Édition du 8 octobre 2024

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Environnement

Gaz de schiste : premiers déclins aux Etats-Unis

C’est là que le boom des gaz de schiste a commencé. C’est là aussi que le déclin semble s’amorcer. Les champs de Barnett et de Haynesville, dans le Sud des Etat-Unis, ont franchi leur pic de production respectivement en novembre et décembre 2011. Les puits de Barnett et Haynesville ont fourni jusqu’ici près de la moitié de la production américaine de gaz de schiste.

Le développement plus tardif du troisième principal champ nord-américain de gaz de schiste, celui de Marcellus dans les Appalaches, compense jusqu’ici le déclin de ses deux prédécesseurs. La poursuite du développement de Marcellus joue un rôle clé pour maintenir sur un plateau la production totale de gaz naturel aux Etats-Unis, stable depuis le début de l’année 2012.

La production de gaz naturel du champ de Barnett, situé au beau milieu de la vaste zone urbaine de Dallas Fort-Worth, au Texas, s’est établie à 4,84 milliards de pieds cube par jour au mois de juin, en baisse de 16,5 % sur un an et de 20,5 % sur deux ans. La première ruée vers les gaz de schiste s’est produite ici, au coeur de l’industrie américaine des hydrocarbures, à la faveur de la flambée des prix de l’énergie amorcée au début des années 2000.

Le champ de gaz de schiste de Haynesville, à cheval sur le Texas et la Louisiane, a été le deuxième développé aux Etats-Unis, à partir de 2009. Ses extractions sont en recul de près d’un cinquième par rapport au pic de décembre 2011. La production des puits situés en Louisiane a encaissé un repli de pas moins de 28 % en seulement un an et demi, selon les données fournies par Washington.

Indispensable pour exploiter les gaz de schiste, la fracturation de la roche ne permet de libérer ces gaz que dans un périmètre restreint autour de la zone fracturée. Par conséquent, la production d’un puits d’hydrocarbures de schiste atteint en général sa production record dès son ouverture, et décline ensuite très rapidement, souvent dès les premiers mois d’exploitation. Pour maintenir une production élevée, il est nécessaire de forer sans cesse de nouveaux puits, de dix à cent fois plus que pour du pétrole conventionnel, d’après la direction du groupe Total.

Le principal producteur du champ de Barnett, la compagnie Devon Energy, y a recours à cinq installations de forage cette année, contre dix en 2012. "Notre production dans le Barnett reste stable avant tout parce que nous avons pris des mesures pour limiter les déclins dans la production existante", indiquait en août le porte-parole de Devon Energy. "Toutefois, à cause de notre activité de forage réduite, nous nous attendons à voir notre production chuter au cours du second semestre de cette année", a-t-il précisé.

La réduction du nombre de forages est la conséquence de la combinaison de deux facteurs, l’un économique, l’autre géologique : le repli des cours du gaz naturel depuis fin 2011 (lui-même provoqué par le boom des gaz de schiste) ; la tendance à devoir forer les nouveaux puits dans des zones moins fertiles en hydrocarbures.

Chesapeake, l’un des leaders des gaz de schiste aux Etats-Unis, a dû biffer de ses comptes l’an dernier pas moins de 4 600 milliards de pieds cube de réserves dites "prouvées". Ces réserves, principalement situées dans les champs de Barnett et de Haynesville, constituaient jusque-là pas moins du quart des réserves totales revendiquées par la compagnie.

Le cas de Chesapeake n’est pas isolé.

D’autres acteurs majeurs, tels que BP et BHP Billiton, ont également revu nettement à la baisse en 2012 le montant annoncé de leurs réserves de gaz de schiste. C’est maintenant le tour de la Shell, qui vient de faire part de son souhait de vendre ses capitaux dans un autre important champ texan d’hydrocarbures de schiste, Eagle Ford, après avoir annoncé en juillet une forte réduction du montant de ses réserves de gaz non-conventionnel, relate aujourd’hui le Financial Times.

La tendance fait écho au cri d’alarme poussé l’an dernier par le patron d’Exxon, Rex Tillerson : "On ne fait pas d’argent, tout est dans le rouge. (...) Nous sommes en train de perdre notre chemise [dans le gaz naturel]."

Vieille histoire naturelle : comme les autres espèces animales, les hommes ont tendance à cueillir d’abord les fruits les plus mûrs et à portée de main. La destinée humaine s’écoule selon la pente de plus faible résistance, parfois jusqu’à se perdre comme un oued.

Les "sweet spots", les zones les plus fertiles des champs de Barnett et de Haynesville ont d’ores et déjà été forées de manière intense. Les forages futurs risquent de tendre à être moins productifs et donc moins rentables ; il faudrait tout à la fois qu’ils soient plus nombreux pour remplacer les meilleurs fruits déjà cueillis.

Les extractions de gaz du champ de Haynesville ont commencé à décroître malgré l’augmentation du nombre de puits :

[MàJ 15/10/2013] Dans le champ de Barnett, le nombre de puits continue également à croître, sans empêcher le déclin de la production :

Poursuite du fort déclin amorcé, ou bien stabilisation ? L’avenir de Barnett et de Haynesville sera riche d’enseignements pour la suite à attendre du boom des gaz de schiste.

Les avis se partagent pour l’heure entre les experts qui considèrent que les meilleures heures de ces deux champs pionniers sont terminées, et ceux qui estiment qu’ils ont encore de beaux restes, insistant sur la "résilience" de l’industrie texane. Toutefois au cours des derniers mois dans la presse américaine, nul ne s’est risqué à avancer que le déclin des champs de Barnett et de Haynesville puisse être réversible.

En ouvrant la perspective, il semble pour l’heure plausible qu’à l’échelle du globe, les meilleurs fruits à attendre du boom des gaz de schiste soient ceux qui sont déjà en train d’être cueillis aux Etats-Unis.

En Pologne, pays annoncé comme le plus prometteur en Europe, les géants nord-américains Exxon, Talisman et Marathon Oil ont rapidement jeté l’éponge, regrette The Economist. L’hebdomadaire libéral anglais pointe la responsabilité de la bureaucratie polonaise, mais admet aussi que la géologie de la Pologne se révèle "plus difficile que prévu". Les ressources polonaises en gaz de schiste se trouvent être enfouies plus profondément que celles exploitées aux Etats-Unis. Une différence qui handicape sévèrement la rentabilité potentielle des forages.

En Chine, les importantes ressources potentielles sont également piégées à plus grande profondeur qu’aux Etats-Unis, ce qui paraît grever tout autant qu’en Pologne la faisabilité des projets envisagés, souligne aujourd’hui le New York Times. De plus, ces ressources sont éparpillées à travers le vaste territoire chinois, et se situent souvent dans des zones désolées difficiles d’accès pour les équipements lourds que nécessite l’exploitation des gaz de schiste, relève l’agence Reuters.

Matthieu Auzanneau

Journaliste indépendant, blogueur invité de la rédaction du Monde.

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