Édition du 23 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

10 ans après le 11 septembre 2001 : mais avec qui Dieu se trouve-t-il ?

Il y avait cette dernière fin de semaine quelque chose d’indécent dans cette débauche sensationnaliste d’émotions et de commentaires visant à se faire l’écho des événements du 11 septembre 2001 et à capter une bonne partie de l’espace médiatique de la planète. Comme si, pour témoigner ad nauseam de l’horreur vécue ou de l’héroïsme rencontré, les logiques médiatiques de notre société du spectacle avaient fini par renverser, cul par-dessus tête, la réalité elle-même. À nous faire oublier l’essentiel.

Qu’on se comprenne bien, il ne s’agit pas ici de mésestimer un drame ayant brutalement enlevé la vie à près de 3000 personnes, ni non plus d’ôter la valeur symbolique à ces deux gigantesques tours du World Trade Center dont les brutaux affaissements ont évoqué l’image de la toute puissance américaine mise à mal. Avec, sur fond de ciel en flammes, tout ce que cela peut impliquer d’interrogations sur le déclin étatsunien ou même d’inquiétude sur le devenir de ceux qui restent nos premiers voisins.

Non, il s’agit plutôt de prêter attention à ces mises en perspective si partiales, qu’elles finissent par nous faire oublier ce qui ne devrait pas l’être ; écho de cette question que beaucoup n’auront sans doute pas manqué de se poser : les morts qui n’appartiennent pas au camp des puissants auraient-ils eu droit à autant d’attention ? Ont-ils suscité de tels devoirs de mémoire ? Ils sont pourtant légion et les drames qu’ils vivent –loin du confort sécurisé des contrées occidentales— tout aussi tragiques ! Les Palestiniens par exemple de la bande de Gaza, ou plus simplement encore ces populations civiles du sud de la Somalie dont on annonce la mort imminente, pourquoi ne mobilisent-ils pas de tels élans de compassion ?

L’ethnocentrisme des maîtres du monde

C’est que « l’arbre » de cet exceptionnel attentat nous fait littéralement oublier « la forêt » des zones de guerre ou de douleurs plus ou moins permanentes qui hantent notre monde, dont on ne s’émeut guère d’ordinaire et dans lesquelles justement les troupes étatsuniennes sont si souvent impliquées. Les allures de victime et de géant blessé qu’on prête volontiers ces jours-ci aux États-Unis peuvent sans doute déchainer la compassion, mais ne devraient pas nous masquer ce qui est décisif : l’horreur de la violence brute de la guerre ou des attentats ne fut ces dernières années qu’exceptionnellement le lot des USA.

Les chiffres sont là pour nous le rappeler et souligner ce terrible ethnocentrisme propre aux maîtres du monde, eux qui ne voient l’univers qu’à partir d’eux, se désolant de la terreur qu’ils découvrent chez eux, alors qu’ils l’entretiennent pourtant systématiquement ailleurs. Pensez, ainsi que le rapportait récemment Joseph E. Stiglitz, à ce plus de 1 million de morts irakiens victimes de la guerre, et à ces 137 000 civils morts violemment en Afghanistan et en Irak dans les dix dernières années, ou encore, en Irak seulement, à ces presque 4 millions de déplacés ou de réfugiés. Alors qu’il n’y avait au point de départ dans ce pays ni armes de destruction massive, ni combattants d’Al-Qaïda, mais par contre une armada de militaires étatsuniens.

Interrogations troublantes

Raison de plus pour revenir aux interrogations oubliées de ce 11 septembre, dont on parle si peu et qui restent si troublantes. Ne serait-ce que parce qu’elles renforcent cette tenace impression qu’il y a quelque chose de fondamentalement problématique dans ces événements, à commencer par le fait qu’ils ont été à l’origine –à la manière d’un puissant catalyseur— de nouvelles flambées guerrières et sécuritaires particulièrement dramatiques et dont le monde n’a pas fini de pâtir.

Et le moins que l’on puisse dire, c’est que 10 ans plus tard, rien à propos des tenants et aboutissants de cet attentat n’est vraiment clair : ni l’identité véritable de ses auteurs (on n’a jamais pu obtenir l’identité exacte de chacun d’entre eux) ; ni la façon dont il a été préparé (les contradictions parcourant le récit officiel sont si nombreuses !) ; ni les raisons expliquant le déni des autorités vis-à-vis des avertissements répétés des services secrets US à ce propos ; ni les explications concernant la non-intervention de la chasse étatsunienne au moment où les 4 boeings commerciaux ont quitté leurs routes habituelles ; ni celles concernant l’écroulement si abrupt et si total des tours jumelles (le seul impact d’un avion ne pouvant suffire à produire un tel effet). Sans parler bien sûr de l’affaissement complet mais incompréhensible –puisque n’ayant pas été touché— d’un 3e édifice tout proche.

Ce qu’il ne faut pas oublier

Et qu’on n’aille pas nous brandir, en guise d’argument massue, le dérisoire ou le farfelu d’une théorie du complot, dont les maladresses ou les excès invalideraient jusqu’aux légitimes questions que tout citoyen digne de ce nom –c’est-à-dire doté d’une raison et d’un sens critique minimal— ne peut que se poser. Car pour ce dernier, ce qui reste important, au-delà de tous les scénarios imaginés et imaginables, c’est ce qu’il a vérifié bien concrètement depuis dix ans : cette légitimation toute trouvée dont les USA se sont ainsi assurés, non seulement vis-à-vis des menées guerrières terriblement meurtrières qu’ils se sont autorisé depuis à l’extérieur de chez eux, mais aussi vis-à-vis des contrôles sécuritaires liberticides qu’ils ont pu sans grande résistance imposer chez eux et chez leurs alliés.

Au-delà de tout ce qu’on peut dire sur les événements du 11 septembre, c’est cette réalité bien terre à terre qu’il ne faut pas oublier. Et le président des USA aura beau rappeler que « Dieu est avec l’Amérique », ce sont ces logiques de guerre et d’obsessions sécuritaires grandissantes qui nous font penser qu’il n’y a guère de raison de vouloir y associer son nom. À moins qu’il ne soit évoqué que pour justifier l’injustifiable et masquer ce que tout citoyen d’une société démocratique devrait pourtant pouvoir savoir. A fortiori 10 ans plus tard !

Pierre Mouterde

Sociologue, philosophe et essayiste, Pierre Mouterde est spécialiste des mouvements sociaux en Amérique latine et des enjeux relatifs à la démocratie et aux droits humains. Il est l’auteur de nombreux livres dont, aux Éditions Écosociété, Quand l’utopie ne désarme pas (2002), Repenser l’action politique de gauche (2005) et Pour une philosophie de l’action et de l’émancipation (2009).

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