Édition du 23 avril 2024

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Arts culture et société

Célébré par les opposants de Poutine, l’Oscar du documentaire “Navalny” ignoré à Moscou

Le long métrage de Daniel Roher consacré à la tentative d’empoisonnement de l’opposant russe Alexeï Navalny a été sacré meilleur documentaire aux Oscars. Une récompense saluée par la presse d’opposition et en exil russe, mais largement boudée par les pouvoirs publics.

Tiré de Courrier international. Légende de la photo : Le réalisateur Daniel Roher, en compagnie notamment de la femme d’Alexeï Navalny, Ioulia, et de ses deux enfants, Daria et Zakhar, reçoit l’Oscar du meilleur documentaire, le 13 mars 2023. Photo : Patrick T. Fallon/AFP

Il n’est sûrement pas aisé d’être un critique de cinéma dans la Russie de Vladimir Poutine au lendemain de l’édition 2023 de la cérémonie des Oscars à Hollywood. Comment parler de ce qui est probablement l’événement le plus attendu de l’année sans toutefois mentionner que le prix du meilleur documentaire a été décerné à un film relatant le destin du principal opposant du régime, Alexeï Navalny ? Ce dernier croupit en prison, le plus souvent à l’isolement, depuis deux ans.

En mars 2022, il a été condamné à une peine de neuf ans pour “escroquerie”, un verdict largement vu en Russie comme une vengeance personnelle du maître du Kremlin à son égard.

Parler des Oscars sans parler de Navalny : le quotidien Moskovski Komsomolets (MK) semble néanmoins avoir réussi cette gageure. Dans un long article consacré aux lauréats des Oscars de 2023, ce journal populaire proche du pouvoir parle bien évidemment du triomphe d’Everything Everywhere All At Once de Daniel Kwan et Daniel Scheinert, du prix du meilleur acteur (décerné à Brendan Fraser), du prix du meilleur scénario, du meilleur film en langue étrangère, etc. Mais on n’y trouve pas une seule ligne sur Navalny. MK regrette pourtant que deux films dans lesquels on retrouve des “thèmes russes”, The Fabelmans, de Steven Spielberg et Tár, de Todd Field, n’aient pas eu les honneurs qu’ils méritaient.

Un film qui ne sera certainement jamais montré en Russie

Le journal se réjouit aussi de la nomination, dans la catégorie des courts métrages, de Haulout, d’Evguenia Arbougaeva et Maxim Arbougaev, deux Russes originaires d’Iakoutie, qui se sont préoccupés dans leur film du réchauffement climatique. “Evguenia et Maxim ont participé à la cérémonie des Oscars, ont parcouru la piste des étoiles dans d’élégants costumes noirs et ont donné une grande interview sur leur travail. Nous avons de quoi être fiers”, conclut Moskovski Komsomolets.

En revanche, le documentaire éponyme sur Navalny n’est pas un motif de fierté pour le reste de la presse moscovite. Pas un mot sur les paroles de sa femme, Ioulia, venue récupérer le prix à sa place, de la présence de ses enfants et du discours du réalisateur Daniel Roher, regrettant sa présence. Seul le grand quotidien économique Kommersant se hasarde à publier une photo, sans faire de commentaire sur le sujet. La liste des condamnations en justice d’Alexeï Navalny y figure en bonne place à côté d’une courte présentation du film.

L’Oscar que ce documentaire vient de recevoir figure, en revanche, en bonne et due place dans la presse russe d’opposition et en exil. Il est à la une des sites des services en russe de la BBC et de Radio Free Europe/Radio Liberty, et cette dernière publie également un long entretien du réalisateur qui rend hommage à un Alexeï Navalny aussi “courageux” que “charismatique”.

Le site d’opposition Meduza, dont les journalistes ont dû s’exiler à Riga, en Lettonie, n’est pas en reste. Dès le 26 janvier, jugeant que ce film “ne sera certainement jamais montré en Russie”, Meduza prenait la peine de le raconter dans un (très) long article à ses lecteurs.

À l’autre bout de l’Union européenne, à Sofia, en Bulgarie, c’est l’enquêteur de Bellingcat Christo Grozev, qui a joué un rôle essentiel dans la révélation de l’implication du FSB dans la tentative d’empoisonnement de Navalny, qui est célébré. Le quotidien populaire 24 Tchassa rappelle que Grozev, qui est recherché par la justice russe, n’a pas pu se rendre à la cérémonie des Bafta à Londres parce que les services du pays craignaient un attentat contre lui.

“Un film a un bien meilleur impact que n’importe quelle enquête publiée dans la presse, estime-t-il. Et, grâce à ce prix, au moins 20 millions de personnes supplémentaires verront Navalny et apprendront que le régime actuel en Russie pratique l’élimination physique de ses opposants, ce qui constitue un contexte supplémentaire à la guerre actuelle”, conclut Grozev.

Alexandre Lévy

Alexandre Lévy

Journaliste au Courrier international.

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