Édition du 26 mars 2024

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Europe

Construire l’éco-syndicalisme

La lutte contre les inégalités sociales et écologiques forme un seul et même combat. Faire face à la crise écologique mondiale engendrée par le capitalisme nécessite que les peuples s’impliquent dans cette lutte, notamment contre le dérèglement climatique. C’est pourquoi, en France, nous devons construire une nouvelle alliance sociale capable de se lier avec les racisé·es dans les quartiers populaires, de s’unir aux populations des villes moyennes qui se sont soulevés avec les Gilets Jaunes, de se joindre aux travailleurs·ses et à leurs organisations.

29 décembre 2021 | tiré de contretemps.eu

Si les écologistes ne font pas cet effort, ils resteront cantonnés dans leur zone de confort : les centres villes et les classes moyennes à capital culturel élevé. Si l’alliance entre le Comité Adama, le Front des Mères et Alternatiba est une avancée pour l’écologie dans les quartiers populaires, si les marches pour le Climat et les manifestations des Gilets Jaunes ont pu dans une certaine mesure converger, la liaison avec les organisations syndicales commence aussi à évoluer dans le bon sens. La crise actuelle est une crise systémique globale, à la fois économique, financière, écologique, sanitaire. La globalité de cette crise nous oblige à repenser la question syndicale. C’est la perspective que ce texte propose.

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Durant le premier trimestre 2021 l’année de 2021, les salariés de Total Grandpuits ont lutté contre un plan de licenciements menaçant 700 emplois sous le prétexte de conversion aux énergies renouvelables. Ce n’est pas le seul endroit en France où la lutte contre les licenciements est à l’ordre du jour. Mais la spécificité de la lutte de Total Grandpuits est dans la convergence entre le mouvement ouvrier et le mouvement écologiste : pour la première fois, le greenwashing utilisé par Total pour légitimer son plan de licenciements a été dénoncé de concert par la CGT, les amis de la Terre et Greenpeace. L’instrumentalisation du discours sur les nécro-carburants, que l’on fait passer pour des énergies renouvelables est insupportable pour les ouvriers et pour les écologistes.

Pour la première fois un plan de reconversion écologique est élaboré de façon commune. Ce tournant est décisif car le patronat et l’Etat qui, depuis toujours opposent économie et écologie, emploi et environnement, croissance et décroissance choisie, sont confrontés à un front commun entre les raffineurs et le mouvement écologique.

Pour la première fois, la stratégie de Total qui d’Afrique en Asie, de Birmanie au Mozambique, de la raffinerie de la Mède à celle de Grandpuits est mise à nue par les organisations syndicales, les ONG écologistes grâce à l’auto-organisation des raffineurs dans un comité de grève qui crée les conditions d’une convergence entre cols bleus et cols verts.

D’autres luttes comme celle de la Chapelle Darblay ont été soutenu par les organisations syndicales et écologistes. A cet égard, la constitution de « Plus Jamais ça » qui regroupe la CGT, Solidaires, la FSU, Oxfam, Greenpeace, les Amis de la Terre, Alternatiba , le DAL… est une étape importante parce que ce regroupement incite au débat et à la convergence entre écologie et syndicalisme et qu’il permet des convergences locales. Mais il faut aller plus loin et développer dans le mouvement syndical l’écosyndicalisme.

L’écosyndicalisme a une histoire

Celui-ci a une histoire ensevelie. L’écologie est présente dans le mouvement ouvrier dès sa naissance. L’effacement des ouvriers en tant que classe a rendu invisible leurs aspirations mais l’idée selon laquelle les ouvriers auraient toujours considéré la question de l’environnement et de l’écologie comme étrangère à leurs aspirations est fausse. L’écologie ouvrière a toujours été présente en première ligne. Les luttes en Andalousie autour des mines de Rio Tinto, ou en Angleterre les grèves des femmes contre la céruse dans les usines textiles avaient marqué les esprits pour une raison simple : dès les débuts de la révolution industrielle, la classe ouvrière sait intuitivement que sa survie est en jeu. D’abord par les conséquences du machinisme, ensuite par l’apparition des maladies professionnelles comme la silicose ou celles liées au plomb, l’amiante, le phosphore… qui la touche directement, enfin dans les conséquences sur l’écosystème urbain qui entoure les usines et les mines dans lesquels les ouvriers, leurs familles et leurs proches vivent. Si on a oublié les luttes et les mouvements qui ont dès le début forgé l’histoire du mouvement ouvrier mais aussi de l’écologie, c’est que ce mouvement réel a été enseveli sous l’idéologie productiviste qui a préempté la conscience de classe à travers l’imposition d’un marxisme mal digéré. Plus tard, les expériences du socialisme réel ont contribué à installer cet imaginaire productiviste tandis que l’expérience des Trente Glorieuses confortait cette idée qu’hors de la croissance, pas de salut. L’écologie apparaissait comme ennemi de l’emploi et du salaire ouvrier, perçue comme un des chevaux de Troie de la bourgeoisie pour les détourner de leur combat. Elle ne pouvait être dans son essence même qu’une affaire de bobos, un luxe pour bourgeois éclairés. Les partis verts pourtant souvent issus de la gauche radicale ont conforté ces idées en se concentrant sur des sujets périphériques aux préoccupations ouvrières. La lutte contre l’amiante qui aurait due par exemple être une de leurs mobilisations prioritaires était sous-traitée aux intéressés (CGT et ANDEVA). Le quiproquo s’installait durablement entre écologie politique et mouvement ouvrier malgré quelques voix discordantes ici ou là comme celle de Félix Guattari. Il y a donc eu une construction sociale d’un imaginaire politique qui contredisait l’expérience du mouvement ouvrier, celle de sa défense face aux conditions de travail, de ses victoires (médecine du travail, création des CHSCT, Sécurité sociale, lois sur les risques industriels…). Avec le déclin des partis communistes, l’apparition des nouvelles générations ouvrières dans les années 1970 (la lutte des ouvriers de Pennaroya contre le plomb par exemple), et les catastrophes industrielles se multipliant, une insubordination ouvrière se manifestait contre les « dégâts du progrès » et remit en cause la modernisation productiviste dans plusieurs secteurs. Ce furent là aussi les catégories les plus exploitées qui se soulevèrent. Au début des années 1980, aux États-Unis, elles inventèrent la notion de justice environnementale et d’écologie de libération, à travers la lutte contre les discriminations sociales, ethniques et environnementales qu’elles subissaient de plein fouet, notamment dans les banlieues ouvrières de Chicago et Détroit.

L’émergence de l’écosyndicalisme

Aujourd’hui, l’idée s’impose de plus en plus fortement que le syndicalisme doit s’adapter aux mutations du mode de production et de consommation. Nous en sommes à la quatrième révolution industrielle marquée par la numérisation et le changement climatique. Le syndicalisme doit mettre au centre de son action l’éco-syndicalisme qui peut se définir comme la prise en charge de l’écologie dans toutes ses dimensions par le syndicalisme et inversement comme l’intégration par l’écologie de la défense des intérêts des travailleurs. L’éco-syndicalisme vise à faire émerger un courant d’idée parmi les syndicalistes conscients des enjeux sociaux écologiques quelles que soient leurs confédérations. Parmi ces enjeux, ceux de la relocalisation des activités économiques et de l’emploi, de la reconversion écologique de l’économie, de la pollution industrielle touchant tant les salariés que les riverains (santé environnementale), de la crise climatique engendrée par les conséquences du productivisme sont parmi les plus importants. L’éco-syndicalisme revendique une approche anticapitaliste de la transition. Par exemple : l’extension du secteur public (les transports publics gratuits par exemple), l’expropriation du secteur fossile (condition d’une transition rapide vers les renouvelables), la réduction radicale du temps de travail, sans perte de salaire (condition pour concilier décroissance de la production et emploi). En résumé l’éco-syndicalisme défend à la fois les intérêts collectifs des travailleurs et ceux de l’humanité et de la Nature.

Fin du mois, fin du monde même combat !

Les marches pour le climat et le mouvement des Gilets Jaunes ont changé la donne. Les combats pour la justice sociale et la justice environnementale sont indissociables : fin du monde, fin du mois même combat ! Désormais l’écologie n’est plus le domaine réservé des classes aisées des centres ville mais concerne d’abord toutes celles et tous ceux qui en sont les premières victimes : salariés, chômeurs, paysans, précaires, retraités, travailleurs pauvres… L’une des leçons de la lutte des Gilets jaunes en France, mouvement social déclenché en réponse à la hausse des prix du carburant et pour protester contre l’injustice fiscale, est que la « transition écologique » ne doit pas être payée par la classe ouvrière et les secteurs populaires. Face à la crise environnementale, il faut que les capitalistes paient pour la pollution qu’ils engendrent et non l’inverse. D’AZF à Lubrizol, le cas des usines Seveso installées au cœur des villes montre l’étendue de la menace. C’est dans les entreprises que nous affrontons les conséquences du productivisme : amiante, pollution chimique, air pollué, ondes électromagnétiques, énergie nucléaire… Ce sont d’abord les ouvriers qui meurent des cancers professionnels liés aux produits chimiques… C’est dans les entreprises de services que les nouvelles maladies liées au stress et à l’intensification du travail, au harcèlement psychique et à la course à la rentabilité se traduisent par la souffrance au travail qui va jusqu’aux suicides : ouvriers, employés cadres du tertiaire, nous sommes tous pressurés et jetés dès lors que nous ne sommes plus performants en regard des critères de rentabilité… Ce sont les salariés du commerce qui subissent les effets de temps partiels imposés, d’univers sonores abrutissants, ceux de l’agriculture, qui sont les premières victimes des dangereux produits phytosanitaires ou des nitrates. Alors même que la médecine comme l’inspection du travail sont de plus en plus marginalisées, alors que Macron a imposé la suppression des CHSCT, nous devons affronter chaque semaine de nouvelles mesures qui aggravent nos conditions de vie et de travail tout en nous jetant dans la précarité. C’est dans et à partir les entreprises que nous devons porter les revendications et les luttes concernant la santé et l’environnement, l’organisation du travail, la redistribution des richesses et du partage capital travail, la démocratie dans l’entreprise.

Nous ne pouvons pas nous satisfaire de la seule résistance au système capitaliste. Les luttes contre la privatisation des services publics, les plans de licenciements et les délocalisations sont décisives mais elles doivent se traduire par des propositions de rupture avec le mode de développement, de production et de consommation, fondé sur le productivisme. Le vieux dogme de la croissance pour la croissance comme seul horizon à la lutte du mouvement social est en crise. Le syndicalisme tout en privilégiant la défense des intérêts immédiats des salariés ne peut faire l’impasse sur les conséquences des dégâts du productivisme et de la fin programmée des ressources naturelles et des biens communs. Seule une rupture écologique avec l’économie et la société de marché permettra d’avancer de combattre efficacement le chômage et d’améliorer les conditions de vie et de travail. Nous ne protégerons pas les travailleurs si l’économie tout entière n’est pas réorientée vers un autre mode de production fondé sur une décroissance choisie, sur un système de transport et un aménagement du territoire basé sur la démétropolisation, sur une agroécologie qui rompt avec l’industrie agro- alimentaire, sur une industrie non polluante et utile socialement.

Nous nous devons de poursuivre le débat entre l’écologie politique et le syndicalisme. Il est possible de construire une alternative positive à la crise sur la base de propositions sociales écologistes : travailler tous et autrement pour vivre mieux, revenu minimum et maximum, contrats de reconversion industrielle, notamment dans la branche de l’automobile et des industries carbonées, contrôle des usagers, des riverains et des salariés sur l’organisation du travail et les risques industriels, relocalisation des activités, redistribution des richesses, création de millions d’emplois verts non délocalisables, soutien aux initiatives d’économie solidaire, réduction massive du temps de travail, défense et développement des services publics sont autant d’axes essentiels qui peuvent et doivent être débattues sur les lieux de travail. La question de l’énergie doit être également mise en débat. Si le projet Hercule a reculé sous la pression conjointe des syndicats et des forces sociales et politiques, cette mobilisation n’a pas tranché, loin de là la question du nucléaire qui continue à être une pierre d’achoppement entre le syndicalisme et notamment la Fédération de l’énergie CGT, très implantée dans le secteur du nucléaire, et les écologistes. Ce débat ne doit pourtant pas nous empêcher de nous saisir des multiples pratiques de transformation écologique du travail et de la société pour en finir avec la culture productiviste issue de la tradition de la gauche traditionnelle. Nous devons mutualiser et faire connaître les expériences des coopératives ouvrières, des réseaux de surveillance et de prévention contre les cancers professionnels et les accidents du travail, des nouveaux collectifs de travail « ubérisés », des luttes dans les secteurs des déchets, du nettoyage, des entreprises carbonées ou chimiques, dans les biocoop, confrontées directement aux conséquences de la crise écologique et des pollutions industrielles. L’expérience de la Confédération Paysanne sera aussi précieuse, ce syndicat paysan ayant été depuis longtemps à l’avant-garde de la réflexion et de la lutte face à l’emprise de l’agro-alimentaire sur l’agriculture. La Confédération Paysanne est l’exemple même d’un syndicat qui a fait sa mue écologique.

C’est pourquoi la mise en place d’un réseau éco-syndical permanent doit être mis à jour dans l’ensemble des confédérations et surtout dans les sections syndicales de base. C’est ce qu’une quinzaine de militants syndicaux de la CGT, Solidaires, FSU ont débattu aux rencontres d’été de PEPS en décidant de lancer un appel dans ce sens. Ce réseau devra être le levier d’un débat public sur la question écologique dans le mouvement syndical et plus généralement dans le monde du travail. Il ne se substituera pas aux directions confédérales, ni ne constituera un sous–courant. Il ne cherchera pas à créer un nouveau syndicat « écologiste » comme souhaite le construire le Printemps écologique qui n’ajouterait qu’à la division syndicale. Le réseau écosyndicaliste sera un espace d’initiatives, de débat, de rencontres et d’échanges, de circulation d’informations, de soutien aux luttes sociales écologiques et d’action.

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Patrick Farbiaz est militant de « Pour une Ecologie Populaire et Sociale « (PEPS) et l’un des initiateurs de l’appel pour un réseau éco-syndicaliste publié en octobre 2021 et qui a tenu sa première réunion le 13 novembre dernier.

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