Tiré de Reporterre
23 octobre 2025
Par Vincent Lucchese
Sur CNews, 1 cas de désinformation par heure d’information consacrée au climat a été détecté. - © Romain Longieras / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP
La désinformation climatique se porte à merveille dans les médias grand public français. Entre janvier et août, quelque 529 cas de mésinformation climatique (terme comprenant la désinformation potentiellement involontaire, sans intention de nuire démontrée) ont été relevés sur les principales chaînes de télévision et radio françaises par les ONG QuotaClimat, Data for Good et Science Feedback, révèle leur rapport publié le 22 octobre.
Il ressort de leur travail de veille que certains médias audiovisuels sont beaucoup plus coupables de désinformation que d’autres : parmi les chaînes d’information en continu notamment, les chaînes privées sont six fois plus « exposées aux narratifs de désinformation climatique » que l’audiovisuel public.
Sud Radio fait même pire que CNews
Sans surprise, CNews, la chaîne d’info du milliardaire d’extrême droite Vincent Bolloré, concentre le pire de la télé sur le sujet : un cas de désinformation par heure d’information consacrée au climat y a été détecté. Trois radios sont également des relais puissants de désinformation : Sud Radio fait même pire que CNews, avec un cas de désinformation toutes les quarante minutes, d’après le rapport.
Viennent ensuite Europe 1 et RMC, dont la fréquence d’exposition à la mésinformation climatique est à peine moins catastrophique que pour CNews, avec 0,8 à 0,6 cas de mésinformation par heure d’information consacrée au climat. Ensemble, ces quatre médias sont considérés par le rapport comme les « relais proactifs » de la désinformation climatique. Un peu moins mauvaise que ses concurrentes, LCI est quant à elle cataloguée comme un « vecteur permissif » de désinformation.
Cartographie des principaux médias audiovisuels français face à la désinformation climatique. © QuotaClimat, Data for Good, Science Feedback
L’ère du « nouveau déni climatique »
À l’inverse, les « chaînes de télévision généralistes (TF1, M6, France 2, France 3) ainsi que l’audiovisuel public (France Télévisions, Radio France, RFI) constituent les remparts les plus actifs contre la désinformation climatique », écrivent les ONG.
Une différence notable est également observée entre le public et le privé : alors que dans l’audiovisuel public, les cas de désinformation identifiés sont presque systématiquement le fait d’invités (à 92 %), dans le secteur privé, les propos erronés ou trompeurs sont tenus dans 46 % des cas par des journalistes ou des chroniqueurs.
Lire aussi : Canicule : la télé en plein déni climatique
Cette médiocrité de l’information climatique contribue à alimenter ce que des chercheurs, notamment le Center for Countering Digital Hate, appellent le « nouveau déni » climatique.
« Les données récentes montrent que l’ère de l’“ancien déni” (“le changement climatiquen’existe pas”) a laissé place à un répertoire plus sophistiqué, conçu non pour réfuter la science, mais pour brouiller, épuiser moralement et paralyser l’opinion publique comme l’action politique », écrivent les auteurs du rapport.
Les données montrent, en outre, que la désinformation se concentre sur des moments précis : elle a triplé cet été par rapport au début de l’année, et a connu des pics corrélés à des moments de débats climatiques clés. Par exemple, lors de la prise de mandat de Donald Trump, lors du vote sur les zones à faibles émissions à l’Assemblée nationale ou encore lors de la canicule estivale, parasitée par les débats bourrés de désinformation sur la climatisation.
Les énergies renouvelables en bouc émissaire
Ces symptômes, nouveaux narratifs de désinformation et moments clés ciblés, entrent en résonance avec les principaux récits observés à l’échelle mondiale. Ce qui démontre qu’il s’agit d’un problème « systémique », soulignent les ONG. En clair, la désinformation est poussée par toute une série d’acteurs aux intérêts et stratégies nocives pour le climat : l’extrême droite, l’industrie fossile, automobile ou agricole et les intérêts idéologiques de grands actionnaires des médias qui, tout ou partie, participent à cette nouvelle désinformation.
« Leur objectif n’est plus de nier l’existence du changement climatique, mais de miner la confiance dans la viabilité des solutions et de délégitimer les messagers qui les défendent », pointe le rapport.
Les principales victimes de cette stratégie ciblée sont les énergies renouvelables (EnR). Plus de 90 % des cas identifiés de désinformation ciblent les solutions de transition, et 70 % ciblent plus spécifiquement les EnR.
C’est, en la matière, la foire aux poncifs. Parmi les fausses informations les plus souvent répandues sur ces chaînes, on trouve d’abord l’idée que « les énergies renouvelables variables font exploser le prix de l’électricité », suivie de celle selon laquelle elles « sont inefficaces ou inutiles en raison de leur intermittence ». Ou encore, que les EnR « provoquent des blackouts » et qu’elles sont inutiles, le nucléaire étant suffisant pour « répondre aux besoins en énergie ».
Autant de contre-vérités largement plus répandues que les traditionnelles négations du rôle de nos activités dans le réchauffement global, ou encore l’antienne selon laquelle « le climat a toujours fluctué de manière naturelle ». Ces absurdités scientifiques sont toujours présentes, mais en grande majorité remplacées par les attaques contre la transition.
Cette « crise de l’intégrité de l’information » aggrave la crise climatique
Dans un contexte d’atrocité climatique généralisée, où l’action des États demeure largement insuffisante pour éviter le risque de catastrophes gigantesques en cascade, le rapport insiste sur le fait que cette « crise de l’intégrité de l’information » aggrave la crise climatique.
Pour lutter contre cette dynamique délétère, les ONG recommandent d’agir sur trois leviers identifiés. Former « les journalistes exposés au direct et les rédactions au sens large » à ces enjeux et stratégies de désinformation ; protéger les journalistes indépendants, « les médias d’intérêt public et les conditions de production d’une information fiable, intègre et suffisante » ; et réguler la désinformation climatique, « pour sortir du régime d’impunité actuelle ».
Sur ce dernier point, le rapport soutient une proposition de loi transpartisane, mais controversée, qui permettrait de sanctionner les propos climatosceptiques.
*****
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d’avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d’avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :









Un message, un commentaire ?