Édition du 8 octobre 2024

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Écosocialisme

À gauche, l’écosocialisme s’impose comme trait d’union

De la social-démocratie à la gauche radicale, des partis se revendiquent ou débattent de l’écosocialisme. Cette appropriation collective marque une nouvelle étape dans la recomposition de la gauche, qui se cherche une vision du monde partagée.

juin 2023 tiré de mediapart.fr

C’est l’exemple d’une idée née à la marge et qui peu à peu devient centrale. Depuis un an, de l’espace social-démocrate à la gauche radicale, l’écosocialisme fédère, ou du moins est débattu. Rien ne laissait présager que ce concept marxiste forgé dans les années 1970 dans le milieu universitaire états-unien deviendrait un tel attracteur politique.

Le principe fondateur de l’écosocialisme, selon lequel il n’y a pas d’écologie possible dans les cadres de l’économie capitaliste de marché, et pas de socialisme possible sans rupture avec le productivisme, est pourtant de plus en plus admis. « Le constat historique que les causes de la crise écologique et de toutes les formes de domination sociale ont une origine commune, le capitalisme, s’est imposé », résume le philosophe Paul Guillibert, auteur de Terre et capital.

La députée de La France insoumise (LFI) Clémentine Autain, membre de la Gauche écosocialiste (GES, une organisation fondée à la mi-mai, intégrée à LFI) s’en revendique ainsi, tout comme le président du Parti socialiste belge, Paul Magnette, auteur d’un « manifeste écosocialiste » qui inspire son homologue français, Olivier Faure.

Paul Magnette s’est entretenu de ce sujet avec Clémentine Autain et François Ruffin, preuve d’un rapprochement de deux pôles de gauche qui s’étaient éloignés. « Il y a des nuances entre nous, mais ce qui se cherche globalement, c’est un grand projet rassembleur qui dépasse les clivages du XXe siècle et qui redéfinisse la perspective commune à gauche », se félicite Clémentine Autain.

Interrogé par Mediapart, Paul Magnette voit aussi dans cette évolution l’occasion d’un aggiornamento bienvenu sur le plan des idées : « L’écosocialisme est une autocritique croisée : les socialistes doivent faire l’autocritique de leur alliance longue avec le productivisme et les écologistes doivent reconnaître que s’ils patinent depuis cinquante ans, c’est parce qu’ils n’arrivent pas à ancrer la question naturelle dans la question sociale. Nous avons l’occasion de construire des formes de convergence », explique-t-il.

La victoire culturelle de l’écosocialisme

Cette autocritique croisée s’est encore matérialisée lors d’une convention de Génération·s début juin. Le parti hamoniste a inscrit l’écosocialisme dans son orientation stratégique. « La fin du XXe siècle a montré qu’il ne suffisait pas de réparer les maux du capitalisme, il faut en sortir. L’écosocialisme le propose, tout en nous sortant du dogmatisme dans lequel on nous enferme », analyse Léa Filoche, coordinatrice nationale de Génération·s. Le Nouveau Parti anticapitaliste (NPA), bientôt amené à se transformer, l’a adopté depuis des années.

Alors que, sur le temps long, la gauche peine à se remettre des désillusions du « socialisme réel » et de la « troisième voie » sociale-libérale, l’écosocialisme, à force d’être travaillé, associé à un programme et à une stratégie, la dote d’un projet de société alternatif, ambitieux et désirable.

L’engouement suscité par le livre de Kohei Saito, Marx in the Anthropocene. Towards the idea of degrowth communism (« Marx dans l’anthropocène : vers l’idée d’un communisme décroissant »), vendu à un demi-million d’exemplaires au Japon, témoigne de cette aspiration à un renouvellement idéologique. « Cet incroyable succès montre qu’il y a une recherche d’alternative qui va au-delà du blabla superficiel qui fait le contenu de la politique aujourd’hui, car la gauche a besoin de vision du monde », applaudit Daniel Tanuro, essayiste belge membre de la IVe Internationale (trotskiste), auteur de référence dans la nébuleuse écosocialiste.

C’est un long travail de construction théorique qui, sous la pression des événements climatiques, s’accélère.
Claire Lejeune, militante écologiste

Les conséquences exponentielles du dérèglement climatique ont fait voler en éclats la vieille distinction entre le mouvement ouvrier, structuré par une lecture « productiviste » du marxisme, et les associations environnementales, spécialisées dans la lutte contre les pollutions et les risques industriels. L’antagonisme a laissé place à un besoin d’hybridation qui s’est exprimé dans les mobilisations contre la réforme des retraites. « “Pas de retraités sur une planète brulée”, c’est un slogan écosocialiste », a revendiqué Benoît Hamon devant des militant·es socialistes, laissant entendre qu’un écosocialisme culturel avait déjà gagné. Les Soulèvements de la Terre incarnent aussi cette convergence inédite.

« C’est un long travail de construction théorique qui, sous la pression des événements climatiques, s’accélère, estime Claire Lejeune, militante écologiste qui avait rejoint la campagne de Jean-Luc Mélenchon en 2022. L’entremêlement des crises génère des formes d’action et de réflexion qui sont écosocialistes, même si elles ne sont pas théorisées comme telles. Camille Étienne [militante pour le climat et autrice d’un récent essai – ndlr] porte des moyens d’action qui sont alignés avec la radicalité écosocialiste. Il y a un mouvement de fond qui génère le retour de ce mot, parce qu’il colle à une réalité militante et sociale. »

Un langage commun radical

Même si ces collectifs et personnalités ne se revendiquent pas nécessairement de l’écosocialisme, ils participent d’une communauté de pensée. Planification écologique de l’économie, réduction du temps de travail, constitutionnalisation de la règle verte (ne pas prélever sur la nature davantage que ce qu’elle peut reconstituer), décroissance, remplacement de l’agrobusiness par une agriculture paysanne et internationalisme forment à leurs yeux un ensemble de réponses cohérentes et adaptées aux crises actuelles.

Les intellectuels qui ont théorisé l’écosocialisme se méfient cependant des récupérations hâtives, sous prétexte d’électoralisme. « La social-démocratie scandinave se réclame de l’écosocialisme, mais ça n’a rien changé à leur ralliement au productivisme », modère Daniel Tanuro, auteur de Trop tard pour être pessimistes ! Écosocialisme ou effondrement (2020). « À mesure que le concept gagne en extension, il perd en précision et en radicalité », abonde le philosophe Paul Guillibert.

En France, c’est le philosophe marxiste Michael Löwy, proche d’Olivier Besancenot, qui en a stabilisé une première définition au début des années 2000. « Ce n’est pas une gestion sociale du capitalisme, ni un programme écologique compatible avec l’économie de marché : il a une portée révolutionnaire par rapport aux fondements économiques du capitalisme », rappelle-t-il aujourd’hui.

Indépendamment des étiquettes, la gauche doit penser simultanément question sociale et question naturelle, ce qui crée un terrain pour construire l’unité.
Paul Magnette, président du Parti socialiste belge

Le philosophe a défendu cet ancrage radical auprès de plusieurs organisations de gauche ces derniers mois. Il a aussi tenu une conférence à ce sujet à l’institut La Boétie, l’école de pensée de LFI, le 31 mai. Le Parti de gauche (PG, ancêtre de LFI), cofondé par Jean-Luc Mélenchon en 2008, avait précocement adopté cette doctrine grâce au travail théorique de l’essayiste Corinne Morel Darleux et de Martine Billard, venue des Verts.

Sa réapparition, après une éclipse de deux campagnes présidentielles (2017 et 2022), même si le programme de LFI était jugé de facto écosocialiste, n’est pas sans lien avec la recherche de consolidation de la Nouvelle Union populaire, écologique et sociale (Nupes).

« Indépendamment des étiquettes, la gauche doit penser simultanément question sociale et question naturelle, ce qui crée un terrain pour construire l’unité », estime Paul Magnette. « Alors qu’avec nombre de socialistes on ne parlait plus le même langage, ce que la Nupes dit de l’époque, c’est qu’un nouveau langage commun est en train de se reconstituer entre différentes cultures de gauche. C’est très prometteur pour l’avenir », abonde Clémentine Autain.

Des stratégies complémentaires

Pour le philosophe Paul Guillibert, cette tendance est symptomatique d’un pas en avant réalisé par la gauche, dans une période marquée par la documentation scientifique du dérèglement climatique : « Il y a un devenir hégémonique de l’écosocialisme au sein de la gauche. C’est une double avancée : du point de vue des écologistes, ça indique une progression de la critique à l’égard du capitalisme, et du point de vue anticapitaliste, c’est le signe qu’il n’y a plus de parti de gauche qui ne se positionne pas sur la transition écologique. »

« Ça ouvre le champ à des unités d’action et de revendication possible, voire à une position d’appui critique à un projet électoral écosocialiste, de l’extérieur et de l’intérieur », convient aussi Daniel Tanuro, pour qui la gauche doit cependant « admettre la nécessité d’une décroissance, au sens littéral du terme, comme une phase de transition vers une autre société. »

Si Europe Écologie-Les Verts (EELV) a pour sa part tourné la page de l’ère du « ni ni » (ni de droite, ni de gauche) incarnée par Antoine Waechter dans les années 1980, la volonté de construire l’écologie politique comme force autonome alimente une réticence à l’égard de l’écosocialisme : « C’est du marketing politique. À travers l’avènement de ce concept, les organisations de gauche cherchent à intégrer à leur matrice théorique ce qu’a apporté l’écologie politique à la critique du capitalisme, mais je ne vois pas ce que ça apporte à la pensée écologiste », analyse ainsi Alain Coulombel, membre du bureau exécutif d’EELV. La nature antagonique de l’écologie avec le capitalisme n’en est pas moins admise.

Des nuances stratégiques demeurent donc (contagion d’initiatives autogestionnaires à la base, prise de pouvoir de l’État pour réorienter l’appareil productif...), et la doxa écosocialiste est loin d’être homogène. Mais le débat enclenché à gauche, à l’intérieur et à l’extérieur de la Nupes, peut être fécond. Il pourrait même incarner un espoir à gauche face aux impostures du capitalisme vert, de l’écologie libérale et du « localisme » de l’extrême droite.

Mathieu Dejean

Mathieu Dejean

Journaliste Les Inrocks (France).

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