Édition du 16 avril 2024

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Élections québécoises 2012

Débat des chefs et la transparence des enjeux...

Des débats ne peuvent que laisser dans l’ombre nombre d’enjeux. Mais, lorsqu’on veut esquiver les bilans, que l’on refuse de définir clairement ses intentions et qu’on cherche à discréditer les adversaires, les débats ne révèlent pas l’essentiel. Dans ce cadre, une intervention marquée par la franchise, la clarté et l’ouverture est rafraichissante et est bien accueillie. C’est là le fondement de l’accueil positif de l’intervention de Françoise David dans ce débat.

Françoise David s’est présentée comme une porte-parole des mouvements sociaux, des démuni-e-s.

Elle a été, en effet, une porte-parole remarquable de Québec solidaire. Elle a su au fil de ses interventions et par ses attitudes dans le débat présenter clairement les enjeux sociaux les plus importants auxquels fait face la société québécoise : la reprise en mains de nos richesses naturelles, la défense du caractère public de notre système de santé, l’accessibilité des jeunes du Québec aux études, la lutte pour une nouvelle répartition de la richesse, la défense de l’environnement, l’élargissement de la démocratie citoyenne et le lien entre notre projet de société et l’indépendance du Québec. Elle a ainsi montré que Québec solidaire ne s’inscrit pas dans une logique de l’alternance d’équipes de l’oligarchie au pouvoir, mais que c’est une véritable alternative politique qui cherche à inscrire son action dans le cadre d’une logique de transformation sociale dans l’intérêt non des privilégiés, mais de la majorité de la société. C’est pourquoi même des personnes qui ne soutiennent pas Québec solidaire se sont senties représentées par elle dans ce débat. C’est parce qu’elle a éclairé les enjeux en ouvrant des horizons sur de nouvelles perspectives que son apport aux débats a été aussi rafraîchissant et reconnu comme tel. La qualité de sa présence prend tout son relief quand on la compare aux autres protagonistes de ce débat.

Pauline Marois, rétablir l’alternance

Pauline Marois a présenté la prise du pouvoir par le PQ d’abord et avant tout comme la nécessité de chasser le gouvernement Charest et d’en finir avec la corruption. Elle a insisté sur sa compétence personnelle pour accomplir ces tâches et sur la compétence de l’équipe qui l’entourait. Elle s’inscrivait par là d’abord et avant tout dans une logique de l’alternance. Quand elle a été interrogée par Françoise David sur l’exploitation du pétrole dans le golfe St-Laurent, sa réponse a été évasive. On a finalement compris qu’elle était ouverte à une telle exploitation dans la mesure où seraient prises des mesures de sécurité adéquates et que cela se ferait dans les intérêts économiques du Québec. Ses propos n’avaient rien de rassurant face au développement des énergies fossiles au Québec. Les sensibilités écologistes ont sans doute été fort secouées. Mais l’importance, dans la logique de l’alternance, ce n’est pas de défendre des convictions précises, c’est d’établir des cibles suffisamment floues pour que le plus grand nombre d’électeurs et d’électrices s’y retrouvent.

Sa réponse à la question sur la stratégie qu’elle défend pour l’accession du Québec à la souveraineté a aussi été très confuse. Elle a présenté des initiatives pour renforcer l’autonomie du Québec au fédéral, sans rien préciser d’autre. En cherchant à rassurer et en refusant d’identifier les obstacles à surmonter et les luttes à mener pour obtenir l’indépendance du Québec, elle a sans doute laissé un goût amer aux indépendantistes sur les reports d’échéance que Pauline Marois laisse déjà soupçonner. Face aux critiques de Jean Charest sur les politiques de déficit zéro de Lucien Bouchard, elle devait esquiver la critique et chercher à faire oublier les conséquences désastreuses des politiques du gouvernement péquiste en santé... Pauline Marois n’a pu convaincre réellement qu’un gouvernement du Parti québécois pouvait être le porteur de réelles espérances de transformation sociale. Ceux et celles dont la mémoire n’ est pas trop défaillante se rappelleront qu’il ne faut pas se fier aux paroles, mais aux gestes, surtout quand ce sont des paroles de campagne électorale. Le goût de voter pour ses convictions, au-delà de toute considération stratégique, est sans doute revenu à plusieurs après des propos exprimant des convictions taillées sur mesure pour ratisser large... dans l’espoir d’un retour rapide au pouvoir.

Jean Charest, demeurer le premier ministre de ses petits amis

Jean Charest a ouvert le débat en apportant une réponse à la question, pourquoi être premier ministre. Et à sa question, nous avons en notre fors intérieur, répondu : par amour du pouvoir. Le ton était donné. Jean Charest est apparu comme retors et en grande partie inatteignable. Il a manifesté cette distance et cette froideur qui ont caractérisé son attitude face à un mouvement étudiant qui a permis une avancée politique à la société québécoise ce qu’a été le printemps érable. Il a osé encore nous resservir ses attaques visant à réduire le mouvement étudiant à la violence et au désordre, alors que son caractère massif, démocratique, créateur et déterminé va marquer positivement la société québécoise à un niveau dont nous n’avons pas encore mesuré l’ampleur. Jean Charest a esquivé toutes les questions portant sur la corruption de son gouvernement en essayant de tirer de la boue sur les autres partis et particulièrement sur Parti québécois. L’usure de son gouvernement, sa corruption et la force de l’insatisfaction de la population enlevait toute crédibilité à son retour au pouvoir comme porteur d’un avenir prometteur. Le plan Nord et le bradage des richesses, la privatisation en santé et la mise en place d’une médecine à deux vitesses, un système scolaire centré sur les besoins de l’entreprise privée et l’aggravation de l’endettement étudiant, l’exploitation du pétrole dans le golfe St-Laurent avec tous les dangers que cela représente pour l’environnement, la généralisation de la tarification des services publics et la baisse des impôts des plus riches... Ce sont ces politiques qui devaient rester dans l’ombre et qui ne devaient pas se révéler dans ces débats. Et c’est pour cette raison que Jean Charest a multiplié les escarmouches secondaires comme autant d’écrans de fumée.

François Legault ou la vocation de tout changer pour que rien ne change, sauf l’étendue de son propre pouvoir

Il a abandonné la souveraineté. François Legault a connu son chemin de Damas. Il classe cette perspective de libération nationale du Québec dans les cases des débats usés et non pertinents. Il ne dit pas un seul mot sur son ralliement au fédéralisme, mais il promet de voter non. Il égrène les promesses construites comme autant de réponses à des préjugés. Il va faire le ménage dans la construction... mais il ne remettra pas en cause les PPP, les privatisations et les coupures dans les services qupublics i, selon le rapport Duchesneau, sont le fondement de la perte d’expertise de l’État et une porte ouverte à la corruption. Il éliminera des fonctionnaires en abolissant les commissions scolaires et les régies de la santé, mais sans expliquer clairement comme seront réalisées les tâches que ces organismes accomplissent actuellement. Il dénonce les syndicats. Il affirme que Pauline Marois a les mains liées par ces derniers. Il veut introduire de nouveaux contrôles étatiques de leur fonctionnement. Il défend l’augmentation des frais de scolarité, et il ne dit mot de son soutien à la loi 78. En fait, c’est par son attitude de mépris des enseignants qu’il faut contrôler et évaluer régulièrement, des médecins généralistes qui n’assument par la charge de travail adéquate, par son penchant à présenter des solutions autoritaires et simplistes à des problèmes complexes, par sa volonté de reconstruire par en haut les institutions sans craindre la restriction des droits démocratiques, François Legault n’est guère rassurant. Son économie de propriétaires ne semble concerner que les membres de l’oligarchie en place...

Dans le débat des « chefs », Françoise David a fait preuve de transparence, d’ouverture sur les changements possibles et souhaitables pour la société québécoise ; l’intervention de Charest, Legault et Marois nous ont permis de voir ce que nous préparent ceux et celles qui croient que leur accès au gouvernement leur donne un mandat ouvert pour nous imposer ce qu’ils voudront bien dans les prochaines années.

Bernard Rioux

Militant socialiste depuis le début des années 70, il a été impliqué dans le processus d’unification de la gauche politique. Il a participé à la fondation du Parti de la démocratie socialiste et à celle de l’Union des Forces progressistes. Militant de Québec solidaire, il participe au collectif de Gauche socialiste où il a été longtemps responsable de son site, lagauche.com (maintenant la gauche.ca). Il est un membre fondateur de Presse-toi à gauche.

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