Édition du 16 avril 2024

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International

Chine-USA : le clash est à venir

La rencontre récente entre le Président Obama et le Dallai Lama, chef « spirituel » des Tibétains a fortement irrité Beijing. Pourquoi le chef d’état étatsunien tenait-il à irriter la Chine en ce moment ? Cela peut sembler paradoxal.

Après tout, la Chine est en passe de devenir la deuxième puissance économique du monde et le principal « partenaire » commercial des États-Unis. L’État chinois détient des milliards de dollars en obligations du gouvernement états-unien. Des centaines de multinationales états-uniennes sont établies en Chine et font des affaires d’or. Est-ce qu’Obama n’est pas celui qui scie la branche sur laquelle il est assis ?

Une histoire de conflits

Avant d’examiner la situation actuelle, il convient de rappeler l’histoire conflictuelle qui existe entre les deux pays. Au moment de son effondrement au début du vingtième siècle, la Chine était la proie des puissances occidentales qui pensaient procéder au dépeçage d’un empire en déperdition. La Grande-Bretagne, la France, l’Allemagne et le Japon se taillaient des enclaves dans les régions côtières en s’appuyant sur les divers seigneurs de la guerre qui mettaient le pays à feu et à sang. Dernier arrivé dans l’univers du colonialisme, les États-Unis étaient peu présents. Mais ils cherchaient également à se faufiler en Asie (conquête des Philippines en 1898). Leur « moment » vint au moment de la Deuxième Guerre mondiale lors de la confrontation avec le Japon. En se déployant partout en Asie et en remportant sur le Japon une victoire décisive, les États-Unis entendaient faire du Pacifique un « lac américain ». En Chine, cette stratégie fut cependant mise à mal. Leur allié privilégié, le Guomingtang, fut battu à plate couture par le Parti communiste chinois en 1948. Réfugié à Taiwan, ce Guomingtang fut traité par Washington comme le gouvernement »légitime » de la Chine contre la République populaire de Mao. En 1950, la Chine et les USA furent à deux doigts de la guerre nucléaire lors de l’affrontement en Corée. Par la suite lors des conflits subséquents au Vietnam et dans d’autres pays du sud-est asiatique, un très haut niveau de conflictualité subsista entre les deux États.

L’essor économique de la Chine

Au début des années 1970 toutefois, Beijing et Washington décidèrent de faire la paix. Les deux puissances avaient un objectif commun, soit d’affaiblir l’Union soviétique, alors au faîte de sa force. Cette reconnaissance mutuelle coïncida avec le virage de la politique économique chinoise et son ouverture au reste du monde. Par contre, cette ouverture fut décidée et planifiée par l’État chinois, et non imposée ou « gérée » par les États-Unis via des institutions comme le FMI, comme cela était la « règle » dans le reste du monde. De facto, la Chine est alors devenue le principal récipiendaire des investissements étrangers dans le monde et d’une certaine façon, l’« atelier du monde », selon l’expression consacrée. Après l’implosion de l’URSS dans les années 1990, ce statut de superpuissance économique s’est confirmé. Au rôle d’atelier s’est alors ajouté celui de créditeur, la Chine devenant de facto une puissance financière. Par la suite, l’influence de la Chine, surtout en Asie mais ailleurs dans le monde également, s’est accentuée. À travers divers accords bilatéraux et sa participation dans l’ASEAN, la Chine est en train d’ériger une sorte de bloc économique asiatique, certes très lié au marché capitaliste mondial que dominent encore les États-Unis, l’Union européenne et le Japon (la « triade » selon Samir Amin), mais agissant sur ses bases propres. Récemment, cette puissance chinoise s’est affirmée dans et par la crise, la Chine résistant mieux que les pays de la triade aux chocs financiers, et se déployant davantage dans le reste du monde via de nouvelles alliances avec l’Inde, le Brésil, la Russie (les « BRIC »).

Convergences et confrontations

Le poids de la Chine est tel maintenant que la « stabilité » économique du monde capitaliste en dépend. On voit mal les États-Unis se passer des investissements chinois qui permettent au trésor de maintenir les niveaux du dollar. Encore moins de nuire aux entreprises états-uniennes en Chine qui comptent pour une bonne part des exportations (et donc de la génération de revenus) chinoises. Pourtant, les conflits se multiplient. Dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), la Chine est devenue le principal obstacle à la mise en place d’une certaine mondialisation qui espère confiner la Chine (et les BRIC) dans le cadre de la présente division internationale du travail où les leviers essentiels de la finance et de la technologie doivent rester dans les mains de la triade. Par ailleurs, l’État et les secteurs financiers états-uniens voudraient « libéraliser » le secteur financier de la Chine ce qui leur permettrait de l’envahir et de miner la Chine dans le cadre de l’économie-casino dont Wall Street est le chef d’orchestre. En bref, les États-Unis veulent continuer de faire des affaires avec la Chine, mais ils ne sont pas confortables avec la construction d’une puissance économique agissant pour son compte, pire encore, qui vient jouer sur « leurs » terrains en Asie, en Afrique, en Amérique latine. Cette peur de voir la Chine surclasser les États-Unis peut sembler irrationnelle, tant est grand l’écart qui subsiste entre les deux pays. Pourtant selon les projectionnistes, la Chine pourrait devenir numéro un avant la fin du siècle, si et seulement si …

Le grand jeu

Or voilà qu’entre en scène une autre dynamique. Les stratèges de l’impérialisme observent cette tendance depuis un certain temps déjà. Le problème d’ailleurs n’est pas uniquement la Chine, mais un ensemble d’États, disposant d’atouts économiques, technologiques, démographiques, militaires, qui pourraient éventuellement accélérer ce que plusieurs appellent déjà le grand « déclin » de l’empire américain. Encore là, ce sont des projections. Mais en fonction d’un nombre considérable d’indicateurs agrégés, les États-Unis sont effectivement menacés dans leur hégémonie. Cependant, ils conservent encore des actifs considérables. Au tournant des années 1990, les think-tank de droite avaient mis sur la table la nécessité de répondre à ce défi et d’assurer aux États-Unis l’hégémonie sur le monde. Un réseau en particulier, le New American Century Project, a finalement occupé une grande place, en influençant les débats et en exportant ses cadres vers les administrations de Clinton et surtout de Bush. En gros, leur perspective était de maintenir cette hégémonie en capitalisant sur un terrain où les États-Unis sont dans une classe à part, soit le terrain militaire. Au milieu des années 1990 donc (sous l’administration Clinton) fut amorcé un important virage vers le renforcement des capacités militaires. Avec Bush et surtout après les évènements du 11 septembre 2001, cette remilitarisation connut un bond sans précédent. Les forces militaires états-uniennes, qui dépensent presque deux milliards de dollars par jour, se sont déployées partout, en érigeant une vaste toile de bases et d’interventions militaires. Cette concentration s’est surtout activée au Proche-Orient et en Asie centrale, deux régions censées être l’épicentre de la « guerre sans fin » contre le terrorisme. Après l’invasion de l’Irak et de l’Afghanistan et les attaques contre les Palestiniens perpétrées par l’« allié stratégique » (Israël), cette guerre sans fin ne cesse de s’étendre et se retrouve maintenant à la porte de l’Iran, du Pakistan et de bien d’autres pays de la région. Ce « grand jeu », selon l’expression de l’ancien conseiller à la sécurité Zbigniew Brzezinski, vise plusieurs objectifs en même temps :

  Assurer aux États-Unis le contrôle de zones stratégiques disposant des principales réserves énergétiques du monde
  Faire en sorte que les flux de ces ressources vers l’Asie et vers l’Europe soient « gérés » par les États-Unis, et non par les pays importateurs ou exportateurs eux-mêmes (dont la Chine évidemment).
  Construire au cœur de l’Eurasie un dispositif militaire permanent capable d’intervenir partout et donc de bloquer l’avancée d’adversaires actuels et potentiels.

L’ennemi

Dans cette vision stratégique, la Chine n’est pas seulement un « partenaire » commercial, mais un adversaire, une puissance qui prend trop de place et qui continue d’augmenter sa puissance. Certes, ce n’est pas demain que les Marines vont débarquer à Beijing, d’autant plus que les forces militaires états-uniennes, malgré leur suprématie, ont connu de sérieux déboires à Bagdad ou à Kaboul. Mais la tactique est différente et peut ressembler à ce qui s’est fait pour provoquer l’implosion de l’URSS. D’une part, il s’agit de piéger la Chine à s’investir dans toutes sortes de conflits « secondaires ». D’autre part, le but est de « grignoter » la Chine dans ses territoires en marge, surtout là où subsistent des contradictions, voire des conflits à nature ethnique, comme cela est le cas au Tibet ou encore au Xinxiang, cette province excentrée où une population turcophone et musulmane habite un immense territoire rempli de pétrole. Par ces diverses manœuvres, les États-Unis espèrent que la Chine, forcée de se militariser (le budget militaire est en hausse mais représente un pourcentage plutôt bas des dépenses de l’État), va s’affaiblir, incapable de compétitionner avec les États-Unis dans ce domaine. Certes, la « dislocation » de la Chine demeure un « rêve » lointain pour Washington, car le Parti communiste chinois a bien compris le « jeu » et ne commettra pas les mêmes erreurs que l’Union soviétique.

Guerre de position

À long terme cependant, cette confrontation pourrait s’envenimer. Aussi est-il important de « maintenir la pression » sur la Chine, ce qui implique de cultiver des « alliés » comme le Dalai Lama. En Chine et dans la plupart des pays du tiers-monde, cette manœuvre apparaît comme grossière. Mais pour l’opinion occidentale, c’est une opération intéressante. La Chine devient un autre ennemi de la liberté et de la démocratie. Les Tibétains, les Géorgiens, les Kosovars, les Kurdes et d’autres peuples opprimés et colonisés deviennent autant de pions puisque l’objectif réel n’est pas de les appuyer, mais de les utiliser pour miner l’adversaire, contrairement à d’autres peuples opprimés qui, malheureusement pour eux, sont du « mauvais côté » (les Palestiniens en premier lieu). On assiste alors à diverses opérations s’inscrivant dans une perspective de longue durée, et qui agissent sur divers plans (militaire, médiatique, économique, culturel). L’État chinois devant cela n’est pas seulement une victime, il répond à sa manière (entre autres en empêchant l’isolement de l’Iran).

En quoi cela nous concerne ?

De loin, on pourrait dire que tout cela ressemble à une bataille de superpuissances qui ne nous concerne pas. Mais rappelons-nous l’adage : quand les éléphants se battent, ce sont les fourmis qui souffrent. Les grandes confrontations entre Empires se font effectivement sur le dos des peuples. Aux États-Unis et au Canada, la remilitarisation s’effectue dans une offensive contre les peuples, ici et ailleurs. Mais l’équation peut être retournée. Lors des grands affrontements passés entre puissances (Première et Deuxième Guerre mondiale), il y a eu des avancées du côté des peuples. En s’affrontant, ces puissances se sont affaiblies. Ici et là, des « maillons faibles » sont apparus, ouvrant la voie à des victoires, voire à des révolutions importantes (dont celle de la révolution chinoise notamment). Les forces de gauche doivent donc être attentives. Il ne s’agit surtout pas de se subordonner à l’une superpuissance contre l’autre. Mais peut-on penser autrement ? Comment cependant utiliser les contradictions de l’adversaire ? Voilà la question à $64 millions.

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