Tiré de Reporterre.
Beyrouth (Liban), correspondance
Aubergines et concombres poussent entre les décombres, portant avec eux l’espoir d’un peuple meurtri. Trois semaines après l’entrée en vigueur du cessez-le-feu entre le Hamas et Israël, les Gazaouis font face à un océan de destruction et se demandent comment reconstruire leur avenir. Pour Samar Abo Saffia, la réponse est simple : planter et planter encore.
À Deir el-Balah, ville du centre de l’enclave palestinienne, la jeune agronome continue son projet de cultiver la terre endeuillée par deux ans de conflit. « Grâce à la trêve, il est devenu plus facile d’acheter du matériel agricole et d’irriguer les plants, alors j’ai décidé d’élargir mon projet, des camps de déplacement aux terrains vagues détruits, où je nettoie les sols avant de les planter », explique celle qui a été déplacée une dizaine de fois par les combats avant de finalement s’installer avec son mari.
Le 10 octobre, un cessez-le-feu porté par le président étasunien, Donald Trump, est officiellement entré en vigueur après des semaines de négociations, flanqué d’un plan de paix en plusieurs étapes : le dirigeant d’extrême droite a même annoncé « la fin de la guerre à Gaza ». Dans les jours suivants, 2 000 prisonniers palestiniens, la plupart arrêtés arbitrairement depuis le 7 octobre 2023, ont été libérés en échange des 20 otages israéliens encore vivants détenus par le Hamas et ses alliés et de plusieurs dépouilles.
« L’ambiance à Deir el-Balah après l’annonce de la fin de la guerre était incroyable, comme si c’était un jour de fête. Une joie intense envahissait les gens, joie de rentrer chez eux, joie de voir la fin de ce cauchemar douloureux », témoigne Samar Abo Saffia à Reporterre, via WhatsApp.
Pour elle, le plan de Trump était la « seule solution pour mettre fin » aux morts à Gaza, et il est approprié « tant que les Palestiniens restent sur leur terre », explique celle qui veut maintenant reprendre un master d’agronomie, un rêve longtemps enterré par les affres du génocide. « J’espère que Gaza redeviendra belle, qu’elle sera reconstruite correctement, en tenant compte de l’environnement et que j’aurai une belle maison entourée d’arbres et de fleurs, paisible et sans guerre ni mort. »
« Trump finalise la destruction des aires agricoles »
Mais la joie aura été de courte durée : plus d’une centaine de Palestiniens ont été tués dans des frappes israéliennes à Gaza le 29 octobre, officiellement en représailles à la mort d’un soldat israélien imputée au Hamas. Alors que l’implémentation du plan est émaillée d’incidents, Israël a tué au total 200 Palestiniens dans des bombardements aériens, tirs de mitrailleuses et de tanks depuis le 10 octobre, ainsi que ralenti l’entrée l’aide humanitaire .
Un schéma habituel pour Israël, qui « viole systématiquement les accords de cessez-le-feu à Gaza et au Liban, estime Gabriella Neubert, assistante en plaidoyer et recherche au Groupe arabe pour la protection de la nature (APN), une association environnementale palestino-jordanienne. Nous reconnaissons ici le scénario colonial habituel : un plan élaboré sans aucune consultation des Palestiniens, à l’instar des accords d’Oslo, qui n’ont fait que renforcer l’occupation et l’accaparement des terres. »
Depuis mars 2024, le projet « Revive Gaza’s Farmland » (« Redonner vie aux terres agricoles de Gaza ») de l’APN a permis de cultiver 126 hectares, produisant plus de 6 000 tonnes de légumes. « Nous défendons une renaissance souveraine des systèmes alimentaires de Gaza, alors que le plan Trump finalise la destruction des aires agricoles — les concevant plutôt comme des lieux d’extraction coloniale-capitaliste », ajoute-t-elle, en référence aux projets immobiliers de « Riviera » de luxe poussés par le président étasunien et son gendre Jared Kushner dans l’enclave.
Une paix placée entre les mains du peuple
Le plan rutilant de Trump pour Gaza intervient en effet sur un champ de ruines et de rêves brisés, dont la démographie et la topographie ont été modifiées par le génocide. Plus de 68 200 personnes ont été tuées directement par l’armée israélienne, selon le ministère de la Santé gazaoui, chiffre auquel il faut ajouter encore une dizaine de milliers de cadavres sous les décombres et des dizaines de milliers de morts liés à la faim, aux maladies, à la pollution — des estimations atteignent ainsi les 680 000 morts. 92 % des logements sont endommagés ou détruits, ainsi que 80 % des terres agricoles.
L’équipe d’investigation Forensic Architecture (FA) révèle même que 90 % de la vie végétale a été ravagée par le feu, les bulldozers, les bombes. Un tiers du terrain de l’enclave aurait été rasé dans cet écocide, explique Samaneh Moafi, assistante directrice de recherche pour le Moyen-Orient.
« Via l’imagerie satellitaire, on observe un schéma systématique : quand les forces israéliennes ont avancé, elles ont d’abord tout aplati sur leur passage, avant d’y construire des infrastructures militaires : routes, campements, remblais de terre. Et ce, essentiellement dans les zones agricoles de Gaza, en avançant des frontières vers le centre et la côte », affirme-t-elle en montrant l’évolution sur une carte interactive publiée par FA. Beaucoup de ces structures semblent pérennes, prévues pour assurer un contrôle au long terme.
Le retrait prévu des forces israéliennes dans le cadre du cessez-le-feu suit les lignes de ces zones tampons déblayées. « On s’est rendu compte qu’Israël a forcé les civils à évacuer dans des zones aux sols sableux, en gardant le contrôle sur tous les sols meubles », explique la chercheuse.
C’est ainsi que l’armée israélienne retient le contrôle de 58 % de l’enclave dans l’étape actuelle du plan, notamment les terrains les plus fertiles. Et lors du retrait total, les zones tampons aux frontières entre Gaza et Israël élargies empièteront sur les zones les plus arables, affirme-t-elle — sabotant ainsi la capacité future de régénération et d’agriculture. « Mais il ne faut pas sous-estimer le savoir-faire et la résistance des Gazaouis, qui arrivent maintenant déjà à cultiver des terres pourtant arides », dit-elle.
C’est aussi l’avis de Gabriella Neubert, de l’APN. « Une paix juste et soutenable ne peut être placée qu’entre les mains du peuple, et non d’entités coloniales ou impérialistes. En parallèle à un processus qui doit amener tous ceux qui ont perpétré ce génocide et leurs complices devant la justice, nous devons soutenir la souveraineté alimentaire gazaouie et soutenir les Palestiniens afin qu’ils puissent vivre, cultiver leurs terres et se nourrir librement. » Avant la guerre, et malgré le blocus imposé par Israël depuis 2007, Gaza avait développé une remarquable autosuffisance dans le secteur agricole, notamment pour la production de fruits et légumes.
C’est exactement ce à quoi travaille Samar Abo Saffia dans ses cultures à Deir el-Balah. « Nous nous retrouvons avec un sol appauvri par l’exode et le manque d’entretien, un manque d’eau et la mauvaise qualité des semences disponibles. Il faut donc travailler au développement de l’agriculture, à la reconstruction et à la réhabilitation des terres, ainsi qu’à leur nettoyage pour éliminer les traces d’explosifs, pour repartir de zéro », explique la jeune femme avec l’espoir, ainsi, de reprendre son futur et celui de Gaza entre ses mains.
Un « plan de paix » en 20 points controversés
Le projet propose une « déradicalisation complète » de Gaza, sa reconstruction et la « fin du terrorisme ». Une amnistie est prévue pour les membres du Hamas déposant les armes, tandis que ceux souhaitant partir obtiendraient un droit de passage sécurisé. Une aide humanitaire « massive » serait immédiatement déployée, supervisée par l’ONU et d’autres organisations internationales. La gouvernance transitoire de Gaza serait confiée à un comité technocratique palestinien, sous le contrôle d’un Comité de la paix international présidé par Trump, jusqu’à ce que l’Autorité palestinienne puisse reprendre le pouvoir.
Le plan inclut la création d’un programme économique « ambitieux », d’une zone économique spéciale et de partenariats internationaux pour relancer l’emploi et les infrastructures. Une démilitarisation totale de Gaza serait imposée, vérifiée par des observateurs indépendants et soutenue par un programme international de rachat d’armes.
Une Force internationale de stabilisation (ISF) assurerait la sécurité et formerait une police palestinienne, tandis qu’Israël se retirerait progressivement. Enfin, Trump envisage un dialogue interreligieux et un processus politique menant, à terme, à la création d’un État palestinien, une fois la paix et la stabilité durablement établies.
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