutés pour améliorer la performance du véhicule, selon Philippe St-Pierre. Oui mais tout ça sans compter les frais reliés aux modifications à apporter au véhicule pour qu’il respecte les normes minimales d’émission s’il rate l’inspection ce qui risque d’arriver souvent.

À qui profitera une telle mesure ?

En premier lieu aux garagistes qui seront accrédités pour inspecter les véhicules concernés. L’AQLPA mentionne que des 600 inspections de véhicules légers réalisées en 2010, en collaboration avec l’Agence de l’efficacité énergétique et le Ministère du développement durable, de l’environnement et des parcs (MDDEP), ont démontré que 25% des véhicules inspectés ne rencontraient pas les normes minimales de fonctionnement du système anti pollution et que plusieurs présentaient des signes de surconsommation importante de carburant. Si la tendance se maintient, nous pouvons anticiper que plus de 100 000 véhicules vendus et ayant atteint ou dépassé les 8 années d’usure devront passer au garage à chaque année. Une clientèle captive intéressante pour ces commerçants.

En deuxième lieu, les recycleur d’automobiles. L’Association des recycleurs d’automobiles du Québec s’est récemment inscrite au registre des lobbyistes pour faire des représentations auprès du gouvernement afin d’encourager le dépôt du projet de loi. En effet, la mise à la casse de plusieurs véhicules de personnes incapables d’assumer les frais de réparation ou de mise à niveau augmentera leurs inventaires de pièces à peu de frais.

Enfin, les constructeurs automobiles verront d’un bon œil cette mesure puisqu’elle risque d’accélérer le cycle de vente de véhicules. En effet, plusieurs détenteurs de véhicules seront tentés d’acheter de nouveaux véhicules avant l’échéance plutôt que de risquer la perte de valeur de leur véhicule et de multiples visites au garage. Et puisque les normes québécoises d’émission sont parmi les plus sévères en Amérique du nord et que les constructeurs n’ont aucun intérêt à s’aligner sur ces normes considérant la marginalité du marchés, la mesure québécoise fera en sorte que les acheteurs sont floués au départ puisque les données du ministère des Transport indiquent clairement que les nouveaux véhicules n’offrent pas une réelle réduction des émissions.

La Corporation des concessionnaires d’automobiles du Québec s’est aussi inscrite au registre des lobbyistes du Québec afin de “faire adopter le Programme d’inspection des véhicules de plus de huit ans pour contrer les émissions de gaz à effet de serre parce que les vieux véhicules sont plus polluants donc la bonne cible. “ (4)

Des alternatives

Par ailleurs, la mise sur pied d’un tel système pose le problème essentiellement à partir d’une vision individuelle du transport. Or, le transport des personnes basé sur le transport individuel est intenable dans le contexte de la lutte aux changements climatiques. Les solutions qui visent à l’amélioration du parc automobile actuel sont des combats d’arrière garde. La seule solution viable est de mettre en priorité la mise en place d’un système intégré de transports collectif urbain et inter-régional qui offrirait une réelle alternative à l’automobile.

Or, rien dans les positions exprimées lors de l’annonce de cette mesure ne laisse entrevoir cette perspective. On fait porter le poids de cette mesure essentiellement sur certaines catégories d’individus, parmi les plus vulnérables alors qu’on ne remet pas en question le coeur du problème : un système de transport basé sur le véhicule individuel. Vivement une perspective qui lie les luttes aux changemenst climatiques à celle de la justice sociale.

Notes

1 - http://www.mtq.gouv.qc.ca/portal/page/portal/ministere/ministere/environnement/changements_climatiques/transport_changements_climatiques

2 – “Malgré les progrès technologiques, l’amélioration de l’efficacité énergétique des véhicules a été en bonne partie annulée par l’augmentation de la puissance, de la performance, du poids et des options.” MTQ voir référence précédente.

3 – Communiqué du ministère des Transport du 7 décembre 2011

4 - https://www.lobby.gouv.qc.ca/servicespublic/consultation/AfficherSommaire.aspx?NumeroInscription=E11-LE00853

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