Édition du 10 décembre 2024

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G7

G7 : un « Sommet d’hypocrisie »

Alors que le G7 réglait ses comptes à La Malbaie en faisant mine de s’intéresser aux problèmes du monde, des milliers de Québécois ont fait entendre une autre voix malgré une présence policière intimidante.

tiré du journal Le Courrier : www.lecourrier.ch, 11 juin 2018 - par Bruno Perez, correspondant à Québec.

Altermondialisme

Leur voix a-t-elle porté ? Maintenus à bonne distance des chefs d’Etat réunis à La Malbaie, 130 km plus au nord, les altermondialistes ont quand même pu manifester leur opposition au G7 dans les rues de Québec. Trois jours de mobilisations qui ont regroupé au total quelque 4000 personnes, avec pour moment fort un défilé coloré et ensoleillé, samedi après-midi, à travers le Vieux-Québec, sous l’œil ravi et médusé des touristes. Tout avait débuté jeudi en fin d’après-midi dans une ambiance bien différente.

Clin d’œil des organisateurs de cette première manif, le rendez-vous est fixé au Parc des Braves. Car du courage, il en faut pour se rassembler dans la nasse policière installée dans ce quartier résidentiel de Montcalm. Arrivés en petites grappes, les manifestants sont accueillis par un interminable cordon antiémeute qui resserre progressivement son dispositif, au son du tonfa frappant le bouclier ! Ambiance.

Militants communautaires, autochtones, anarchistes, écologistes, communistes, défenseurs de l’eau et de l’air, de l’Amérique latine, de l’école publique ou du logement social, à défaut du nombre – quelque 1300 personnes –, la diversité du mouvement altermondialiste est au rendez-vous. Tout comme la presse qui n’a qu’une question à la bouche : « Condamnez-vous les violences ? » « Nous ne condamnons pas des violences qui n’ont pas été commises, répète en boucle la porte-parole des organisateurs, Alice-Anne Simard. La seule violence que nous condamnons est celle des politiques néolibérales des pays du G7. » Au côté des collectifs militants et communautaires, le Réseau de résistance anti-G7 (RRAG7) fait partie des signataires de l’appel à manifester. Le 1er mai, à Montréal, des militants de cette mouvance autogestionnaire se sont affrontés à la police. Médias et policiers les attendent de pied ferme. Prudents, les syndicats ont décidé de se tenir à l’écart.

Aucune crédibilité

Malgré la pluralité des causes représentées, les prises de parole convergent. « L’hypocrisie » du programme du Sommet est soulignée. « Des misogynes vont parler d’égalité, des militaristes vont parler de paix et des capitalistes vont parler d’écologie », raille Mathieu, du RRAG7. La discussion sur la « croissance économique » bénéfique à tous n’a pas davantage de crédit face à l’inexorable augmentation des inégalités depuis la naissance du G7. Anne-Céline Guyon, du Front commun pour la transition énergétique, renchérit : « Quelle est la crédibilité de Justin Trudeau pour faire la leçon à Donald Trump sur son déni du changement climatique, alors qu’il emprisonne le Canada dans une dépendance à l’industrie la plus sale de la planète », soit l’extraction des sables bitumineux dont le premier ministre vient de sauver le pipeline en le nationalisant ? Une politique menée sans le consentement des autochtones peuplant ces régions, précise André Pikutelekan, Innu de Pessamit. Le représentant du Regroupement des Premières Nations pour l’environnement se dit dès lors « surpris » que des chefs des communautés huron-wendate et innus aient accepté de jouer les faire-valoir de M. Trudeau au Sommet du G7. Et sa collègue écologiste de conclure, en donnant le ton du rassemblement : « Lorsque toutes les lignes rouges sont franchies, se taire c’est être complice. »

Cortèges parallèles

Quand le cortège se met en mouvement, direction le centre-ville, le cordon policier s’ouvre et se met à coulisser le long de la route, formant une sorte de haie d’honneur rapprochée, mouvante et menaçante. Les rares manifestants qui se hasardent sur le trottoir sont repoussés sans ménagement sur la chaussée, de même que quelques passants devenus manifestants involontaires ! La proximité et l’agressivité des forces antiémeute font craindre que le moindre dérapage n’allume la mèche. « Tout le monde déteste la police », scande la foule, tandis que cent à deux cent jeunes masqués abreuvent les pandores d’insultes et de gestes de défiance. Mais l’étincelle ne vient pas et la bonhomie de la majorité prend le dessus. La fanfare Tint’anar fournit les notes, et les voisins – apparus aux fenêtres – des applaudissements nourris.

Sur d’autres balcons résonnent des concerts de casseroles, comme au temps des manifs étudiantes de 2012. Après des mois d’alarmisme médiatique, la traversée de la rue Cartier, haut-lieu de la fête à Québec, en devient presque cocasse, avec ses terrasses bondées de consommateurs faisant écran, un bref instant, entre le défilé des antiémeute et celui des militant.e.s. La bonne humeur a définitivement pris le dessus. « Nos slogans sont pourris, le G7 aussi », entonnent, hilares, les manifestants. Parvenu sur la colline parlementaire, sous le regard d’un drone et de deux tireurs embusqués sur le toit du Hilton, le cortège se dissout dans le calme. Des drapeaux du G7 brûlés devant les barricades policières et quelques engins pyrotechniques permettent de satisfaire les photographes et leurs rédactions.

Couper les ponts avec le G7

Un parking de banlieue entre deux grandes artères : le lieu de rassemblement altermondialiste, vendredi à 7h30, n’a pas les atours de la veille. La journée de « perturbations » et de « désobéissance civile » appelée par le RRAG7 vise à « couper les ponts avec le G7 » ou, plus prosaïquement, à gêner le défilé des berlines officielles reliant Québec à La Malbaie. Certes, les dignitaires sont attendus dans la matinée au Manoir Richelieu en provenance d’un lointain aéroport militaire, mais une partie des délégations logées à Québec emprunte bel et bien ce parcours. Attendus sur l’autoroute, les quelques 200 protestataires envahissent le boulevard parallèle. Ils l’occuperont près d’une heure avant de céder aux injonctions de la police. Au vu de la faible mobilisation, consigne a été donnée d’éviter l’arrestation de masse afin de pouvoir poursuivre les actions, nous confiera un proche du mouvement. Peu avant midi, la cohorte réapparait en un autre point de l’autoroute, mais la maigre barricade constituée d’un canapé enflammé est rapidement abandonnée. Replié sur le faubourg St-Jean, où les habitants organisent un pique-nique anti-G7, le jeu du chat policier et de la souris manifestante se poursuivra quelques heures durant. Laissant un bilan d’une dizaine d’arrestations, quelques embouteillages mais aucun dégât matériel ni affrontement.

Faire face à l’extrême droite

Nouveau changement de décor, samedi aux alentours de midi. La Coalition pour un forum alternatif a investi la pelouse de l’Assemblée nationale pour débattre des politiques du G7. Tenus à l’écart des mobilisations jusque-là, des enfants s’ébrouent entre les stands et la petite tente qui abrite le panel altermondialiste. « Le G7 vit un sommet difficile, il récolte le fruit de ses politiques », relève le premier panéliste, Claude Vaillancourt, président d’Attac-Québec. Pour la plupart des intervenants, la division régnant entre les gouvernements populistes (USA, Italie et dans une certaine mesure Japon) et les « globalisateurs photogéniques, Macron ou Trudeau », dixit Roger Rashi, est le résultat de la crise sociale et économique globale provoquée par le néolibéralisme qui renforce la concurrence entre les puissances capitalistes. Mais le différend est aussi stratégique. Car face au mécontentement croissant, les politiciens populistes présentent l’avantage sur les libéraux classiques « d’aller chercher le consentement perdu dans les couches populaires en faisant mine de combattre les globalisateurs », analyse le permanent de l’ONG Alternative. Inquiet, M. Rashi souligne la proximité de cette argumentation nationale-populaire avec les discours en vogue dans les années 1930.

Mais au-delà des différences entre les Sept, poursuit-il, leurs convergences demeurent plus fortes. Par exemple, dans leur désintérêt pour la question environnementale et par le maintien de politiques renforçant les inégalités sociales. Ou encore dans la mise en place d’un ordre sécuritaire international, en lieu et place de la coopération. « Tous les pays du G7 dépensent bien plus pour leur armée que pour l’aide au développement », regrette Michèle Asselin, directrice de l’Association québécoise des organismes de coopération internationale. Une priorité peu étonnante au sein d’un « organe néocolonial », selon Amélie Ngyen. « Le G7 a été créé il y a quarante ans pour mettre au pas des monarchies pétrolières un peu trop indisciplinées notamment, car elles soutenaient des luttes de pays du Sud », rappelle la représentante du Centre international de solidarité ouvrière (CISO).

Guerre pacifique

A mesure que s’approche l’heure du grand cortège qui doit parcourir la vieille ville, la foule se fait plus dense. Les drapeaux syndicaux sont désormais bien représentés. Malgré un agenda de luttes sectorielles chargé, « nous nous devions d’être présents pour défendre un syndicalisme qui cultive la culture de la solidarité entre tous les travailleurs », résume Dominique Daigneaut, de la Confédération des syndicats nationaux (CSN). Lorsque les manifestants empruntent enfin la Porte St-Louis, ce sont plus de 2000 personnes qui se dirigent vers le fameux Château Frontenac. « Le capital nous fait la guerre, guerre au capital », scandent les manifestants. Mais c’est la paix qui prédomine. La police, cette fois, réserve son cordon au tronçon libertaire du cortège, qui a tôt fait de se dissoudre parmi les autres contestataires. « Les vrais casseurs sont au Manoir », reprend le chorus militant. La démonstration est faite, le weekend anti-G7 peut prendre fin. 

ARMES DE GUERRE À LA MANIF

« Zéro commerce vandalisé, zéro blessé » : si la police de Québec (SPVQ) tirait dimanche un bilan positif de son G7, l’avis est diamétralement opposé chez les manifestants. Les treize arrestations, « essentiellement pour attroupement illégal », admet la SPVQ, sont vivement dénoncées, ainsi que le déploiement extrême des forces de l’ordre. Les observateurs d’Amnesty et de la Ligue des droits et libertés du Québec, aisément reconnaissables durant les manifs à leur chasuble jaune, sont du même avis : rien ne justifiait un tel dispositif, qui a pu dissuader des citoyens de s’exprimer, selon Nicole Fillion, de la LDLQ. Pas plus, d’ailleurs, que l’interdiction de certains rassemblements pacifiques : « Manifester est un droit démocratique. Ce n’est pas parce que tu déranges que la manifestation devient illégale », plaide-t-elle dans Le Soleil. Le port de fusils semi-automatiques (C8/AR-15) par des policiers au contact de la foule, jeudi soir, a particulièrement choqué les observateurs. Selon les médias locaux, l’armée canadienne en aurait cédé plus de 200 exemplaires à la police, pour faire face à la menace terroriste. Bpz

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