Contexte
Au cours des deux dernières décennies, le domaine de la solidarité internationale a connu des transformations majeures. Une approche plus décoloniale, antiraciste et intersectionnelle s’est développée, remettant en question les dynamiques de pouvoir historiques et contemporaines. La prise en compte des enjeux environnementaux et climatiques occupe désormais une place centrale et urgente dans un contexte mondial où la justice sociale et la résilience sont devenues indissociables des actions de solidarité.
Parallèlement, les défis globaux se sont amplifiés, avec la montée des inégalités, des conflits et des crises humanitaires. Cette période est également marquée par une crise persistante du financement de l’aide internationale, illustrée notamment par le démantèlement historique de USAID, menaçant la capacité des organisations à répondre aux besoins les plus urgents. À cela s’ajoute un désengagement préoccupant de plusieurs partis politiques et gouvernements qui refusent de reconnaître leur responsabilité différenciée face aux inégalités croissantes et à la crise climatique et environnementale. Cette situation a pour effet de reléguer la solidarité internationale au second plan, malgré l’ampleur des défis globaux. La polarisation, le populisme d’extrême droite et l’autoritarisme gagnent du terrain, tandis que l’empathie semble en perdre. Les attaques envers les droits des groupes historiquement ou socialement marginalisés et opprimés*, en particulier les droits des femmes, se multiplient. Ce contexte est favorable à l’intensification des crises humanitaires complexes et interconnectées. Le monde économique et le milieu des affaires sont en transformation et disposent même du pouvoir de remettre en question les engagements sociaux et climatiques. Les technologies, incluant l’intelligence artificielle, présentent à la fois des menaces et des opportunités.
Dans ce contexte de mutation, la solidarité internationale doit non seulement s’adapter, se réinventer et innover mais aussi être au cœur des solutions à bâtir.
C’est dans ce contexte que les 2e États généraux québécois de la solidarité internationale ont été lancés en 2024 par l’Association québécoise des organismes de coopération internationale (AQOCI), avec pour objectif de réaffirmer la place de la solidarité internationale face aux grands enjeux mondiaux.
Cette déclaration se veut un engagement renouvelé en faveur de la solidarité internationale pour les groupes de la société civile québécoise afin d’inspirer des actions collectives, des changements organisationnels, le renforcement de collaborations et le développement de nouvelles alliances.
* Voici une liste plus détaillée mais non limitative des groupes historiquement ou socialement marginalisés ou opprimés : femmes et filles, personnes racisées, minorités ethniques, personnes en situation de handicap, peuples autochtones et afrodescendants, paysannerie, classe ouvrière, personnes 2ELGBTQIA+, minorités religieuses, minorités linguistiques, personnes réfugiées et migrantes.
Vision partagée
Notre vision commune s’ancre dans l’espoir d’un monde plus juste, inclusif, solidaire et respectueux de l’environnement et de la nature, où la solidarité internationale est indissociable des luttes contre les inégalités, les oppressions et la pauvreté. Elle est fondée sur des valeurs féministes, antiracistes, pacifistes, écologistes, d’équité, d’inclusion, de diversité et d’émancipation.
Notre vision partagée s’appuie sur la nécessité de décoloniser les savoirs et les pratiques, en valorisant les expériences et les luttes portées par la diversité des groupes, en particulier ceux historiquement marginalisés ou opprimés.
Elle repose aussi sur une analyse féministe et intersectionnelle, qui permet de comprendre comment les différentes formes d’oppressions systémiques comme le racisme, le capacitisme, le classisme, l’homophobie, l’hétéronormativité, la transphobie, le sexisme, le cissexisme, l’âgisme et les discriminations religieuses peuvent se croiser, se renforcer mutuellement et produire des formes spécifiques d’exclusion souvent invisibilisées.
Les savoirs endogènes et traditionnels ne doivent pas seulement être reconnus, mais ils doivent également guider les actions et nourrir la co-construction des connaissances. Les rapports de pouvoir inégaux doivent céder la place à des partenariats équitables et horizontaux, fondés sur la réciprocité.
Face au recul des droits humains*, nous réaffirmons l’importance des droits de la personne et des droits collectifs, et la nécessité de travailler pour le respect des droits des minorités et des populations vulnérabilisées dans un contexte mondial marqué par des crises interconnectées (écologique, politique, économique, sociale).
La criminalisation croissante des défenseur·es des droits, la montée de l’autoritarisme et le rétrécissement des espaces démocratiques appellent à une mobilisation collective pour défendre la justice, la participation citoyenne, la liberté de parole et la liberté d’agir.
La lutte contre les effets concrets des inégalités économiques – issues de systèmes d’oppression structurels et des dynamiques de la mondialisation – est également au cœur de notre vision. Face à la domination du capitalisme qui fait primer l’économie sur les aspects sociaux et environnementaux, nous prônons une approche plus juste, durable et humaine. Seule une réinvention de nos modèles économiques et sociaux permettra de relever ces défis majeurs pour l’avenir de notre planète et de l’humanité.
Nous croyons en la force des réseaux et des alliances, capables de décloisonner la solidarité internationale et de montrer l’interconnexion entre les enjeux et luttes vécus au Québec et globalement.
En créant des espaces de partage, de mobilisation et de convergence, nous entendons renforcer les liens avec d’autres mouvements qui partagent nos valeurs, comme les mouvements féministes, paysans, syndicaux, antiracistes, en lutte contre la pauvreté, pour la justice climatique, autochtones, en soutien aux personnes migrantes, aux personnes en situation de handicap et aux communautés 2ELGBTQIA+.
Dans un monde incertain et instable, il est essentiel d’unir nos forces pour accroître la portée, l’impact et le pouvoir transformateur de la solidarité et de l’action collective. Nous croyons également en l’importance et la nécessité d’engager un dialogue ouvert et respectueux avec des groupes et des personnes qui ont des perspectives différentes afin d’apprendre, mieux se comprendre et trouver les points communs qui pourraient nous unir plutôt que de nous diviser.
Nous reconnaissons les diasporas comme des partenaires essentiels pour renforcer l’impact et l’efficacité des actions de la solidarité internationale. Fortes de leur double ancrage dans les sociétés d’accueil et les pays d’origine, de leur expertise interculturelle, de leur influence ainsi que de leurs réseaux transnationaux, une synergie d’action avec les diasporas constitue une opportunité d’accroître la portée et la durabilité de nos interventions collectives.
* Les droits humains englobent notamment les droits civils et politiques, les droits économiques, sociaux et culturels (droit à l’éducation, à la santé, au travail, à un niveau de vie décent, au logement, à la protection sociale), les droits environnementaux et climatiques, les droits reproductifs, les droits des peuples autochtones, les droits des femmes, des enfants, des personnes 2ELGBTQIA+, des personnes en situation de handicap, des personnes migrantes et réfugiées et sans statut ainsi que les droits collectifs à l’autodétermination, à la souveraineté territoriale et culturelle.
Engagements*
Nous affirmons que la solidarité internationale doit être indissociable des luttes contre toutes les formes d’inégalités, d’oppressions et d’injustices.
Nous, les groupes de la société civile québécoise et de divers mouvements sociaux, nous nous engageons à :
– Poursuivre et approfondir la décolonisation de nos pratiques et de nos savoirs en contribuant au pouvoir d’agir et d’influence des communautés historiquement marginalisées ou opprimées, en appuyant leurs luttes, en valorisant les propositions qu’elles mettent de l’avant, en posant un regard critique sur les discours dominants et en contribuant, avec nos partenaires, à la coconstruction de rapports sociaux solidaires et décolonisés.
– Affirmer la primauté du droit international, de l’État de droit et du respect des droits humains en soutenant activement les défenseur·es des droits et en s’opposant à tout recul, notamment en ce qui concerne les droits économiques, sociaux, culturels et environnementaux, avec une attention particulière portée aux groupes historiquement opprimés et marginalisés.
– Développer, approfondir et appliquer une analyse féministe des causes d’oppression, créer des espaces de dialogue sur nos approches féministes et améliorer nos pratiques internes, dans une approche transversale et intersectionnelle.
– Réaffirmer notre engagement envers la justice, l’équité, la diversité et l’inclusion (JEDI) ainsi que les approches anti-oppressives, notamment en soutenant activement les luttes antiracistes, les droits des personnes en situation de handicap et des minorités de genre et en renforçant nos pratiques organisationnelles pour les rendre plus justes, accessibles et inclusives.
– Adopter une posture anti-impérialiste, antimilitariste et de résistance face à l’augmentation des dépenses militaires et à la valorisation de la violence, défendre le droit international comme fondement de la paix en reconnaissant que la justice et l’égalité sont essentielles pour atteindre une paix durable fondée sur la justice, l’égalité et la reconnaissance des droits des peuples, tout en renforçant le pouvoir d’agir des groupes historiquement marginalisés ou opprimés. Accroître le plaidoyer pour le respect du droit des peuples autochtones à l’autodétermination et appuyer les processus de paix menés par les communautés et mouvements porteurs d’alternatives émancipatrices.
– Poursuivre et renforcer nos actions et nos plaidoyers en faveur de la justice climatique et environnementale, la protection de la biodiversité et de la transition juste et inclusive vers des énergies renouvelables, auprès notamment des gouvernements canadien et québécois et des entreprises transnationales, en collaboration avec nos partenaires internationaux et pour amplifier les voix des communautés les plus affectées.
– Devenir de meilleur·es allié·es des peuples et nations autochtones en allant à leur rencontre, en nourrissant des relations réciproques, en appuyant leurs luttes et revendications, incluant la reconnaissance de leurs territoires, de leur autonomie politique, de leurs droits ancestraux et, d’autre part, valoriser et s’inspirer de leurs savoirs, de leurs modèles d’organisation sociale et de leurs visions des rapports sociaux et des liens avec la Terre-Mère.
– Appuyer des initiatives et pratiques qui incluent réellement les personnes réfugiées, immigrantes et sans statut, en concertation avec le milieu communautaire de l’immigration et en tenant compte de leurs expériences et de leurs défis. Ces actions incluent également un travail de plaidoyer pour l’accès aux droits et aux ressources nécessaires à une intégration digne, qui valorise leur participation active et diffuse un narratif inclusif et juste sur leur contribution à la société.
– Poursuivre et améliorer la mise en place de programmes de valorisation des savoirs et de renforcement du pouvoir d’agir qui visent l’autonomisation durable des différents acteur·trices à travers notamment des partenariats structurants et inclusifs avec pour objectifs d’accroître l’impact des initiatives sur le long terme, de renforcer la résilience des communautés et d’encourager une collaboration étroite entre les organisations de la société civile, les diasporas, les institutions publiques et privées.
– Travailler à la souveraineté alimentaire et l’agroécologie en les intégrant dans nos programmes et en menant un plaidoyer collectif et structuré auprès des instances politiques nationales et internationales afin d’adopter de nouvelles politiques publiques.
– Exiger la mise en place de cadres juridiques contraignants au Canada et au niveau international pour prévenir les abus de droits humains et les dommages environnementaux causés par les entreprises transnationales – en particulier les entreprises canadiennes et de l’industrie extractive – et pour offrir des voies de recours aux communautés affectées.
– Renforcer les liens entre les luttes locales et internationales pour les droits des travailleur·euses en approfondissant les alliances entre les syndicats québécois et avec les organismes communautaires afin de faire converger nos actions et d’amplifier notre mobilisation pour la justice sociale.
– Renforcer les liens, la concertation et la collaboration avec les Québécois·es des diasporas afin de construire une voix collective forte, porteuse de leurs aspirations, capable d’amplifier l’impact des actions menées et de défendre des positions communes face aux grands enjeux mondiaux.
– Encourager l’éducation à la citoyenneté mondiale en menant des actions de sensibilisation, de formation, de recherche, de mobilisation et de plaidoyer sur les enjeux mondiaux ancrés dans des approches décoloniales, antiracistes et féministes, afin de promouvoir l’esprit critique, l’ouverture à l’autre, la gouvernance inclusive, la protection de notre planète, le dialogue démocratique et les valeurs de justice et de solidarité, tout en consolidant une participation citoyenne active, éclairée et engagée.
– Bâtir des ponts et renforcer les alliances intersectorielles, en favorisant les collaborations entre mouvements sociaux, diasporas, milieux cégépiens et universitaires, organisations de la société civile, groupes autochtones, entreprises d’économie sociale et des acteur·trices non traditionnel·les, tant au Québec qu’à l’international, pour contribuer au dialogue social afin de coconstruire des savoirs critiques, des perspectives partagées et des stratégies de plaidoyer ancrées dans une vision commune de transformation sociale.
– Favoriser un accès à une éducation transformatrice, émancipatrice, civique, et de qualité en tant que droit fondamental en soutenant des initiatives qui développent l’esprit critique, le sens du bien commun et la conscience des interdépendances mondiales, comme leviers essentiels pour prévenir les conflits, promouvoir la cohésion sociale et contribuer durablement à la construction de sociétés pacifiques, justes et inclusives, tout en s’attaquant aux obstacles systémiques qui limitent l’accès à une telle éducation dans plusieurs milieux.
– Contribuer aux initiatives visant à réinventer les modèles économiques en s’inspirant notamment de l’économie des soins**, de l’économie sociale et solidaire, de la démocratisation de l’économie et de la protection du vivant.
Exiger une plus grande justice fiscale pour abolir les paradis fiscaux et s’assurer que les plus riches contribuent leur juste part afin d’assurer le financement, l’accessibilité et la qualité des services et des biens publics.
– Agir pour la santé en tant que droit fondamental, notamment pour la santé sexuelle et les droits reproductifs, en soutenant des initiatives locales et internationales qui promeuvent l’accès à des services de santé de qualité, sûrs et accessibles, tout en luttant activement contre les violences basées sur le genre.
– Agir pour le respect et la promotion des droits des femmes et filles et à leur participation pleine et entière aux espaces décisionnels.
– Faciliter des espaces de rencontre intergénérationnels et de dialogue entre les jeunes du Québec et ceux·celles d’autres pays pour favoriser la compréhension mutuelle et la solidarité, leur offrir des occasions de s’impliquer concrètement dans des initiatives de solidarité internationale et donner une place aux jeunes dans les espaces décisionnels pour que les voix soient entendues et qu’ils puissent influencer les politiques en matière de solidarité internationale.
– Développer des partenariats technologiques sécuritaires, décoloniaux et socialement responsables, tout en adoptant une posture de vigilance face aux biais, aux impacts systémiques et aux dérives du technojovialisme***. Placer les droits humains, la sécurité en ligne, la justice sociale et les savoirs communautaires au cœur des choix technologiques afin de promouvoir un accès équitable, éthique et critique aux technologies numériques, y compris à l’intelligence artificielle, afin de réduire la fracture numérique, de garantir une participation inclusive des communautés et d’éviter l’aggravation des inégalités.
– Développer la coopération et des structures de coconstruction entre les acteur·trices de l’économie et de la finance solidaire pour appuyer l’autonomisation économique des communautés. Travailler davantage ensemble, au-delà de nos propres réseaux, pour innover, réfléchir collectivement et adapter les modèles de finance solidaire aux réalités locales, en tirant parti des expériences réussies, notamment celles en partenariat avec le secteur financier local.
– S’engager à réfléchir de façon critique et profonde sur nos pratiques et nos programmes à travers des méthodologies collaboratives et un suivi actif afin de nous assurer que nous remplissons effectivement ces engagements.
* Les engagements ne sont pas classés par ordre de priorité ni hiérarchisés.
** Ceci fait référence à care economy en anglais.
*** Attitude naïvement optimiste vis-à-vis des avancées technologiques, considérant qu’elles apporteront automatiquement des solutions aux problèmes sociaux, environnementaux ou économiques, sans remettre en question les rapports de pouvoir, les formes de production, ou les biais systémiques.
Conclusion
L’adoption de cette Déclaration d’engagement est une étape cruciale pour réaffirmer la place centrale de la solidarité internationale face aux grands défis mondiaux. C’est un appel à l’action convergente et un engagement renouvelé en faveur de la solidarité internationale. Ensemble, nous mettrons en œuvre ces engagements au sein de nos organisations et nous nous réunirons pour évaluer régulièrement nos progrès et nos avancées, pour analyser les défis persistants et pour identifier des enjeux émergents.
Guidés par les savoirs et les luttes de nos communautés, nous aspirons à contribuer à la construction d’un monde juste, inclusif et durable. Unissons nos forces pour relever ces défis communs et bâtir ensemble un avenir meilleur pour toutes et tous.
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