Édition du 23 avril 2024

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Le mouvement des femmes dans le monde

Avortement, les femmes décident !

tiré de :[CADTM-INFO] BULLETIN ÉLECTRONIQUE - Mardi 19 septembre 2017

14 septembre par Sonia Mitralias

Avortement, les femmes décident ! C’est le mot d’ordre phare d’une campagne européenne pour le droit à l’avortement libre, sûr et gratuit, lancé par des féministes belges, françaises et polonaises. Cette campagne appelle à des mobilisations partout en Europe vers le 28 septembre. Pourquoi ce nouveau combat ?

Cette initiative européenne a la volonté de prendre le relais des mobilisations des féministes espagnoles en 2014 et des polonaises en 2016 pour garantir le droit à l’avortement. Elle s’inscrit, ne l’oublions surtout pas, dans la dynamique de l’immense “Marche des femmes” sur Washington le 21 janvier 2017 aux États-Unis contre l’investiture du sexiste Trump à la tête de la présidence.

La “Marche des Femmes” a été la plus grande mobilisation que l’histoire des États-Unis ait jamais connue ! Elle avait entraîné des millions de gens et avait suscité un mouvement de solidarité bien au-delà des États-Unis. Une multitude de mouvements sociaux de masse étaient là, mais les revendications des femmes étaient centrales et beaucoup de groupes, qui s’engagent sur les questions des droits pour l’avortement, les droits sexuels et reproductifs, contre les mesures liberticides, machistes et homophobes, étaient au cœur de ces mobilisations.

Et pour cause. La peur est là ! Tout le monde le sait, une véritable guerre est lancée contre ces droits et l’accès à ces droits. Et oui, une terrible offensive réactionnaire politico-idéologique menace ces libertés et l’avortement, d’ailleurs garanti par la Cour Suprême (par l’arrêt « Roe. v. Wade » rendu légal en 1973), est en danger de mort.
JPEG - 142.8 koLa Marche des Femmes
En voyant les images de la ”Marche des Femmes” dans les médias, ces visages joyeux qui déferlaient par millions, ces personnes contentes d’être ensemble, qui chantaient, dansaient, scandaient, dont la majorité étaient des femmes de toutes les races, religions, minorités ethniques, immigrées, travailleuses, chômeuses, ma première impression était : Voilà ! Le mouvement féministe, le vrai, l’authentique est là, il est de retour ! Jamais, depuis les années 60-80, quand le combat pour les droits reproductifs et sexuels était le fer de lance du nouveau féminisme, je n’avais ressentie cela, même pas pour les mobilisations féministes dans le cadre du mouvement altermondialiste quand je militais en Grèce et en Europe avec la Marche Mondiale des Femmes de 2000-2010.

Pendant des années on entendait plein de discours antiféministes, affirmant que le temps du féminisme est dépassé, qu’il n’y a pas de condition féminine commune, ni d’oppression commune, seulement une multitude de situations d’oppressions. Toutes les analyses en termes collectifs et les actions communes étaient mises de côté. Ces approches, celles du postféminisme, très en vogue en Grèce, nient l’idée que la lutte féministe basée sur un projet politique commun était possible.

Ces mobilisations nous donnent du courage et des ailes pour aller de l’avant !

Donc, le mouvement féministe américain est de retour et en pleine ascension, deux victoires de taille au niveau gouvernemental et politique central ont été remportées en Europe par les féministes en Espagne et en Pologne, tout cela est-il néanmoins suffisant ?

Je pense, que non ! La situation est des plus dangereuses et la réaction la plus rétrograde prend du poil de la bête partout dans le monde, nous perdons a vue d’œil tout ce qui a coûté des années de luttes pour être obtenu, nous devons donc réagir et agir d’urgence !

Pourquoi opter pour le mot d’ordre « Avortement, les femmes décident » ?

“Un enfant si je peux, quand je veux, comme je veux !”, ce mot d’ordre de la deuxième vague du féminisme garde toute sa fraîcheur et toute sa radicalité et est complétée aujourd’hui par le mot d’ordre : “Avortement, les femmes décident” : Voyons un peu ce qui se passe de par le monde. Aux États-Unis par exemple, et plus précisément en Arkansas, un projet de loi vient d’être mis en place. Il s’agit d’un ensemble de lois qui réduisent les droits des femmes à disposer librement de leur corps. Les femmes auront désormais besoin de la permission des hommes, elles ne pourront plus avorter sans l’accord du géniteur. Le projet de loi ne fait pas exception pour les victimes de viol, même si c’est le mari le violeur. En cas de décès du fœtus, les membres de la famille doivent se mettre d’accord sur ce qu’ils souhaitent faire du corps et cela inclut les fœtus avortés. Dans le cas de mineures, ce sont les parents qui doivent décider si oui ou non leur fille se fera avorter.

Franchement, tout cela n’est-il pas un retour au patriarcat ?

Quels défis pour les droits reproductifs ?

Il y a un tas de défis : pour les unes, il s’agit d’acquérir un nouveau droit comme à Chypre, Malte, Andorre. Pour les autres, là où l’avortement reste totalement illégal, il s’agit de le légaliser ou dans le cas de l’Irlande et du Portugal où il est très restrictif, de l’élargir. Pour nous toutes, il s’agit de garder ce droit, ce qui a été réussi avec la victoire exemplaire de nos amis/es espagnoles quand l’offensive du gouvernement du Parti Populaire de Rajoy était destinée à restreindre encore plus la déjà très limitée loi d’interruption volontaire de grossesse avec une législation encore plus restrictive que celle de 1985 ! Et enfin, il s’agit de récupérer un droit essentiel que les femmes n’auraient jamais dû perdre, comme par exemple au Chili et en Pologne.

En Pologne, c’est vraiment impressionnant : l’avortement était illégal jusqu’à ce qu’une loi de 1932 l’autorise pour raisons médicales. C’est en 1956 qu’une nouvelle loi a conduit à sa libéralisation dans la Pologne d’alors. Après la chute du régime du “socialisme réellement existant”, une nouvelle loi très restrictive a été votée en 1993. Mais c’est le projet de loi présenté le 23 septembre 2016 et qui voulait imposer que toute femme qui avorterait ou toute personne qui pratiquerait un avortement serait criminalisée et passible d’une peine de cinq ans de prison, qui a fait déborder le vase. Comme nous le savons, le 3 octobre, 140 000 “ femmes en grève” ont manifesté à travers tout le pays, vêtues de noir, pour demander l’abandon de ce projet et ont vaincu… pour l’instant !

Le Chili aussi, a pu dépénaliser très partiellement l’avortement cet été, après… vingt-huit ans d’interdiction la plus totale ! En effet, après que l’avortement thérapeutique avait existé durant un demi-siècle, à partir de 1931, il a été totalement interdit en 1989, à la fin de la dictature militaire (1973-1990) du général Augusto Pinochet.

Mais, le défi majeur reste celui d’affronter les politiques et les mesures d’austérité néolibérales qui limitent l’accès aux services de santé sexuelle et reproductive dont l’avortement légal, sûr et surtout gratuit, fait partie.

Pourrais-tu nous donner des exemples ?

Les politiques néo-libérales sont une misère pour les corps des femmes et se tournent contre leur autonomie ! Elles s’attaquent de manière globale à leur autodétermination de leur capacité reproductive, surtout par la désagrégation de l’État social et la privatisation des services de santé.

Avoir un enfant est devenu un privilège pour les riches dans la Grèce des mémoranda. Des dilemmes impossibles sont imposés aux parents par les mesures d’austérité inhumaines imposées comme nous le savons, par la Commission Européenne et ses alliés.

Beaucoup de femmes surtout pauvres, jeunes, immigrées, réfugiées... des femmes, même sans enfants, qui souhaiteraient rester enceintes au moins pour une première fois sont réellement forcées d’arrêter leur grossesse pour des raisons purement économiques.

Réduction spectaculaire des naissances, augmentation du nombre d’avortements, parfois dans des conditions très précaires et dangereuses, (bien que officiellement l’avortement est légal depuis 1986) contrôle prénatal inadéquat, augmentation des embryons morts... voilà les conséquences tragiques de ces politiques de coupes des dépenses pour la santé. En plus, le démantèlement du système public de santé, la fermeture d’hôpitaux, la réduction du personnel (surtout féminin), tout cela combiné aux privatisations de ces services désormais payants, en rendent l’accès très difficile.

En Grande-Bretagne, un autre exemple pernicieux de l’austérité : une nouvelle législation a été adoptée qui ne permet l’attribution des prestations (à partir de 2017) qu’aux familles à seulement deux enfants. S’il y a un 3e enfant, la seule façon d’accéder aux prestations sera de démontrer que l’enfant est né à cause d’un viol de la mère. C’est atroce ! La mère doit signaler le viol, faire face à un tribunal et avoir la preuve du viol pour accéder aux prestations. Il s’agit essentiellement d’une loi qui pénalise les femmes pauvres qui ont plus de 2 enfants.

Mais, pourquoi, le droit de décider d’enfanter ou pas, ainsi que d’avoir la sexualité que l’on désire est une question majeure qui ressurgit sans cesse dans l’histoire ? Pourquoi cette rage et ses passions ?

Oser revendiquer le droit absolu de choisir, de faire ce qu’on veut de son propre corps, d’oser la liberté de décider soi-même d’enfanter ou pas, d’avoir la sexualité que l’on désire, est un acte que les réactionnaires de tous poils, l’église catholique, les états totalitaires et fondamentalistes, considèrent comme un acte de désobéissance contre l’ordre des choses… c’est un sacrilège contre l’ordre établi !

Et pourquoi tout ça ? Parce que le patriarcat est fondée sur la détention de l’autorité par les “hommes”. Il s’agit d’un vrai système, d’une organisation sociale et institutionnelle dans laquelle « l’homme » exerce le pouvoir dans le domaine politique, économique, idéologique et détient aussi le rôle dominant au sein de la famille patriarcale traditionnelle. Ce pouvoir patriarcal s’imbrique avec d’autres dominations, exploitations, inégalités comme les dominations raciales, ethniques, de classe, d’âge, de compétences et d’orientation sexuelle. Dans des situations de crises extrêmes du pouvoir politique et de polarisation de la société comme c’est le cas aux États-Unis d’aujourd’hui, tout comme dans beaucoup d’autres pays du monde, le libre choix des femmes de décider elles-mêmes comment disposer de leur corps devient une question explosive ! Pourquoi ? Parce que étant susceptible de mettre en question la hiérarchie du masculin et du féminin elle peut engendrer une dynamique contre les autres hiérarchies, en commençant par celle de la domination de ceux d’en-haut contre ceux d’en-bas. Cette liberté de décider de son corps fait peur, elle est considérée être un acte de révolte contre tous ces rapports de pouvoir.

L’acharnement des obscurantistes et autres réactionnaires de tout poil contre les lois qui garantissent le libre accès à une grossesse non désirée, constitue aussi un acte revanchard. C’est un acte symbolique de restauration de l’ancien ordre emblématique de la victoire de la contre-révolution, un acte d’infamie, imposée aux vaincus, aux prisonniers, aux esclaves, tout comme l’étaient la tonte des cheveux et les viols des femmes républicaines effectués par les fascistes de l’état franquiste espagnol pour humilier les démocrates.

De plus, l’abolition du droit à l’avortement est l’emblème idéologique de la droitisation la plus extrême d’une aile des partis de la droite traditionnelle, traversée par une profonde crise d’identité. C’est aussi le ciment avec lequel les radicaux de droites se regroupent. C’est pour cela que cette revendication a été mise dans le programme politique du Parti populaire (PP) de Mariano Rajoy et des Républicains de Donald Trump.

En somme chaque victoire remportée pour imposer le droit à l’accès libre, sûr et gratuit sera une victoire non seulement pour les féministes, mais pour tous ceux et celles qui croient à l’émancipation humaine.

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