Édition du 11 novembre 2025

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Israël - Palestine

Armes, chefs de guerre et terres dévastées : la stratégie d’Israël pour Gaza après la guerre

Dans la bande de Gaza d’après-guerre, Israël soutient quatre milices criminelles principales afin de provoquer le chaos interne, de collecter des renseignements et d’exercer son contrôle.

Tiré de Association France Palestine Solidarité. Photo : Un char de l’armée israélienne pénétrant dans la bande de Gaza lors d’une offensive contre l’enclave, 18 juillet 2014 © Yotam Ronen / Activestills. Publié par The New Arab.

Alors qu’un cessez-le-feu semblait se profiler à Gaza, le chef d’un gang lié à l’État islamique et soutenu par Israël, Yasser Abu Shabab, a exigé une « protection internationale », terrifié à l’idée d’être traduit en justice pour avoir systématiquement pillé l’aide humanitaire, collaboré avec Israël et tué des Palestiniens.

L’armée israélienne avait refusé de permettre à ces gangs criminels de se réfugier en Israël même et voulait les abandonner, jusqu’à ce que Netanyahu parvienne à modifier les lignes de retrait du plan Trump et à garder plus de 58 % de Gaza entre les mains d’Israël.

Abu Shabab a alors continué à bénéficier d’une protection, Israël trouvant utile à cette milice de poursuivre la guerre par d’autres moyens.

Jusqu’à présent, cela a consisté à provoquer des conflits civils, à orchestrer l’effondrement de la société, à mener des assassinats, des opérations d’espionnage, des enlèvements et des opérations de type « coup de poing » sur le terrain, tandis qu’Israël bombardait depuis les airs.

Le bras armé officieux d’Israël dans le génocide de Gaza

Au cours des derniers mois, Israël a encouragé la formation d’autres gangs similaires à celui d’Abu Shabab à Rafah dans le reste de la bande de Gaza. Husam al-Astal à Khan Younis, Ashraf al-Mansi à Beit Lahia dans le nord et Rami Heles dans l’est de Gaza dirigent désormais chacun un groupe financé, armé, hébergé et protégé par Israël dans les 58 % du territoire de Gaza qui sont entièrement dépeuplés et contrôlés par l’armée israélienne.

Ces gangs ne sont pas apparus spontanément. Depuis mai 2024, l’agence israélienne Shin Bet et l’armée israélienne identifient et recrutent des criminels et des fugitifs recherchés par les autorités, en particulier ceux qui se sont échappés de prison après le 7 octobre, comme Abu Shabab.

Israël a artificiellement regroupé ces individus en leur promettant le pouvoir, l’argent, des armes, des véhicules, des maisons et les luxes dont les Gazaouis sont privés, comme la nourriture, l’eau, les cigarettes et les téléphones.

Israël utilise ces gangs à quatre fins principales : provoquer une famine à Gaza en lâchant des militants pour piller 90 % des convois d’aide humanitaire sous la protection de l’armée israélienne ; provoquer l’effondrement de la société, le chaos et l’érosion de l’ordre civil ; mener des opérations pour le compte d’Israël ; et gérer les camps de Rafah dans lesquels Israël voulait parquer toute la population de Gaza.

Le recours à ces gangs permettrait à Israël de maintenir un déni plausible et d’externaliser la responsabilité de la famine ou du chaos à Gaza.

Cette tactique rappelle ce qu’Israël a fait au Liban en 1982, lorsqu’il a créé le groupe proxy de l’Armée du Sud-Liban (ASL) et l’a utilisé pour mener à bien le massacre de Sabra et Chatila, au cours duquel 3 500 Palestiniens ont été massacrés dans deux camps de réfugiés. La SLA s’est effondrée dès le retrait d’Israël du Sud-Liban, et ses membres ont soit fui vers Israël, soit été jugés pour trahison.

Israël a également facilité, de manière active ou passive, l’acheminement d’armes à feu, d’argent liquide, de véhicules et de munitions vers les grands clans de Gaza, dans le cadre d’une tactique simple consistant à diviser pour mieux régner et à épuiser les Palestiniens par des luttes intestines.

Lorsqu’elle quittait une zone pendant la guerre, l’armée israélienne laissait souvent derrière elle les armes à feu des militants du Hamas qu’elle avait tués, afin que les clans les trouvent et les récupèrent. Dans d’autres cas, Israël utilisait des intermédiaires pour fournir directement des armes ou de l’argent à ces clans.

Malgré le refus des clans d’agir en tant que mandataires, Israël pensait que les armer créerait un défi interne pour le Hamas.

La stratégie d’Israël se retourne contre lui

En juin, le journal israélien Yediot Ahronoth a admis que « le pari d’Israël sur la milice Abu Shabab était en train d’échouer ». La taille des gangs reste relativement modeste, quelques centaines de membres au mieux, et un nombre croissant d’entre eux se sont récemment rendus ou agissent désormais comme agents doubles au sein des milices.

Le recours par Israël à des gangs intermédiaires s’est retourné contre lui de deux autres manières cruciales. Premièrement, la popularité du Hamas à Gaza a commencé à remonter après l’émergence d’Abu Shabab et de ses « forces populaires », compte tenu de leur réputation notoire de trafiquants de drogue liés à l’EI et responsables du pillage de la grande majorité de l’aide humanitaire.

La crainte des gangs criminels et des collaborateurs qui dirigent Gaza a créé un effet de ralliement autour du drapeau qui a joué en faveur du Hamas, car celui-ci avait mis en place une « unité Arrow » chargée de traquer les membres des gangs.

La répression sécuritaire lancée par le Hamas après le cessez-le-feu vise à renforcer encore la popularité du groupe en se vengeant de ces gangs et en rétablissant la sécurité et l’ordre public.

Deuxièmement, ces derniers jours, le Hamas a confisqué des centaines d’armes à feu, des dizaines de véhicules et d’autres munitions, en plus des sommes importantes que l’Israël avait données aux gangs, aux clans, aux criminels et aux collaborateurs de Gaza. Cela a conduit la chaîne israélienne Channel 12 à admettre qu’Israël aidait involontairement le Hamas à regagner en puissance.

Le projet d’Israël pour les gangs

Dès l’annonce du cessez-le-feu, le Hamas a lancé une campagne visant à désarmer et démanteler différentes milices autour de l’enclave, mais les quatre principaux gangs israéliens ont tous été déplacés derrière la ligne jaune qui coupe Gaza en deux.

Tout Palestinien qui tente de franchir cette ligne est abattu par Israël à vue, et les médias israéliens admettent ouvertement que l’armée « garde » et protège ces gangs dans une « zone d’extermination » dépeuplée.

Ce n’est pas par loyauté ou par générosité qu’Israël consacre ses ressources militaires à la protection d’un groupe de hors-la-loi, de fugitifs et de collaborateurs. C’est plutôt parce que ces gangs sont encore utiles aux objectifs d’Israël.

Depuis le cessez-le-feu, Israël utilise ses gangs pour atteindre des zones de Gaza inaccessibles à l’armée, afin de recueillir des renseignements, de recruter davantage de collaborateurs et, surtout, de mener des assassinats et d’autres attaques avant de retourner dans la zone tampon. Cette réalité a été mise en évidence avec l’enlèvement et le meurtre de Saleh Jafarawi, un éminent militant gazaoui.

Depuis le début du cessez-le-feu, Israël utilise également les gangs pour alimenter le discours sur la guerre civile, qui présente les Palestiniens comme incapables de se gouverner eux-mêmes et nécessitant une intervention extérieure, afin de justifier la reprise des bombardements israéliens sous prétexte de « protéger les Gazaouis du Hamas ».

Israël pourrait également utiliser ses gangs pour mener une opération sous fausse bannière afin de justifier la reprise du génocide à pleine puissance. L’ancien officier du Mossad, Avner Avraham, a récemment déclaré que « l’idée créative » d’Israël pour faire échouer le cessez-le-feu pourrait être « que notre peuple envoie des missiles depuis l’intérieur [de Gaza] et que nous disions alors « oh, il y a un missile qui vient de Gaza », ce qui nous permettrait de [riposter] ». Il a ajouté : « Nous allons effacer Gaza ».

Enfin, Israël utilise désormais les gangs pour contourner la pression visant à reconstruire Gaza. Le gouvernement israélien a réussi à convaincre l’administration Trump que la reconstruction de l’enclave ne devait être effectuée que dans les 58 % contrôlés par Israël.

Mais ces zones sont entièrement dépeuplées, à l’exception de quelques centaines de membres de gangs et de leurs familles. Aucun Palestinien n’est autorisé à entrer dans ces zones, alors à qui cette reconstruction sélective et superficielle est-elle destinée ?

Cela signifie qu’Israël a l’intention de construire un village Potemkine, une façade extérieure pour faire croire au monde que la situation est meilleure qu’elle ne l’est en réalité, puis de l’utiliser comme prétexte pour justifier pourquoi deux millions de personnes devraient rester enfermées dans une zone inhabitable et régulièrement bombardées par les airs et attaquées au sol par des gangs.

Le Myanmar a utilisé une astuce similaire en 2023 pour blanchir son génocide des Rohingyas. Le gouvernement birman a construit deux « villages modèles » pour 314 familles rohingyas, avec de minuscules habitations dépourvues de salles de bain, de cuisines ou de moyens d’approvisionnement alimentaire, simplement pour dissimuler ses atrocités. Pendant ce temps, plus d’un million de Rohingyas sont toujours réfugiés au Bangladesh et dans les pays voisins.

Israël présentera le village d’Abu Shabab comme la preuve qu’il « aide les Gazaouis » et n’empêche pas la reconstruction, tout en rejetant la responsabilité des conditions de vie invivables qu’il impose à deux millions de Palestiniens enfermés dans l’autre moitié rasée de Gaza.

Israël ne se contente pas de mener une guerre, il met en scène un spectacle pour le monde entier, où des collaborateurs se font passer pour des leaders communautaires et où des villes fantômes sont présentées comme des « reconstructions ».

Derrière les barbelés et la propagande se cache une innovation sinistre dans la violence coloniale : la domination par procuration, la ruine par conception. Les gangs portent peut-être des keffiehs et des cartes d’identité palestiniennes, mais ils opèrent comme le bras armé officieux d’Israël, chargés non pas de gouverner, mais de rendre impossible la gouvernance et la cohésion sociale.

Si le monde adhère à cette illusion, il ne trahira pas seulement Gaza, il récompensera un plan de génocide qui cache sa main derrière des collaborateurs et des façades en béton.

Muhammad Shehada est un écrivain et analyste palestinien originaire de Gaza et responsable des affaires européennes chez Euro-Med Human Rights Monitor.

Traduction : AFPS

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