Édition du 16 avril 2024

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Le Monde

Faire des vaccins un bien commun : un impératif mondial

Les pays du Sud, Inde et Afrique du Sud en tête, mènent la bataille à l’OMC pour faire tomber temporairement les brevets et les licences qui font des grandes entreprises pharmaceutiques les propriétaires des vaccins contre le Covid-19. Mais les égoïsmes nationaux des pays les plus riches et les logiques de marché semblent plus forts que la réalité de l’urgence sanitaire.

Tiré de regards.fr

Les logiques du marché semblent d’une solidité à toute épreuve. On a cru pendant un temps que la pandémie du Covid-19 allait, à tout le moins, les interroger. Que nenni : on a mis en pause des secteurs entiers de nos économies mondiales, on a fragilisé des écosystèmes humains qui avaient trouvé un fragile équilibre dans la mondialisation et on a fini par jeter dans la précarité et la pauvreté des milliers voire des millions de gens sans que cela n’émeuve plus que cela les gouvernants. Pis, la lutte contre le virus dans sa dimension la plus scientifique et médicale est devenue, elle aussi, un objet de concurrence néolibérale et entre nations.

Les entreprises pharmaceutiques (notamment Pfizer, Moderna et AstraZeneca) qui développent et vendent un vaccin contre le Covid-19 devraient ainsi gagner des milliards de dollars en cette année 2021. Un petit pactole auquel il faudra ajouter les profits engendrés par les traitements additionnels dans la mesure où les vaccins n’éradiqueront vraisemblablement pas complètement le virus.

Et pourtant, ces entreprises dont on vante l’efficacité de leur recherche et développement souffrent de carences dans l’optimisation de leurs chaînes de production et se retrouvent à ne pouvoir honorer les contrats de vente de vaccins passés avec les uns et les autres. Mais cela va même plus loin : ces entreprises organisent aussi, de par-devers elles, les inégalités mondiales dans la prise en charge de la pandémie.

Le nationalisme vaccinal en question

Le secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies (ONU) António Guterres a beau tempêter contre ce qu’il appelle « le nationalisme vaccinal » des pays riches qui « empêchent de battre le Covid-19 », le constat est alarmant : 90% de la population des pays pauvres ne seront pas vaccinés en 2021 et, à ce jour, 14% seulement de la population mondiale ont mis la main sur plus de la moitié des doses de vaccins disponibles. Le voeu formulé par le président français Emmanuel Macron en mai 2020, de faire du vaccin « un bien public mondial », semble ainsi bien loin. De même, le dispositif COVAX, « une initiative mondiale de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) visant à assurer un accès rapide et équitable aux vaccins contre la Covid-19 pour tous les pays, quel que soit leur niveau de revenu », semble avoir sérieusement du plomb dans l’aile d’autant qu’il consiste à payer aux laboratoires le vaccin au prix du marché via un fonds commun (largement animé par le Gavi de la Fondation Bill & Melinda Gates) : de façon évidente, est donc acceptée l’idée selon laquelle les pays les moins riches seront vaccinés dans trois ans, puisqu’il n’y a pas de doses.

Les pays dits du Sud s’inquiètent de cette inégale et injuste répartition des vaccins et des traitements contre le Covid-19. L’Afrique du Sud et l’Inde ont ainsi tenté une offensive intéressante en octobre dernier : imposer aux entreprises pharmaceutiques qui développent le vaccin et autres traitements pour faire face au Covid-19, de renoncer temporairement à leur propriété intellectuelle sur leur brevets et licences. Ces deux pays, rejoints notamment par la Bolivie, le Swaziland, le Kenya, le Mozambique, la Mongolie, le Pakistan, le Venezuela et le Zimbabwe, n’ont d’ailleurs pas jeté l’éponge et ont retenté de faire émerger un consensus sur le sujet fin janvier.

Une bataille à l’OMC pour ouvrir les brevets des vaccins

Le cadre de ce rapport de forces, c’est le conseil de l’ADPIC (l’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce, un texte annexé à l’Accord instituant l’Organisation mondiale du commerce - OMC). Les délégués indiens et sud-africains y mettent en avant le fait que l’accès inéquitable aux vaccins au niveau mondial nous mène droit vers « un échec moral catastrophique », les accords sur les licences volontairement limités, restrictifs et surtout non-transparents étant loin d’être suffisants pour répondre à la demande mondiale massive.

L’objectif de ces pays est ainsi d’enclencher les mécanismes décrits aux articles 31, 31bis et à l’annexe 1 de la partie II « Normes concernant l’existence, la portée et l’exercice des droits de propriété intellectuelle » de l’Accord sur les ADPIC, tels qu’amendés par les dispositions de la Déclaration de Doha : ces dispositifs autorisent les membres de l’OMC qui n’ont pas les moyens mais qui ont la capacité de les produire, d’acheter certains médicaments, sous couvert de l’urgence d’une situation sanitaire, pour leur marché intérieur, par la délivrance de « licences obligatoires ». Ils permettent également aux membres qui n’ont pas la capacité de fabrication d’importer des médicaments de ceux qui les produisent à bas prix.

Dans l’absolu, ces mesures peuvent - voire devraient - être exploitées immédiatement vu la situation pandémique actuelle : seulement, dans l’état actuel des textes, ce serait à chaque pays d’engager une action individuelle pour obtenir ces « licences obligatoires ». Or ces processus sont lourds et prennent du temps - ce que les populations et les économies des pays les plus pauvres ne peuvent se permettre. Mais surtout, certains membres comme les États-Unis et le Royaume-Uni où les principales entreprises pharmaceutiques ayant développé un vaccin sont sises, n’ont pas ratifié l’amendement qui autorise les importations en provenance de pays qui produisent sous licence obligatoire.

Contre l’ouverture des brevets liés aux vaccins : les Etats-Unis et l’Union européenne en tête

De plus, ce que demandent l’Afrique du Sud et l’Inde va plus loin que le cadre proposé par l’OMC : ces deux pays cherchent à suspendre les droits liés à la propriété intellectuelle, aux dessins et modèles industriels, aux brevets et aux informations non divulguées (secret commercial) pendant la durée de la pandémie, « jusqu’à ce que la majorité de la population mondiale ait développé une immunité ». Mais, pour l’instant, la résistance à cette proposition reste trop forte…

A l’OMC, en l’absence de consensus, l’adoption de cette dérogation temporaire qui permettrait de suspendre les règles de propriété intellectuelle sur les vaccins compte tenu de la situation pandémique, nécessite une majorité de trois quarts des membres, c’est-à-dire le soutien de 123 membres. Plus de 100 pays en voie de développement, de nombreuses ONG, plusieurs agences de l’ONU dont l’OMS, et la société civile mondiale au sens large, soutiennent d’ores-et-déjà le projet. Mais ce n’est pas suffisant.

Qui s’y oppose ? L’Union européenne, les Etats-Unis, la Suisse, le Royaume-Uni, la Norvège, le Canada et le Japon, arguant que ce n’est pas qu’une question de propriété intellectuelle mais un problème de capacité de production et d’approvisionnement en matières premières. Bien faible ergotage pour cacher un double fait : 1. Ces pays ont une foi inébranlable dans le marché et sa capacité à trouver une solution pour mettre un terme à cette pandémie mondiale. 2. Malgré tous les problèmes que l’on peut constater en France, ce sont ces pays qui s’en sortent le mieux en matière de vaccination pour le moment…

Égoïsmes nationaux et logiques de marché

L’expérience de la lutte mondiale contre le VIH pour l’accès à des antirétroviraux abordables avaient pourtant démontré que l’on peut, dans une certaine mesure, faire plier les laboratoires pharmaceutiques, notamment lorsque les Etats les menacent avec les « licences obligatoires ». Mais surtout, la situation mondiale (comme sur beaucoup de sujets) devrait imposer que passent au second plan, les droits de brevet et de licence, derrière les droits des patients et des populations. Et de toutes les populations, même des populations les plus pauvres, n’en déplaise aux marchands de vaccins. Car l’urgence est d’autant plus aiguë que les pays africains sont actuellement sous le coup d’une vague virulente du Covid-19, notamment du fait du variant sud-africain, réputé plus contagieux.

L’idéologie néolibérale des gouvernants des pays les plus riches sera-t-elle plus forte que l’urgence d’une mise en commun des ressources au niveau mondial pour lutter contre la pandémie de Covid-19 ? A ce stade, les égoïsmes nationaux semblent être des règles d’airain. Mais les opinions publiques comme les oppositions de gauche peuvent aussi faire pression sur leurs dirigeants pour forcer un changement de la donne. Avant qu’il ne soit définitivement trop tard pour que l’Histoire ne nous juge sévèrement pour non-assistance à peuples en danger (si ce n’est déjà le cas).

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