Édition du 16 avril 2024

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États-Unis

Des millions sympathisent avec Bernie Sanders. Et après ?

Solidarity 8 octobre 2015 | traduction PTAG

Pourquoi tant de gens sont-ils attirés par la campagne de Bernie Sanders ? Il se présente lui-même comme socialiste. Il a gagné le soutien de millions de personnes. Plus de 100 000 personnes ont été suffisamment motivées pour assister à 3 500 réunions dans 50 États. En juillet, août et septembre Sanders a attiré des foules immenses à Minneapolis, Denver, Madison, Phoenix, Council Bluffs, Phoenix, Seattle (12.000), Portland, Maine, Portland , Oregon (20.000), Los Angeles (27 000) et Boston (de 25 à 30,000 environ). À la fin de septembre, il avait reçu des dons de 650 000 personnes, en petits dons principalement, en trois mois seulement, soit autour de 25,5 millions $. Sur le front de l’emploi, il a tenu une conférence téléphonique de 26 000 membres des syndicats en septembre, dont 1 350 sont devenus des bénévoles travaillant à sa campagne.

Tout cela, ce n’est pas parce que Bernie Sanders est un démocrate. Il a passé cinq mois seulement de sa carrière politique de 43 ans comme membre effectif de ce parti. Dans le Parti démocrate aujourd’hui, il reste un outsider isolé, aucun des principaux dirigeants ne l’a encouragé, il n’a bénéficié d’aucun soutien politique. Bien que Sanders tienne des caucus avec les Démocrates et qu’il vote presque toujours avec eux, contre les Républicains. Avant sa course à l’investiture démocrate, il était devenu célèbre comme le plus ancien membre indépendant au Congrès.

Il a introduit des législations pour un salaire minimum fédéral à 15 $ de l’heure, pour la gratuité des frais de scolarité, et pour la régulation financière dont les dirigeants d’entreprise liés au Parti démocrate ne voulaient rien savoir. Nous sommes en désaccord avec le silence relatif de Sanders sur la guerre et le budget militaire, mais, quelles que soient ses faiblesses, celles-ci ne le rendent pas acceptables pour la direction démocrate. Sanders a le meilleur bilan pour ce qu’il a voté au Congrès selon l’AFL-CIO, l’American Civil Liberties Union, l’Organisation nationale pour les femmes (NOW), et la NAACP. Mais cela n’explique pas la vague de sympathie pour « Berne » - beaucoup de ses partisans n’ont jamais été impliqués dans des organisations politiques traditionnelles. Certains sont démocrates, certains sont indépendants, certains ne votent pas.

Sanders a attiré des foules de dizaines de milliers de personnes.

Ce que les partisans de Bernie ont en commun, c’est qu’ils sont enthousiasmés et soulagés de trouver, pour une fois, un candidat pour lequel ils ne devront pas se boucher le nez pour voter. Ils ont dépassé l’idée qu’il fallait voter soit pour le moindre mal représenté par Hillary Clinton soit pour les Républicains de droite. Ils en ont assez de n’avoir que ce seul choix. De nombreux partisans de Sanders méprisent la politique cynique de Clinton. Ils soutiennent Sanders parce qu’ils le voient parler pour les exclus de la société. Alors qu’Hillary Clinton siégeait au conseil d’administration de Walmart, Bernie Sanders marchait sur les lignes de piquetage des syndicats. Aujourd’hui, il se solidarise avec les travailleurs et les travailleuses luttant pour 15 $ de l’heure, contre la dette étudiante et pour la formation de nouveaux syndicats. Il exige de sortir l’argent des entreprises de la vie politique ; il plaide pour des soins de santé universels et pour une université libre. Et il a été amené par le Black Lives Matter à faire une déclaration forte contre le racisme institutionnel et la violence de la police.

Il s’insurge contre la montée de l’insécurité, ce qui ne devrait pas exister- et cela alimente la campagne de Sanders. Nous pouvons voir cet enthousiasme comme la poursuite, sur le terrain électoral, du mouvement Occupy Wall Street qui a surgi en 2011, le mouvement qui a fait de la question des inégalités, une question prioritaire. Le message d’Occupy a changé le débat public au niveau national. Aujourd’hui, Sanders parle pour les 99%, et l’esprit d’Occupy insuffle le mouvement de Sanders comme président. Il a incorporé les revendications d’Occupy dans une plate-forme centrée sur la justice économique et contre "la classe des milliardaires."

Le soutien du monde du travail à Sanders se développe

Les partisans de Bernie Sanders dans les syndicats contestent le soutien de longue date, incontestée, et pratiquement inconditionnel de l’establishment syndical à la direction et à l’organisation du Parti démocrate. Lorsque le président Randi Weingarten et le conseil exécutif du syndicat des enseignants ont approuvé Clinton sans qu’il n’y ait eu la moindre discussion entre les membres, des milliers de membres de l’AFT ont protesté. Dans un autre syndicat enseignant, le NEA, une approbation rapide à Clinton a déclenché une tempête similaire dans les bases. Dans la Fraternité internationale des ouvriers en électricité (IBEW), les militantEs ont obtenu qu’il n’y ait pas un ralliement rapide à une candidature présidentielle.

Le groupe "Syndicats pour Bernie", (Labor for Bernie) a organisé une conférence téléphonique de 26 000 personnes avec Sanders. Il a réuni des membres qui ont vu leurs syndicats les mépriser pendant des décennies, et ils veulent défier à la fois la situation économique et politique. Ils veulent contester leurs patrons et forcer le gouvernement à reconnaître leurs droits, et beaucoup se rendent compte qu’ils devront s’opposer à leurs propres dirigeants syndicaux pour ce faire.

Une inspiration socialiste

Sanders s’est toujours défini comme un « socialiste", mais cela n’apparaissait pas tellement dans les deux premiers mois de sa campagne. Avec chaque nouvelle entrevue, ce fait est devenu plus important. L’attaque du Tea Party contre la Loi pour des soins abordables (Obamacare) comme du "socialisme" était fausse, mais, ironiquement, pour la première fois depuis des décennies, cela a ouvert la porte à une discussion positive sur le socialisme. En 2014, Kshama Sawant a remporté un siège au conseil municipal de Seattle, montrant qu’ une fois de plus (comme ce fut le cas il y a 100 ans) un socialiste pourrait gagner un poste de responsabilité politique en Amérique.

Sanders a clairement fait savoir que son modèle est "social-démocrate" dans la tradition scandinave : la gratuité des soins et de l’éducation pour tous ; de bons emplois et des salaires avec une excellente assurance-chômage, des programmes de logements publics, et une conception généreuse du bien public et du bien-être social. "Au Danemark," dit-il, "il est très difficile de devenir très, très riche, mais il est assez difficile d’être très, très pauvre. Et cela fait beaucoup de sens pour moi." Les soins de santé et la protection sociale sont menacés en Europe, aussi, mais ils étaient meilleurs. Ces sociétés demeurent loin en avance sur les États-Unis en ce qui concerne la qualité de vie de leurs citoyens. Toutefois, ces programmes sociaux existent dans le contexte d’un système capitaliste qui crée encore l’inégalité, exploite la main-d’œuvre, et bascule toujours de l’expansion à la récession. En fait, le capitalisme fait beaucoup pour rendre impossibles les idéaux auxquels les sociaux-démocrates aspirent. Le militarisme, aussi, ne peut coexister avec les idéaux de Sanders, l’appareil militaire serait un excellent endroit où prendre l’argent pour les soins de santé et l’éducation.

Une révolution politique

Sanders souligne que le mouvement n’est pas pour lui. Un président isolé ne peut pas faire les changements dont nous avons besoin. Il appelle à une « révolution politique », ce qui, dit-il, signifie plus que du « rafistolage de la société américaine. » Il faudra, dit-il, que des millions et des millions de personnes s’impliquent. Aujourd’hui, nous voyons des mouvements qui mobilisent nombre de personnes : Black Live Matters, la lutte pour 15 $, la campagne victorieuse pour le mariage gay, la lutte contre la fracturation. Toutes ces luttent rassemblent de nouveaux militantEs qui sont à la recherche d’une ouverture de la société et d’une nouvelle politique. Ce sont les aspirants de ce qui pourrait amorcer un mouvement politique permanent et indépendant.

Retour en 1988. Jesse Jackson ralliait les mouvements à sa campagne des primaires démocrates pour la présidence - mais il a démantelé la Coalition Rainbow qui l’avait soutenu, en intégrant ses partisans au Parti démocrate. La campagne de Sanders a le potentiel d’aller au-delà d’un groupe de pression inutile pour les démocrates. Ensemble avec d’autres mouvements, il pourrait aider à jeter les bases d’un mouvement politique populiste indépendant. La leçon que les partisans Sanders devraient tirer de l’expérience Jesse Jackson et de Dennis Kucinich est que la réalisation de ce potentiel nécessitera la sortie du Parti démocrate.

À plus long terme, le choix est soit d’abandonner et de rentrer à la maison une fois la saison électorale terminée, soit de rester actif dans toutes sortes de mouvements qui remettent en question la politique traditionnelle. Le Parti démocrate n’est pas une feuille blanche sur laquelle un mouvement pour la "révolution politique" pourrait écrire ses propres idées et réunir les propres partisans de ses idées. S’il était possible de s’approprier ce parti et de l’utiliser pour lutter contre le pouvoir, cela se serait produit plus tôt, peut-être dans les années 1930, ou en 1972, lorsque le candidat antiguerre George McGovern a été nommé, puis abandonné par l’establishment du parti.

Non, ce parti est une vieille institution, un véhicule construit pour perpétuer la domination de la classe capitaliste - les banques, les fonds d’investissement, et les dirigeants d’entreprise qui pour la plupart, mais pas exclusivement, favorisent l’option républicaine. Tant Barack Obama et qu’Hillary Clinton sont les chouchous d’une grande partie de Wall Street ainsi que d’autres capitalistes qui ne suivent pas l’extrême droite sur les questions sociales. Il suffit de suivre l’argent pour trouver les plus gros contributeurs à leurs campagnes.

Les dirigeants qui contrôlent le Parti démocrate n’ont pas l’intention de permettre à Bernie Sanders de même s’approcher de l’investiture présidentielle. En fin de compte, ils ont besoin des voix de ses partisans et de l’énergie que sa campagne génère, mais ils feront tout ce qui est nécessaire pour arrêter son élan. Cela pourrait signifier se rallier autour de Clinton, trouver un candidat des entreprises substitut dans le cas où la candidature Clinton perdrait du terrain, ou compter sur les super-délégués (élus qui obtiennent de voter à la convention, sans égard à l’issue de la primaire de leur État). Et s’ils ont besoin de quelques coups fourrés pour écraser « I’ Bern »," ils n’hésiteront pas.

Que faire ensuite ?

La colère des jeunes contre les bas salaires et les emplois précaires, la colère des Noirs face à la brutalité policière et aux assassinats, l’éveil de la classe ouvrière, la colère contre les sociétés et le gouvernement pro-entreprise, l’activisme syndical autour de la campagne Sanders, l’ouverture aux idées socialistes, l’enthousiasme pour un programme économique, l’appel à la « révolution politique » - indiquent tout le potentiel pour un mouvement de révolte. Mais le paradoxe est qu’un tel mouvement aurait besoin d’un nouveau parti politique. Comment le Parti démocrate, où les leviers du pouvoir sont contrôlés par les banques et les entreprises, les politiciens professionnels, leurs collecteurs de fonds et les agences de publicité, pourrait-il tolérer un candidat et une campagne qui briseraient leur emprise ?

Les propositions Sanders ne pourront jamais être réalisées dans le cadre de ce parti -et Sanders le sait. Sinon, pourquoi serait-il resté un indépendant toute sa vie durant, jusqu’en 2015 ? Sinon, pourquoi aurait-il appelé à une « révolution politique » ? Sanders s’est lui-même engagé à soutenir le candidat de son parti, mais cela ne signifie pas que ses partisans doivent se ranger et devenir des travailleurs d’élection dévoués à Clinton. Le nouveau parti politique de masse, dont nous avons besoin n’existe pas maintenant, et la campagne Sanders est limitée dans le temps. Après que le soulèvement de Bernie ait été enterré par la direction du Parti démocrate, le Parti vert et sa candidate pressentie à la présidentielle Jill Stein seront dans la course à l’élection de novembre 2016, tout en reprenant nombre des principes similaires à ceux qui dynamisent la campagne Sanders. Examinez son programme pour la justice économique, sociale et environnementale. (Nous aurions été ravis de voir Sanders se présente comme indépendant, mais il a choisi de se retirer.)

Pour les partisans de Bernie Sanders, la campagne de Jill Stein représente ce pour quoi vils se battent en ce moment. Les voix de protestation et d’indignation peuvent continuer à se faire entendre dans la boîte de scrutin. Dans tout le pays, il y aura des référendums sur les questions de justice sociale et des candidats indépendants locaux populistes refuseront de suivre la machine du Parti démocrate. Notre soutien doit résolument suivre nos convictions politiques si on veut que notre « révolution » s’amorce.

La révolution politique, c’est nous tous - nous sommes le pouvoir.

Plus important que n’importe candidature dans une campagne électorale c’est ce que nous faisons pour construire des mouvements et organiser les gens afin de s’opposer aux politiques néolibérales-et éventuellement, pour contester le capitalisme. Rejoignez le mouvement pour lutter contre le changement climatique. Battez-vous pour 15 $ de l’heure. Supportez le Black Lives Matter. Travaillez pour les soins de santé universels. Faites de votre syndicat une force qui compte, ou aidez à organiser votre lieu de travail. Joignez-vous à ceux qui se battent pour réduire la dette étudiante. Opposez-vous à la diabolisation et à la déportation des immigrantEs. Joignez-vous à la solidarité internationale avec les victimes de l’impérialisme dans le monde entier. Pour réaliser les aspirations que Bernie représente, il est nécessaire que tous les mouvements occupent les rues - avant, pendant et après les élections.

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