Tiré de Entre les lignes et les mots
Pourquoi les femmes n’ont-elles pas d’enfants ? C’est la question que tout le monde se pose alors que le taux de fécondité atteint un niveau historiquement bas en Angleterre, en Écosse et au Pays de Galles. Un ensemble de réponses est toujours avancé, allant des plus sensées (coûts liés à la garde d’enfants et au logement ; pénalité professionnelle liée à la maternité) aux plus absurdes (être tellement inconscientes de notre propre fertilité que nous nous réveillons un jour en réalisant qu’il est trop tard). Mais peut-être est-il temps de se demander non seulement « pourquoi les femmes n’ont-elles pas d’enfants ? », mais aussi « pourquoi les hommes n’en ont-ils pas ? ».
Les hommes sont largement absents du débat sur le taux de natalité. Il est ironique que, parmi toutes les déclarations pontifiantes et les idées politiques visant à encourager davantage de femmes à avoir des enfants – une discussion souvent menée par des hommes –, l’autre moitié de l’humanité soit remarquablement peu prise en compte. Une partie du problème réside dans l’absence de données : comme beaucoup de pays européens, nous ne disposons pas vraiment d’informations sur la fertilité masculine. Sans données, nous n’avons qu’une vision partielle de la situation.
Que savons-nous donc ? Eh bien, nous savons que la crise du taux de natalité n’est pas vraiment due au fait que les personnes ont moins d’enfants, mais plutôt au fait que beaucoup moins de personnes deviennent parent·es. Comme l’a récemment écrit le démographe Stephen J Shaw, le nombre de personnes sans enfant est en augmentation, même si la plupart des personnes continuent de dire qu’elles veulent des enfants. Il a souligné que l’absence d’enfants non planifiée – ou l’infertilité involontaire pouvait souvent s’expliquer par le simple fait de ne pas trouver le bon partenaire. Cela semble logique au vu de ce que l’on appelle la « récession relationnelle » ou le « fossé entre les sexes ». Les individu·es ne se mettent tout simplement plus en couple comme avant.
La statistique inquiétante citée par Shaw est qu’une Britannique qui aurait atteint l’âge de 28 ans sans enfant en 2023 n’aurait que 50% de chances de devenir mère. Ce qu’il ne se demande pas, c’est ceci : si la plupart des femmes souhaitent toujours avoir des enfants, qu’advient-il des partenaires masculins appropriés et disposés à les avoir lorsque les individus atteignent la fin de la vingtaine et la trentaine ?
Le Dr Joe Strong, démographe et chercheur à l’université Queen Mary de Londres, m’explique que les couples hétérosexuels ont tendance à être plus proches en âges, contrairement au passé et que les hommes diplômés de l’université reportent également le moment d’avoir des enfants. « Les données recueillies auprès d’hommes et de femmes en couple montrent que l’une des principales raisons du report de la maternité est l’attente que les deux partenaires soient prêt·es », explique-t-il. « Les décisions ne sont pas prises dans l’abstrait ; le report de la paternité par les hommes est lié aux énormes obstacles économiques et sociaux auxquels les femmes sont confrontées. »
Cela fait écho aux sentiments exprimés par les hommes à qui j’ai parlé. Parmi ceux qui étaient en couple et voulaient des enfants (il y en avait quelques-uns qui n’en voulaient tout simplement pas), attendre que leur partenaire féminine soit prête ou ait établi sa carrière était un facteur important, tout comme l’accès à la propriété. Pour ceux qui étaient célibataires, il s’agissait de trouver quelqu’une avec qui ils étaient sûrs de vouloir fonder une famille, dans une pratique sociale de rencontres qui ne semble pas toujours propice à cet objectif.
Tom, la trentaine bien avancée, voulait avoir des enfants avec son ex, avec qui il a été pendant plusieurs années, mais elle ne voulait pas d’enfants avec lui. Maintenant qu’il est célibataire, il ne parle pas d’« horloge biologique » (même si les hommes en ont aussi une), mais d’« horloge psychologique ». « On n’a pas une éternité pour apprendre à connaître quelqu’un suffisamment bien afin de savoir au fond de soi si l’on veut passer le reste de sa vie à élever un enfant [avec cette personne] », m’explique-t-il.
Il y a aussi l’aspect financier. Tom touche le revenu universel depuis qu’il a perdu son emploi. « Est-il encore possible, d’un point de vue matériel et financier, d’avoir un enfant ? Je ne le pense pas. Je ne pense pas que cela soit envisageable dans un avenir proche », dit-il. Il n’a pas les moyens de payer le logement et la garde d’enfants nécessaires pour élever un enfant en ville, et déménager signifierait s’éloigner de la communauté d’ami·es et de la famille dont tout le monde a besoin lorsqu’on devient parent.
Strong note que « la précarité croissante du marché du travail signifie qu’il est plus difficile pour les hommes de répondre aux attentes sociales qui leur imposent de « subvenir aux besoins » de leur famille. Il était autrefois beaucoup plus facile de se lancer dans le monde adulte : le logement et le coût de la vie étaient plus abordables, les emplois souvent nombreux. Avoir un enfant à 25 ans, par exemple, alors que l’on vivait de manière indépendante depuis l’âge de 18 ans, semblait peut-être plus normal qu’aujourd’hui, et certainement plus faisable lorsqu’on n’avait pas besoin de deux revenus pour subvenir aux frais de logement. Si l’on vit encore chez ses parent·es ou en colocation et que l’on souffre d’une dépression paralysante, il est peu probable que l’on songe à avoir des enfants, surtout si l’on a à peine les moyens de sortir boire un verre.
Au-delà des circonstances économiques, cependant, il y a eu un changement fondamental dans la façon dont nous percevons le fait d’avoir un enfant. Ce qui était autrefois un événement « fondateur » dans la vie – quelque chose que l’on faisait en entrant dans l’âge adulte – est désormais un événement « aboutissement », c’est-à-dire quelque chose que l’on fait après avoir atteint tous les autres objectifs de la vie. Sauf que ces objectifs semblent de plus en plus difficiles à atteindre.
« Il n’existe pas d’explication unique pour les décisions des hommes en matière de fertilité », souligne Strong. « Les décisions concernant le fait d’avoir des enfants ou non et le moment de les avoir varient énormément selon les contextes et les groupes démographiques. » Il s’agit d’un débat complexe qui nécessite des solutions nuancées. Nous devons en savoir plus sur tous les facteurs qui influencent la fertilité masculine et le taux de natalité, de la culture moderne des rencontres amoureuses et de la pornographie au logement, en passant par la crise de la santé mentale masculine et la consommation de cannabis. Si vous avez entre 20 et 39 ans, vous avez probablement souvent ce genre de discussions avec vos proches. C’est mon cas, en tout cas. Leur absence du débat n’en est que plus frappante.
Rhiannon Lucy Cosslett
Rhiannon Lucy Cosslett est chroniqueuse au Guardian.
https://www.theguardian.com/commentisfree/2025/sep/21/women-children-men-housing-mental-health
Traduit par DE
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