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Religion

19 mars 2013

À propos de Bergoglio, alias pape François, alias le pape des pauvres

Lettre à ma fille
Chère Lucia,

Tu as a écrit sur Facebook : « Serait-ce une ironie divine qu’à quelques jours de l’anniversaire du début de la dictature militaire de 1976 en Argentine, un représentant de l’Église qui a eu un comportement très ambigu envers cette dictature soit élu pape ? » Et tu remarqueras : deux jours plus tard, lors des audiences d’un méga procès pour crimes de « lèse humanité », en Argentine, les militaires accusés de la disparition de personnes, de torture et d’assassinats arboraient fièrement le jaune et le blanc à la boutonnière, les couleurs du Vatican. Parmi ces militaires se trouvaient l’ex-général Luciano Benjamín Menéndez, grand chef du sinistre camp de concentration « La Perla », de la ville de Córdoba. Le symbole est trop fort pour être innocent ou de pure dévotion religieuse.

Bergoglio est soupçonné de collaboration et de complaisance à l’endroit de la dictature civique-militaire Argentine (1976-83). Complaisance ou connivence idéologique ? Quand on analyse sa vision des choses, de la vie et des relations hommes-femmes, par exemple, on remarque que c’est le même corpus idéologique que professaient les militaires qui se réclamaient du « monde occidental et chrétien » dans lequel l’Argentine était perçu par ces mêmes idéologues comme le « dernier bastion contre le marxisme apatride et international ». Plusieurs témoignages des victimes de la répression et de leur famille durant ces années de plomb démontrent que Jorge Mario Bergoglio ne peut pas plaider l’ignorance, contrairement à ce qu’il affirme. Et le fait qu’il ait été bien informé de ces exactions est très bien documenté, notamment par le journaliste Horacio Verbitsky dans son livre Le silence et par Emilio Mignone, avocat, professeur et écrivain, dans un ouvrage de 1987 intitulé Église et dictature : le rôle de l’Église à la lumière de ses relations avec le régime militaire. Non seulement Bergoglio nie avoir été au courant d’enlèvements, mais il affirme avoir aidé beaucoup de gens à échapper à la répression. Il ne dit cependant pas qui il a aidé ni comment il les a aidés. Les documents et témoignages de l’époque sur les agissements du cardinal démontrent plutôt le contraire. La justice française en 2011 voulait bien l’entendre pour documenter ce qu’il sait sur l’assassinat du religieux français Gabriel Longueville en 1976 dans la province de La Rioja, en Argentine.

Il faut le dire clairement : le passé de Bergoglio, notamment par son militantisme dans un des groupes les plus conservateurs du nationalisme catholique d’extrême droite des années 1960, la Guardia de Hierro [Garde d’Acier], est garant de sa structure de pensée. Bergoglio a toujours fait partie des secteurs les plus réactionnaires de la hiérarchie de l’Église argentine.

Jorge Mario Bergoglio est un habile personnage, d’une intelligence politique redoutable, c’est évident. Habile dans une certaine façon de faire de la politique, comme seuls les membres les plus influents de l’Église savent l’être ! Des analystes de l’Argentine le comparent à un caméléon, et quand on examine les sentiers qu’il a empruntés au cours de sa brillante carrière, la comparaison est très juste ! Le branding du Vatican l’appelle le pape des pauvres. Il est pour la justice sociale, clame-t-on, et contre les excès du capitalisme ou du néolibéralisme. Par sa complicité avec la junte militaire argentine, le bras armé de l’oligarchie argentine, il est plutôt un de ses pires défenseurs. Jamais il n’a critiqué les structures politiques et économiques qui génèrent l’injustice sociale, la pauvreté et la misère de ceux qu’il prétend aimer, côtoyer, défendre. Durant les pires années du néolibéralisme en Argentine, sous le gouvernement Menem dans les années 1990, il n’a jamais parlé de justice sociale ni questionné la richesse des puissants.

S’il est proche des pauvres, comme il aime s’en vanter, son idéologie est celle de la soumission des pauvres à l’ordre des puissants, et à la réconciliation entre ceux qui réclament justice et ceux qui ont commis les pires atrocités. Comme l’a écrit Martin Granovsky, journaliste au quotidien "portenio" Pagina12, dans l’édition du 14 mars sous le titre « Est-ce que la simplicité est suffisante ? », l’ascension politique et l’influence de Bergoglio s’accroît sous le règne de Jean-Paul II et de Benoît XVI. Il est remarquable que durant la même période, les religieux véritablement engagés dans la lutte contre les injustices sociales et contre l’oppression et les régimes militaires s’éclipsent. Pensons aux archevêques brésiliens Aloiso Lorscheider, Evaristo Arns et Helder Camara. Monseigneur Oscar Romero fut assassiné au Salvador, même sort pour Monseigneurs Enrique Angelelli et Oscar Ponce de Léon en Argentine. On y mettait au rancart des archevêques combatifs et sans compromission avec le pouvoir militaire comme Jaime de Nevares, Miguel Hesayne y Jorge Novak ! Au même moment, on protégeait l’archevêque argentin de Santa Fé, Edgardo Storni, accusé d’abus sexuel. On pourrait dresser une très longue liste de curés et soeurs engagés dans la théologie de la libération, qui ont été tués, emprisonnés, forcés à l’exil, ou qui furent écrasés politiquement par l’autorité de l’Église, réduits au silence.

Une fois le nettoyage politique et idéologique effectué, c’est beaucoup plus facile pour la hiérarchie ultra conservatrice de s’approprier le langage de la justice sociale. Que dit l’Évangile ? Au royaume des aveugles, les borgnes sont rois !

Tu as raison ma fille, c’est sans doute une ironie de Dieu, car Bergoglio savait très bien ce qui se passait en Argentine durant la répression militaire. Tellement que tout le temps qu’il fut président de la conférence épiscopale d’Argentine, on n’a jamais voulu dévoiler les archives secrètes que contiennent (on l’a su après grâce à l’intervention de la justice de l’Argentine) des informations très embarrassantes sur la proximité de l’Église et du gouvernement militaire. Le 15 mars dernier, le Vatican dénonçait les « calomnies des groupes de gauche anticléricaux argentins » sur les liens de l’Église et du gouvernement terroriste de l’Argentine de 1976-83. Ce serait pourtant relativement facile de dissiper les doutes si le pape François dénonçait sans ambiguïté tout ce qui est arrivé durant cette époque. Le chapitre serait clos en ce qui le concerne, et on pourrait croire hors de tout doute à sa non-complicité, ou du moins à son repentir ! En attendant, le discours et l’action de cet homme ambiguë à Rome seront extrêmement dangereux Non, en tant qu’Argentin je suis particulièrement inquiet du choix des cardinaux, même s’il boit son maté à sa fenêtre le matin, qu’il prend l’autobus, aime le foot. Je ne m’attendais à rien de particulier, encore moins à quelque chose de révolutionnaire ; l’Église officielle est dans la même logique depuis toujours. Mais je suis révolté par ce qu’on veut nous faire croire et par l’impunité dans laquelle vont continuer à fonctionner les dirigeants de ce monde : impunité morale, juridique, politique, idéologique.

Oui Lucia, terrible ironie « divine », à quelques jours de l’un des anniversaires les plus tragiques de l’Argentine : le début du « Processus de réorganisation nationale », le 24 mars 1976. C’est une date que je n’oublierai jamais. J’avais dix sept ans cette année-là et j’étais révolté par la dictature qui s’installait, la violence, le mensonge, l’arrogance. J’ai passe 8 ans en prison sans procès durant cette dictature.

Habemus Papam ! comme ils disent en latin ceux qui sont ravis du pape. On a un pape ! Il n’est pas près d’être le mien, ma fille.

Aldo Miguel Paolinelli

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