Édition du 23 avril 2024

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Débat sur la question nationale

Québec solidaire et la convergence (3 de 3)

Et le Québec, et la convergence... là dedans !

C’est en prenant en compte tous ces longs préalables qu’on pourra désormais mieux appréhender et saisir la portée véritable des hypothèses théoriques de Jonathan Durand Folco quant à l’existence possible de blocs historiques au Québec et au Canada et quant à la nécessité qui en découlerait d’alliances possibles entre le PQ et Québec solidaire.

En fait, même si Jonathan Durand Folco désire combiner —comme l’appelle de ses voeux Gramsci— « grande et petit politique », dans son texte proprement dit il n’en est resté, semble-t-il, qu’à la seule « petite politique ». Au sens où il ne cesse d’entretenir une confusion permanente entre d’une part la définition des blocs historiques tels que conceptualisés par Gramsci [1], et d’autre part les deux projets politiques antagoniques qu’on continue vaille que vaille à observer au Québec, sous la forme d’un projet politique fédéraliste s’opposant à un projet politique souverainiste ou indépendantiste.

Ces deux projets, pour importants qu’ils soient, ne recoupent cependant –tout au moins tels qu’ils sont définis par Jonathan Durand Folco— que très approximativement l’approche gramscienne. Et cela, non seulement parce qu’il y réduit le camp fédéraliste au seul camp libéral (il y a aussi un camp fédéraliste conservateur !), mais encore parce qu’il tend à faire du camp souverainiste ou nationaliste, le camp des classes subalternes ou populaires. Ce qui –à fortiori dans le cas du PQ actuel— est loin, très loin d’être le cas [2].

En fait, dans ce texte, Jonathan Folco nous fait plutôt part d’une vision impressionniste de la vie politique québécoise, certes non dénuée d’intérêts parce que collant au niveau de l’actualité immédiate et à ses interrogations légitimes. Par exemple l’émergence de la CAQ ou plus récemment du mouvement des « Orphelins politiques » avec leur volonté annoncée de créer un parti progressiste non souverainiste au Québec (faisant quelque part écho aux volontés du NPD de faire sa marque au Québec), font en effet bien apparaître le nouveau à l’oeuvre. Et surtout ils nous font voir comment par rapport à un camp fédéraliste qui semble en train de se reconstituer, le camp nationaliste peine à s’imposer, ou devrait pour reprendre force dans le cadre des élections de 2018, se donner les moyens de se reconstituer en une véritable coalition indépendantiste.

Ceci dit, l’intérêt de la pensée de Gramsci est de nous permettre de mettre en perspective tous ces éléments politiques conjoncturels, en les replaçant dans un contexte historique et structurel plus vaste, celui du capitalisme global et des contradictions concrètes qu’il ne cesse d’alimenter au fil de l’histoire dans une formation sociale donnée comme le Québec. Et donc de nous guider quant au type d’alliance et de stratégie qu’il serait opportun de développer dans l’immédiat d’une conjoncture donnée, tout en tenant compte de ces données de fond.

Aussi se faire le héraut de ce point de vue distancié et non impressionniste, implique de ne pas « alléger » indûment la pensée gramscienne, en réduisant sa conception de l’hégémonie, à une hégémonie « light », sans consistance, décontextualisée de ses rapports avec l’existence d’un mode de production comme le capitalisme néolibéralisé ainsi qu’avec toutes les contraintes qu’il emporte avec lui. Tout comme d’ailleurs Laclau et Mouff ont fini par le faire –et c’est là sans doute une des explications de l’interprétation dans laquelle s’est enfermé Jonathan Folco. Car si ceux-ci nous donnent quelques clefs pour penser –au travers de la perspective du populisme— de possibles ruptures sociales et politiques initiales, ils ne nous donnent aucunement les moyens de les approfondir au sein de processus transitoires questionnant les pouvoirs structurels propres aux logiques capitalistes.

Les défis de Québec solidaire

Or c’est justement un des défis possibles de Québec solidaire aujourd’hui : par l’ampleur des aspirations dont il se fait l’écho ((féministes, écologistes, sociales, indépendantistes, altermondialistes), il ne peut envisager le processus d’indépendance et de transformations sociales qu’il appelle de ses vœux sans que les classes populaires, le peuple d’en bas du Québec ( avec toutes les logiques d’intérêts collectifs qu’ils impliquent), y occupent une place centrale. Sans donc que le bloc historique que QS pourrait éventuellement songer à constituer en termes de projets d’alliances, comporte en son cœur la présence active et autonome des classes populaires et des mouvements sociaux qui expriment ses aspirations les plus vives.

Si l’on veut s’appuyer sur les thèses de Gramsci, c’est là l’élément décisif qui devrait nous aider à nous situer vis-à-vis de toute politique de convergence et à juger de la validité de celle-ci, a fortiori si elle se présente d’abord et avant tout sur le mode électoral : comment ces alliances appréhendées aideraient-elles à l’auto-affirmation, à la souveraineté en acte du peuple d’en bas et de l’ensemble des classes subalternes et populaires du Québec, en somme à leur capacité à se mobiliser de manière autonome et souveraine, au sens profond du terme ?

Car évidemment, cela ne veut pas dire pour Québec solidaire qu’il faille ne rien faire et se nier à tout type d’action en commun avec le PQ. Et Jonathan Durand Folco a raison d’insister sur la nécessité d’être actif et propositif, d’être entreprenant et de se défier de toute attitude frileuse, fondamentalement contre-productive.

Mais à ce niveau, il s’agirait moins de s’allier au plus vite à un parti ou des partis qui –au regard de leurs discours comme de leurs pratiques gouvernementales— pensent chaque fois moins à la souveraineté ou à l’indépendance à travers sa dimension « sociale et la propension de cette dernière à questionner l’ordre établi ».

Ils agissent d’ailleurs ainsi parce qu’ils ont fini par s’identifier à un certain « establishment politique » dont les intérêts sont chaque fois plus en contradiction avec ce qu’impliquerait le projet même d’indépendance. Il ne faut pas oublier en effet que le Parti québécois, même s’il a été hanté à ses origines par un préjugé favorable aux travailleurs, a toujours été dirigé par des élites petites bourgeoises (ou même bourgeoises (PKP !)) qui se sont employées dans les faits à contenir, et plus encore à museler, leurs bases d’appui ouvrières et populaires. Et à partir des années 80, chaque fois plus !

Aussi s’agirait-il bien plutôt de travailler à reconstituer par le bas et sur le mode démocratique, un vaste mouvement social indépendantiste, prémisse à la reconfiguration de ce bloc historique par ailleurs si nécessaire pour faire avancer sur le long terme la cause de l’indépendance. Or pour l’instant ce bloc historique capable de se confronter sur le fond au bloc fédéraliste libéral ou conservateur, n’existe pas ou plus, au sens gramscien du terme. Il est à construire, reconstruire de part en part, et quelque part sur les ruines de ce qu’est devenu malheureusement le PQ depuis le milieu des années 80. Toute politique d’alliance, par ailleurs si nécessaire, doit partir de ce constat.

N’est-ce pas ce que le recours à la pensée de Gramsci et à son concept de « bloc historique » devrait nous aider à mieux comprendre ?

Pierre Mouterde
Québec, le 3 mai 2016

PS : Cette interprétation possible du « bloc historique » que nous avons essayé ici d’expliciter, serait, soit dit en passant, bien plus cohérente avec les autres thèses –fort riches et intéressantes— que Jonathan Folco a développées récemment, à propos de la constituante et de la façon dont Québec solidaire devrait l’envisager.


[1Blocs qui dans la perspective de ce dernier restent toujours reliés aux classes sociales fondamentales générées par le mode de production capitaliste.

[2Nous rejoignons ici l’analyse de Bernard Rioux qui en cherchant à définir les soubassements de classe du Parti québécois, rappelle très justement qu’il est un parti, dirigé par les représentants d’ une classe petite bourgeoise qui se sont toujours employés à maintenir avec leur base ouvrière et populaire un rapport très strict de subalternité, plus spécialement à partir des années 80.

Pierre Mouterde

Sociologue, philosophe et essayiste, Pierre Mouterde est spécialiste des mouvements sociaux en Amérique latine et des enjeux relatifs à la démocratie et aux droits humains. Il est l’auteur de nombreux livres dont, aux Éditions Écosociété, Quand l’utopie ne désarme pas (2002), Repenser l’action politique de gauche (2005) et Pour une philosophie de l’action et de l’émancipation (2009).

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