21 août 2023 | tiré de mediapart.fr | Photo : Luiza González avec son co-candidat Andrés Arauz après les résultats, le 20 août à Quito. © Photo Rodrigo Buendia / AFP
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La première femme présidente ou le président le plus jeune de son histoire. C’est le choix du second tour de l’élection présidentielle équatorienne qui aura lieu le 15 octobre prochain. Dimanche 20 août, à l’issue d’une campagne qui aura été marquée par l’assassinat le 9 août du candidat anticorruption Fernando Villavicencio et l’instauration de l’état d’exception, les Équatoriens ont placé en tête du premier tour Luisa González, candidate du parti corréiste (gauche), avec 33,1 % des suffrages exprimés, et Daniel Noboa Azin, 36 ans, fils du géant de l’industrie bananière locale, avec 24 % des suffrages.
Ces élections anticipées ont été déclenchées sur fond de crise politique profonde entre le président sortant, le conservateur Guillermo Lasso, et l’opposition de gauche. Le chef de l’État avait été élu en 2021 dans une configuration particulière. Arrivé second avec treize points de retard sur le candidat corréiste, il avait finalement bénéficié du report et de l’abstention du mouvement écologiste et indigéniste de Yaku Pérez arrivé de peu en troisième position avec 19,4 % des voix (contre 19,8 % à Guillermo Lasso).
Élu avec 52 % des voix au second tour, il devait cependant faire face à un Parlement majoritairement hostile tenu par les corréistes et le parti de Yaku Pérez. Après avoir engagé une politique d’austérité à la demande du FMI, il doit faire face à l’automne 2022 à de graves émeutes, menées notamment par les communautés indigènes, à la suite de l’augmentation du prix de l’essence. Quito est investi par les rebelles et un accord est signé, mais le président est affaibli.
Alors que la situation sociale et sécuritaire se dégrade, Guillermo Lasso fait l’objet d’une procédure de destitution pour corruption de la part du Parlement. Il y répond en lançant en mai la procédure constitutionnelle dite de la « mort croisée » qui permet au président de gouverner par décret pendant six mois moyennant de nouvelles élections présidentielles et législatives dans ce délai.
Changement politique majeur
L’essentiel de la campagne a porté sur les questions sécuritaires, alors même que le pays continue de traverser une crise sociale qui a commencé en 2014 avec la fin de l’âge d’or des matières premières. Le pays est, depuis plusieurs mois, sous l’emprise des narcotrafiquants qui ont provoqué des révoltes meurtrières et ultra violentes dans plusieurs prisons du pays et organisé des vagues de violence sans précédent, notamment contre les élus. Cette situation nouvelle a changé les rapports de force au sein de la politique équatorienne.
À droite, Guillermo Lasso, 68 ans, candidat en 2013, 2017 et 2021 de la droite équatorienne unie, avait décidé de ne pas se représenter au regard de sa très faible popularité. Il n’avait d’ailleurs soutenu officiellement aucun candidat. Son héritier naturel était Otto Sonnenholzner, ancien vice-président de Lenín Moreno de 2018 à 2020 et fréquemment cité dans des affaires de pots-de-vin, qui a tenté d’afficher un profil centriste. Mais il n’a obtenu que 7,1 % des voix.
L’autre grand perdant de l’élection est Yaku Pérez, le phénomène de 2021, qui n’a obtenu que 3,9 % ce dimanche. Les divisions au sein du camp indigéniste, l’impact des émeutes de 2022 et sa discrétion sur les questions sécuritaires lui ont été fatals. Cela prouve aussi qu’en deux ans les priorités de la politique équatorienne ont profondément changé.
Pour autant, le mouvement indigéniste n’a pas tout perdu. Dans un référendum qui s’est tenu en parallèle, les électeurs équatoriens ont décidé de refuser l’exploration pétrolière dans la région du Yasuni, en Amazonie, une revendication ancienne des habitants de cette région.
Les électeurs ont donc été séduits par des figures nouvelles. À droite, le grand gagnant est Jan Topić, personnage controversé, ancien de la Légion étrangère française, qui a obtenu 14,6 % des voix et a fini quatrième. Guillermo Lasso avait voulu le nommer en février ministre de la sécurité, avant de se rétracter suite à une polémique sur ses activités de mercenaires. Jan Topić, qui s’est présenté comme « ni de droite, ni de gauche, ni du centre » mais qui était soutenu par le parti social-chrétien, un parti historique de la droite, a fait une campagne sur cette même question de la sécurité tout en se présentant comme le « Bukele équatorien », du nom du président autoritaire du Salvador qui s’est fait élire sur une promesse de lutte sévère contre les gangs locaux.
L’autre figure nouvelle était donc Fernando Villavicencio, tué à la sortie d’un meeting. Ancien journaliste anticorruption qui avait été pourchassé pendant la présidence Correa, il était député et dénonçait les liens entre le crime organisé et les sphères politiques. Son successeur à la candidature, Christian Zurita, a fait le reste de la campagne protégé de très près par la police et a fini par obtenir un très bon score, 16,5 % des voix, qui lui permet de finir en troisième position.
La surprise Daniel Noboa
Il y a enfin la surprise de la soirée électorale. Daniel Noboa, qualifié pour le second tour avec 24 % des voix et 7,5 points d’avance sur Christian Zurita, est une sensation. Personne ne l’attendait à un tel niveau. Élu député en 2021 pour un petit parti centriste, Équateur uni, qui avait obtenu 2 % des voix au niveau national, il avait le soutien de petits partis de centre et de centre-gauche. Il a axé sa campagne sur le retour à la sécurité par une politique d’investissement dans la justice, mais aussi par la militarisation des ports du pays pour lutter contre les narcos, et sur une politique économique de développement assez classique centrée sur l’attractivité du pays.
Daniel Noboa doit son succès en partie à l’équilibre de son programme qui lui a permis de séduire les électeurs inquiets de la dégradation de la situation à la fois sécuritaire et économique. Alors que tout le monde parlait de sécurité, Daniel Noboa a mené une campagne aussi sur les sujets de l’emploi et du niveau de vie. Il a sans doute profité aussi de l’effet de nouveauté, de sa jeunesse et de son activisme sur les réseaux sociaux.
Mais ce n’est pas totalement un nouveau venu. Il est le fils d’Álvaro Noboa, quasi milliardaire en dollars, détenteur de plantations de bananes dans un pays qui en est un des principaux producteurs mondiaux et candidat malheureux aux élections présidentielles à cinq reprises, de 1998 à 2013. Il a été l’objet d’accusation de maltraitance de ses travailleurs et d’évasion fiscale.
Mais la force de Daniel Noboa a été de faire oublier ses origines familiales pour se présenter comme le candidat d’un Équateur apaisé et prospère dont rêvent légitimement de nombreux électeurs. Il a aussi tenu un discours anticorruption et a prétendu être victime d’une fusillade en fin de campagne à Durán lors de son meeting de fin de campagne le 17 août. L’enquête a finalement montré que les tirs ne le visaient pas, mais cela a aussi peut-être joué en sa faveur.
Le corréisme stable mais encore en quête de majorité
Finalement, la seule force qui demeure stable en Équateur est le corréisme. Luisa González est une proche de l’ancien président, de 2007 à 2017, et a défendu les positions habituelles de son camp : la lutte contre la pauvreté et les inégalités, le développement des services publics de la santé et de la sécurité et un plan massif de désendettement des ménages.
Finalement, le candidat et la candidate finalistes ont été ceux qui ont le plus insisté sur les questions économiques, à rebours des thèmes dominants de la campagne. Luisa González a sans doute aussi profité de la nostalgie d’une partie de la population envers l’époque Correa durant laquelle les politiques publiques étaient redistributives et la situation sécuritaire était stable.
En tout cas, avec 33,1 % des voix, Luisa González maintient les positions du corréisme qui avait obtenu 32,72 % en 2021 avec Andrés Arauz (qui est candidat à la vice-présidence cette année). Mais elle ne parvient pas à les élargir et c’est bien son problème. Pendant les quasiment deux mois de campagne qui restent, elle devra dépasser sa fidélité à l’ancien président. Car Rafael Correa divise encore beaucoup en Équateur entre ceux qui y voient un héros injustement exilé et ceux qui le perçoivent comme un président autoritaire et corrompu.
C’est cette détestation de Correa venant de portions très diverses de la population qui, en 2021, avait coûté la présidence à Andrés Arauz. Le problème crucial désormais pour Luisa González est d’éviter le même écueil. Or, ce ne sera pas facile.
Certes, le duel du second tour ressemble, vu de loin, aux habituels duels droite-gauche de la politique équatorienne qui oppose le corréisme aux représentants des grands intérêts économiques. En 2006, Rafael Correa avait affronté au deuxième tour Álvaro Noboa. Mais la situation est néanmoins très différente en raison de la situation du pays et de l’image que s’est construite Daniel Noboa.
Son discours anticorruption et sécuritaire peut séduire la droite de Jan Topić et les électeurs de Christian Zurita. Pour l’instant, aucun candidat ne s’est rallié officiellement à un candidat du second tour. Mais il est vrai que Luisa González, malgré ses neuf points d’avance, n’a pas vraiment de réserves de voix, sur le papier du moins.
Une des questions sera de savoir si le nouveau président pourra gouverner, c’est-à-dire pourra construire des majorités au Parlement. Et de ce point de vue, l’avantage va plutôt à Luisa González dont le parti, Révolution citoyenne (RC), a obtenu 39 % des voix aux élections législatives qui se tenaient en parallèle de la présidentielle. C’est sans doute une bonne base pour construire une majorité, même si la répartition des sièges n’est pas encore connue.
En revanche, la coalition qui soutient Daniel Noboa n’a obtenu que 14,3 % des voix. Là encore, le mouvement de Fernando Villavicencio, qui a gagné 21 % des voix sera la clé de l’avenir du pays. Devoir choisir entre le corréisme et une alliance avec la droite traditionnelle, tout aussi corrompue, risque d’être très difficile pour les députés de cette coalition.
Autrement dit, quel que soit le vainqueur de l’élection le 15 octobre, la question de la gouvernabilité de l’Équateur risque à nouveau de se poser. Or face aux narcos et à la situation sociale, le pays ne peut guère se payer le luxe d’un nouveau blocage.
Romaric Godin
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