Édition du 10 décembre 2024

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Asie/Proche-Orient

Au Japon, des élections sans illusions

Le nouveau premier ministre, Shigeru Ishiba, nommé fin septembre, cherche une nouvelle légitimité dans des législatives prévues le 27 octobre. Pris entre les courants internes, une opinion sans illusions et une économie stagnante, il devrait être confirmé, mais affaibli.

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Pour la première fois depuis 2009, le Parti libéral-démocrate du Japon (PLD) pourrait perdre sa majorité absolue à la Chambre des représentants, la chambre basse du Parlement, lors des élections anticipées prévues le 27 octobre. Ce ne sont pas seulement les sondages qui le prédisent, mais le premier ministre nippon lui-même, Shigeru Ishiba, qui a déclaré que son objectif était d’obtenir une majorité avec son allié traditionnel, le Kōmeitō, un parti issu du mouvement bouddhiste japonais.

C’est pourtant Shigeru Ishiba qui a appelé ce scrutin anticipé après sa désignation surprise, dans un vote interne au PLD, comme premier ministre en remplacement de Fumio Kishida, en poste depuis 2021. Ce dernier avait dû démissionner mi-août après un scandale de corruption au sein du parti. Pour renforcer sa légitimité douteuse et effacer les effets de ces malversations, le nouveau chef du gouvernement a décidé de dissoudre la Chambre des représentants.

L’idée était d’incarner un « nouveau PLD » au pouvoir. Au Japon, ce parti a gouverné soixante-cinq des soixante-neuf dernières années, perdant le pouvoir deux fois seulement, très temporairement, entre 1993 et 1994 et entre 2009 et 2012. Les « alternances » se font donc aussi au sein même du PLD. Shigeru Ishiba a, sur le papier, tout pour représenter cette forme d’alternance.

Le premier ministre japonais Shigeru Ishiba, à Kagawa, le 16 octobre 2024. © Photo Makoto Kondo / The Yomiuri Shimbun via AFP

Pendant longtemps, il a été dans l’opposition interne au parti, notamment à Shinzō Abe qui, en 2012, l’avait battu pour la présidence du PLD. Fin septembre, il l’a emporté en outsider, et en défendant des positions originales, tant sur le plan économique, avec un soutien à la politique de resserrement monétaire de la Banque du Japon (BoJ), la banque centrale du pays, que sur le plan international, où il prônait une politique de réarmement agressif du Japon et la création d’un « Otan asiatique ».

Mais Shigeru Ishiba n’a remporté l’élection interne que grâce au rejet de sa principale concurrente, Sanae Takaichi, héritière autoproclamée de Shinzō Abe. Sa victoire a été courte et n’a pas été un vote d’adhésion des barons du parti à ses positions. Autrement dit, le nouveau premier ministre a une très faible base au sein même du PLD et il lui faut, en réalité, mener deux campagnes parallèles : une pour rassurer les rangs du PLD, l’autre devant les électeurs.

Équilibrisme

Le chemin est étroit. Dans son discours de politique monétaire devant la Diète, Shigeru Ishiba s’est montré extrêmement prudent, évitant de prendre des positions tranchées et d’annoncer quoi que ce soit de concret. Un signe qu’il lui faut trouver des équilibres internes délicats. Résultat : l’homme qui pouvait renouveler le PLD semble se contenter de se mettre dans les pas de son prédécesseur.

Un mode de scrutin mixte qui favorise le PLD

Le Parlement japonais s’appelle la Diète et est constitué de deux chambres : la Chambre des représentants et la Chambre des conseillers. C’est la première qui est renouvelée le 27 octobre et devant laquelle le gouvernement est responsable. Elle est élue pour quatre ans, mais fait régulièrement l’objet de dissolutions. La dernière chambre a été élue en 2021.

L’élection des 465 députés se déroule en une journée selon deux modes : un majoritaire et un proportionnel. 289 députés sont élus dans des circonscriptions selon un système majoritaire uninominal à un tour, sur le modèle britannique ou états-unien. 176 sièges sont ensuite répartis à la proportionnelle dans onze grands « blocs régionaux ». Chaque électeur dispose de deux bulletins de vote, un pour chacun de ces modes de désignation.

Le mode de scrutin et le découpage des circonscriptions favorisent très largement les aires rurales, traditionnellement conservatrices, ainsi que les grands partis, à commencer bien sûr par le PLD. En 2021, ce dernier a ainsi obtenu 55,7 % des sièges, soit 259 élus, avec 34,7 % des voix.

Autre signe de cette prudence, le nouveau premier ministre n’a exclu que douze députés du parti impliqués dans le scandale de corruption. Mais il n’a satisfait personne. Beaucoup d’élus PLD n’ont guère apprécié ces exclusions réalisées sur des critères opaques, tandis qu’une grande partie de l’opinion a jugé le « nettoyage » principalement cosmétique. L’image du PLD, même menée par Shigeru Ishiba, reste donc entachée par ce scandale dans l’opinion et cela va se traduire par un recul dans les urnes.

Sur le plan international, dès son arrivée au pouvoir, Shigeru Ishiba a, là aussi, dû mettre de l’eau dans son vin. Son idée d’Otan asiatique a été très fraîchement reçue dans la région et semble déjà plus ou moins enterrée. Et alors qu’il avait appelé à une « réponse dure » envers Pékin après la violation de l’espace aérien nippon par un avion de surveillance chinois, il s’est montré plus flexible lors de sa rencontre le 10 octobre avec son homologue chinois Li Qiang, prônant une « relation mutuellement bénéficiaire ».

Au reste, si le PLD doit compter sur son alliance avec le Kōmeitō pour obtenir sa majorité, il y a fort à parier que les bouddhistes profiteront de leur position clé pour peser davantage sur la politique étrangère. Traditionnellement, ce parti est opposé à la rhétorique nationaliste et à toute politique de réarmement massif. L’apaisement prôné par le premier ministre avec Pékin entre plutôt dans ce cadre.

L’absence de politiques économiques convaincantes

Cette volte-face se voit aussi sur le plan économique. Shigeru Ishiba a longtemps défendu un durcissement monétaire afin de sortir de la politique de taux négatifs dans laquelle la BoJ s’est engagée dans les années 2010 pour accompagner la politique de Shinzō Abe.

En mars 2024, la BoJ a relevé une première fois ses taux mais a, pour l’instant, mis en suspens de nouvelles hausses. Dès le 4 octobre, Shigeru Ishiba a déclaré que « l’économie japonaise n’était pas en mesure de supporter de nouvelles hausses de taux ». Ce commentaire a provoqué un vent de panique sur les marchés qui y ont vu l’annonce d’un changement de politique monétaire. Le yen a perdu 2 % en une journée, obligeant le premier ministre à corriger ses déclarations et à jurer qu’il accepterait les choix futurs de la BoJ. L’épisode a prouvé la confusion dans laquelle le leader du PLD mène cette campagne électorale.

De fait, Shigeru Ishiba semble avoir choisi la voie de la continuité avec son prédécesseur. Comme lui, il a promis, dans son premier discours devant le Parlement, de « mettre fin à la déflation », autrement dit à la logique de stagnation alliée à de l’inflation faible qui règne dans le pays depuis le début des années 1990. Car même si le Japon a connu un épisode inflationniste comme le reste du monde entre 2022 et 2023, la logique déflationniste continue de menacer avec la faiblesse des salaires réels et une croissance plus que jamais poussive.

Certes, le PIB japonais a nettement rebondi au deuxième trimestre avec une hausse trimestrielle de 0,8 %, mais il s’agissait largement d’un rattrapage après une baisse de 0,6 % au trimestre précédent. Et les derniers chiffres disponibles ne sont guère encourageants. Les exportations ont reculé de 1,7 % en septembre sur un an, effaçant la hausse de 1,1 % du mois d’août qui constituait le seul moteur de la croissance.

En réalité, en prenant un peu de recul, on constate que, malgré la méthode Coué du gouvernement précédent et de la BoJ, le pays reste dans une stagnation profonde. Le PIB du deuxième trimestre 2024 était ainsi supérieur de 0,2 % à celui du deuxième trimestre de 2019. Autrement dit, en cinq ans, il n’a quasiment pas bougé. On constate aussi que le PIB du deuxième trimestre 2024 est presque 10 % inférieur à ce qu’il aurait été si la tendance déjà faible des années 1994-2008 s’était poursuivie.

Une opposition éclatée

Compte tenu du mode de scrutin, un des avantages structurels du PLD dans les élections japonaises réside dans la division de l’opposition. Dans les années 2000, le Parti démocrate du Japon (PDJ) avait réussi à concentrer une grande partie des courants d’opposition et avait fini par remporter les élections de 2009. Mais après le désastre de la gestion du PDJ, marqué notamment par la catastrophe de Fukushima en 2011, il a perdu beaucoup de crédibilité.

Aujourd’hui, les héritiers du PDJ sont le Parti démocrate constitutionnel (PDC), plutôt social-libéral, et le Parti démocrate du peuple (PDP), plus conservateur et plus marginal. Le PDC n’a cependant jamais plus représenté une menace directe pour l’alliance PDJ-Kōmeitō. En 2021, le PDC a obtenu 99 députés et 20 % des voix au scrutin proportionnel. De son côté, le PDP a obtenu 2,4 % des voix et 11 sièges.

La tâche du PDC est encore rendue plus compliquée par l’émergence du Parti de l’innovation, appelé Ishin no Kai ou simplement Ishin, qui a obtenu 14 % des voix en 2021 et 41 sièges. Ce parti défend une ligne libertarienne et a réussi à s’implanter solidement dans la région de Kyoto et Osaka. Il refuse toute alliance avec le PDC, mais s’est récemment dit prêt à aider le PLD à gouverner, si besoin.

Enfin, le dernier grand parti japonais d’opposition est le Parti communiste du Japon (PCJ) qui, grâce à une évolution précoce d’indépendance vis-à-vis de Moscou et de Pékin, a réussi à conserver des positions fortes. En 2021, il a obtenu 6,8 % des voix et 11 sièges.

Les salaires n’ont pas réellement rebondi. Le salaire réel a reculé pendant vingt-six mois jusqu’en juin 2024 et, après deux mois de hausse modeste, il a, à nouveau, baissé en août. Sans surprise, la demande des ménages est donc atone. La croissance dépend très largement des entreprises exportatrices, lesquelles sont sous la pression du ralentissement de leur principal marché, la Chine. Ces dernières ont donc déjà fait savoir qu’elles préféreraient freiner les hausses de salaires. Et déjà, la dernière proposition des syndicats dans les négociations salariales pour les grandes entreprises a été plus modeste qu’attendu.

Face à cette situation, la BoJ est prise au piège. Est-il temps de resserrer encore les taux alors que l’économie reste aussi fragile ? Faut-il, au contraire, maintenir un soutien monétaire et budgétaire ? Le faux pas de Shigeru Ishiba trahit les doutes qui, en réalité, sont ceux de tout le monde au Japon.

Faute de mieux, le nouveau premier ministre en est donc réduit à s’en remettre aux mêmes recettes qu’auparavant. Shigeru Ishiba, qui avait tant critiqué la politique de Shinzō Abe, a donc annoncé ce que tout nouveau premier ministre doit annoncer : un plan de relance.

L’arme de la relance semble émoussée, comme l’arme monétaire

Sa taille sera annoncée après l’élection, ce qui est, là encore, la preuve de la prudence extrême et du flou que la nouvelle administration entretient. Mais on sait déjà que son originalité sera de se concentrer sur le développement régional. Ce n’est certainement pas une mauvaise idée dans la mesure où l’essentiel de la faible croissance nipponne se concentre dans les métropoles, laissant les régions plus modestes et isolées à l’abandon.

Mais il n’empêche : l’arme de la relance semble émoussée, comme l’arme monétaire. Entre 2021 et 2023, les trois plans réalisés par Fumio Kushida se sont élevés à 188 000 milliards de yens, soit environ 116 milliards d’euros. Sans effets de reprise notable sur la productivité et la croissance. Et c’est ainsi depuis trente ans.

C’est la raison pour laquelle la dette publique est la plus importante du monde : elle atteint 255 % du PIB. Ce niveau s’explique aisément : l’action publique a certes garanti d’éviter un effondrement, mais elle n’a pas permis de redresser la croissance.

Dans ce contexte, Shigeru Ishiba marche sur des œufs. La BoJ normalisant sa politique monétaire, le taux d’intérêt de la dette japonaise va remonter. La charge de la dette pourrait donc venir alourdir la facture et affaiblir le pays à terme, sauf si, cette fois, la relance fonctionne. Mais cette hypothèse semble très hasardeuse : le Japon est une économie structurellement vieillissante, peu productive. Une économie qui dépend trop de son secteur exportateur, lequel a besoin d’un yen faible et de salaires réels comprimés, donc d’une demande intérieure anémique.

Le Japon est donc pris dans des injonctions contradictoires. Comme l’illustre l’appel du nouveau premier ministre à mettre fin à la déflation, sans réellement avoir de solutions concrètes à mettre en œuvre. On comprend donc le peu d’enthousiasme des Japonais devant la proposition de Shigeru Ishiba.

Mais l’opposition est extrêmement divisée et s’est largement discréditée par ses expériences de gestion passées. Le PLD devrait donc garder le pouvoir avec l’appui du Kōmeitō ou, dans le pire des cas, du parti libertarien Ishin. Shigeru Ishiba gardera donc son poste.

L’essentiel est ailleurs. Ni le PLD, ni l’opposition, ni même la BoJ ne semblent aujourd’hui en mesure de régler les problèmes fondamentaux de l’économie japonaise. Les autorités naviguent à vue, tentant d’éviter les écueils les plus évidents. Mais le Japon, tombé à la quatrième place économique mondiale l’an dernier, reste un paquebot à la dérive.

Romaric Godin

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