Édition du 23 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Déprovincialiser Québec Solidaire

On le sait, QS a été mis en place pour porter un « grand projet ». Le Québec dont on a osé rêver serait féministe, républicain, altermondialiste, indépendant. Tout un programme et toute une lutte ! Comme on l’a vu, ce projet a attiré beaucoup de monde, en regroupant des militants et des militantes de tous les horizons, et en devenant aux yeux d’une partie importante de la population une alternative aux vieux partis. De tout cela, on ne peut que se réjouir.

Maintenant que QS est assez bien établi à l’assemblée nationale, on a une autre réalité. QS est devenu un joueur à l’assemblée nationale. L’aile parlementaire se bat becs et ongles contre l’austéritarisme et l’aplaventrisme d’un gouvernement qui gère l’insupportable statu quo. De cela aussi, je me réjouis.

Ces deux réalités de QS, d’une part porteur d’un « « pour transformer la société, d’autre part, être la voix critique pour faire bouger l’édifice nauséabond du pouvoir, font maintenant partie du décor. On ne peut qu’avancer dans ces deux réalités en même temps.

Mais voilà que surgit un problème, pour ne pas dire une tension. La scène politique autour de l’Assemblée et de l’énorme appareil médiatique qui y est attaché est, en même temps un espace pour lutter, est aussi un marécage. C’est un système pensé à l’origine et fait pour gérer le statu quo. C’est son code génétique d’être un éteignoir qui répète à l’infini : « on ne peut rien faire ! » On s’entend alors que d’apporter dans ce contexte une autre voix est tout un défi !

À cela s’ajoute un autre sérieux obstacle. Le Québec n’est pas, contrairement à la vision populaire, un véritable État, un État souverain. Toutes les entourloupettes des pseudo gouvernants qu’on a eu et qu’on aura ne change rien au fait que d’un point de vue politique et légal, la « province de Québec » est une administration fonctionnant à l’intérieur d’un « vrai » État, en l’occurrence le Canada.

Les « vrais » pouvoirs résident à Ottawa en ligne avec le projet antidémocratique qui a pris forme en 1867. Ceci n’est pas simplement une question abstraite : qui décide des grandes orientations macro-économiques (la politique monétaire par exemple), au cœur de tout le processus ? Qui gère l’appareil militaire ? Qui contrôle les leviers de la politique extérieure dont les retombées politiques, économiques et écologiques sont immenses ? Poser ces questions, c’est d’y répondre.

Je ne veux pas dire que les débats à l’assemblée nationale sont insignifiants. Ce que je veux dire est que, dans la structure actuelle, des questions fondamentales, qui en fin de compte régissent nos vies, sont à peu près absentes des débats, et pire encore, des capacités d’agir du Québec comme province.

On voit donc le défi pour QS à l’assemblée nationale. Les 10 Solidaires ne peuvent pas rester à l’écart des débats tels qu’ils sont contraints dans les limites que l’on connaît. En même temps, QS ne peut accepter d’être « provincialisé ».

Tout en confrontant la malgestion actuelle et en faisant des propositions pour améliorer la situation, il faut parallèlement confronter ce système. Et c’est pourquoi, QS ne peut pas être seulement un parti parlementaire.

Parlons d’un exemple concret. Tout le monde le sait, il y a une crise multiforme en Haïti, qui atteint un seuil de gravité énorme. Au Québec, les retombées se présentent à plusieurs niveaux : l’immigration, les mauvaises conditions dans lesquelles une grande partie de cette communauté haïtienne-québécoise est confinée, etc. C’est de cela dont il est question à l’Assemblée nationale et qu’Andrés Fontecilla avec ses collègues ont soulevé à plusieurs reprises.

Mais l’ampleur de la crise dépasse ce cadre. Une insurrection populaire est en cours, avec les jeunes haïtiens au premier plan, et toute une galaxie de mouvements populaires et progressistes. Il y a un projet qui s’ébauche. Il y a également une lutte contre une dictature sanguinaire appuyée par les États-Unis, et ne l’oublions pas, le Canada.

C’est justement une situation qui oblige QS à se déprovincialiser, à prendre partie pour le mouvement populaire, contre la dictature, contre la malheureuse ingérence du Canada. Ce qu’on peut faire à l’assemblée nationale, c’est minimalement d’en parler, même si les autres partis dans leur médiocrité systémique vont dire que cela « ne les concerne pas », que c’est en dehors de leur « juridiction.

En même temps, la solidarité urgente et nécessaire avec Haïti doit se faire « dans la rue », avec les organisations concernées, avec les jeunes à Montréal-Nord et ailleurs, avec les mouvements de solidarité internationale.

Je suis convaincu qu’une action plus vigoureuse et plus audacieuse à ce niveau (pour Haïti, mais aussi pour le Liban, la Palestine, l’Amérique latine, la Catalogne, etc.) serait doublement bénéfique : d’une part pour raffermir le « grand projet » qui est à la base de tout, d’autre part pour envoyer un fort message à la population (dont celle qui est davantage préoccupée parce qu’originaire de ces pays) que QS parle haut et fort pour dénoncer une situation qui se passe à quelques milliers de kilomètres d’ici, mais qui nous implique comme société.

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